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Source : Medscape

Attention aux interactions entre anti-rétroviraux et médicaments couramment utilisés en cardiologie, comme les AOD, les antiplaquettaires ou les statines. Le point avec Atul Pathak

TRANSCRIPTION

Bonjour, je suis le Pr Atul Pathak et j’aimerais, en quelques minutes, partager avec vous des réflexions sur les interactions médicamenteuses qui peuvent survenir avec les médicaments que l’on propose pour traiter la COVID-19.

La difficulté de valider des traitements anti-COVID

La première chose importante à retenir est que le niveau de preuve et la qualité initiale des essais cliniques qui ont fait la preuve de l’efficacité des traitements a été longtemps critiquée, car ce sont des essais qui ont été faits dans l’urgence. Rappelez-vous, au moment de l’explosion de la pandémie, l’an dernier, un grand nombre de patients ont été inclus pour tester un grand nombre de médicaments. Et l’histoire de la chloroquine est un bon exemple, puisque ce médicament, par exemple, n’a jamais réussi à faire la preuve de son efficacité. Peut-être que deux médicaments ont fait la preuve de leur efficacité dans la prise en charge de la maladie… D’un côté, l’antirétroviral remdésivir a pu démontrer dans un essai que chez des patients atteints par l’infection à coronavirus, qu’il réduisait le passage aux formes graves [ndlr : le remdésivir n’est pas recommandé par l’OMS et la HAS lui a accordé un faible service médical rendu]. D’un autre côté, un essai avec la dexaméthasone montre que ce médicament réduit la morbi-mortalité imputable à l’infection au coronavirus.

De façon générale, il faut retenir qu’il existe des médicaments qui ont peut-être une efficacité modérée et ceci s’explique aussi par la compréhension de la maladie, qui s’est faite au fil de l’eau. Maladie infectieuse au départ, dont on a compris ensuite qu’elle pouvait être aussi pulmonaire et probablement inflammatoire in fine ; ceci explique que si le bon médicament n’est pas donné au bon moment, l’échec de l’essai clinique peut être au bout de l’histoire.

Les interactions médicamenteuses en cardio- et diabétologie

Dans le domaine cardiométabolique, ces inhibiteurs ou ces antirétroviraux sont des médicaments qui ne sont pas dénués d’effets et qui sont notamment à risque d’interactions médicamenteuses. C’est particulièrement important pour les patients en diabétologie ou en cardiologie. Ces médicaments, vous les reconnaîtrez parce qu’ils se terminent tous par le suffixe « vir », donc ils sont faciles à reconnaître. Et si vous êtes dans un établissement où vos collègues utilisent ces médicaments dans le cadre du soin continu ou dans le cadre d’un protocole, vous ne devez pas passer pas à côté de ces médicaments.

  • les anticoagulants : les interactions médicamenteuses les plus importantes à retenir sont tout d’abord celles qui concernent les patients traités par anticoagulants. En effet, ces antirétroviraux bloquent l’enzyme cytochrome P450 3A4 qui est impliquée dans la dégradation et la métabolisation de ces anticoagulants oraux directs — apixaban, rivaroxaban. Le risque est donc d’avoir une augmentation des concentrations plasmatiques de ces AOD et une augmentation du risque hémorragique. Si vos patients sont sous AOD, spécifiquement sous rivaroxaban/apixaban, il faut soit passer à un autre AOD (edoxaban ou dabigatran), soit revenir à un traitement par AVK.
  • les antiagrégants plaquettaires : le 2e risque est avec les antiagrégants plaquettaires, notamment le clopidogrel (Plavix). C’est un pro-médicament, cela veut dire qu’il a besoin d’être transformé par l’enzyme, la fameuse cytochrome P450 3A4, pour devenir actif. Autrement dit, quand vous prenez un comprimé de Plavix, ce médicament est inactif, il a besoin d’être transformé dans le foie pour devenir actif. Là encore, si vous exposez vos patients à des antirétroviraux, vous allez empêcher la transformation du clopidogrel, donc réduire les effets antiagrégants plaquettaires du clopidogrel et exposer vos patients à un risque de thrombose. Donc pour les patients sous clopidogrel, pensez à changer l’antiagrégant plaquettaire et aller plutôt vers le prasugrel ou le ticagrelor.
  • les statines : enfin, il y a une 3e interaction médicamenteuse, avec les statines. En diabétologie et en cardiologie nous avons un grand nombre de patients qui reçoivent ce traitement par statines et là aussi ces inhibiteurs du cytochrome P450 3A4 empêchent la dégradation de ces statines, augmentent leurs taux circulants et exposent les patients au risque d’effets indésirables qui sont dose-dépendants, que ce soient les risques d’effets myologiques (la myotoxicité de ces statines) et d’insuffisance rénale.

Donc trois warnings d’interaction médicamenteuse : anticoagulants, antiagrégants plaquettaires et statines, si vos patients reçoivent un médicament qui se termine par « vir ».

Attention à la désinformation

Troisième et dernier point, je crois qu’il faut aussi aider nos patients à ne pas tomber dans le piège de ce que sont les fake news. Il y a énormément de fake news sur le risque de certains médicaments ou leur intérêt. C’est tellement important que l’OMS, sur son site, va y répondre dans une foire aux questions. On sait par exemple que les vitamines ou les minéraux n’ont aucun effet sur la prise en charge par le coronavirus, que boire de l’alcool, manger des piments, manger de l’ail… tout ceci sont des informations rapportées, mais dont l’efficacité et l’impact en termes de prévention chez les patients infectés par le coronavirus n’ont pas été démontrés.

Conclusion

Le message important pour la communauté est donc : quand on a un patient cardiométabolique infecté par le coronavirus et qui reçoit un traitement cardiologique et un « traitement » pour la COVID, attention à ce risque d’interaction médicamenteuse. Comment l’éviter ? Prescrire le bon médicament — autrement dit celui qui a été évalué dans un essai clinique — faire attention aux à AOD, aux antiagrégants plaquettaires et aux statines si votre patient reçoit un médicament qui se termine par « vir ». Et surtout, ne pas tomber dans le piège des fake news. Merci pour votre attention.

Source : Le Quotidien du Pharmacien

La lutte contre la pandémie de Covid-19 ne se mène pas qu’avec les vaccins. Les stratégies de prise en charge ou de prévention médicamenteuse des formes sévères de l’infection évoluent depuis le début de la pandémie et les pistes sont aujourd’hui foisonnantes.

La pandémie a entraîné la mise en œuvre rapide de nombreux projets de recherche thérapeutique reposant soit sur le repositionnement de molécules anciennes soit sur des molécules innovantes.

Dans ce contexte, une centaine d’essais cliniques ont été autorisés en France depuis mars 2020, certains distingués par le label « Priorité nationale de recherche » (PNR). Petit panorama de quelques molécules qui font ou ont fait parler d’elles…

Anti-inflammatoires et anticytokines

Le tocilizumab (Roactemra) est un anticorps (Ac) monoclonal humanisé recombinant dirigé contre les récepteurs de l’interleukine-6 (IL-6), une cytokine pro-inflammatoire. Indiqué pour traiter diverses maladies inflammatoires auto-immunes (arthrite, etc.), il donne des résultats contrastés sur l’« orage cytokinique » caractérisant les formes sévères de Covid. En France, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) limite son éventuel usage à des situations ciblées.

L’essai sur le sarilumab (Kevzara, indiqué dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde), analogue du tocilizumab, a été arrêté faute de résultats probants. De même, les espoirs fondés sur l’anakinra (Kineret), un antagoniste des récepteurs des IL 1α et 1β, ont été déçus : une surmortalité a fait suspendre les inclusions.

Deux essais labellisés PNR attirent l’attention : ils portent sur le nangibotide et l’ABX464. Une étude de phase IIa est en cours pour le nangibotide (Laboratoire Inotrem) administré à des patients atteints de formes sévères du Covid. Cette molécule, initialement testée contre le choc septique, inhibe la voie de signalisation TREM-1 pro- inflammatoire et surexprimée dans les formes sévères de Covid-19. La société Abivax mène un essai (MiR-AGE) sur l’ABX464, une molécule prometteuse dans divers domaines thérapeutiques. Administré par voie orale durant un mois, cet anti-inflammatoire prévient et traite l’« orage cytokinique » et l’hyper-inflammation conduisant au syndrome de détresse respiratoire aiguë et a aussi une action de régénération tissulaire. Les résultats sont attendus d’ici à deux mois.

Soulignons ici bien sûr l’intérêt de l’essai CoViTrial (Angers) : labellisé PNR, il repose sur l’administration d’une forte dose de vitamine D, une hormone stéroïdienne régulant la production de différentes protéines anti-inflammatoires et antimicrobiennes et jouant un rôle inhibiteur sur le système rénine-angiotensine (le récepteur ACE2 est la porte d’entrée du virus dans l’organisme)*.

Enfin, des perfusions de cellules souches mésenchymateuses dérivées du cordon ombilical, puis cultivées, réduisent le nombre de décès ainsi que le temps de récupération des patients atteints des formes graves, avec environ 90 % de guérison des formes sévères de l’infection. Ces cellules régularisent les réactions immunologiques et inflammatoires. Leur administration par perfusion IV n’entraîne aucun effet iatrogène significatif.

Antiviraux

Le remdésivir (Veklury) est un antiviral de repositionnement utilisé par voie IV a obtenu en juillet 2020 une AMM européenne conditionnelle pour le traitement du Covid chez le patient ayant une pneumonie et sous oxygénothérapie. En France, l’usage de cette spécialité au titre du post-ATU a été arrêté en octobre, après que l’OMS eût publié les résultats d’une analyse intermédiaire de l’essai international SOLIDARITY portant sur quatre antiviraux repositionnés : hydroxychloroquine, lopinavir/ritonavir, remdésivir, interféron-bêta1a (éventuellement associé au lopinavir/ritonavir) vs soins courants. Aucun de ces médicaments n’a réduit significativement la mortalité des formes sévères de Covid-19, l’instauration de la ventilation ou la durée d’hospitalisation par rapport aux soins standards.

Prescrite comme antiparasitaire depuis plus de trente ans, l’ivermectine a un temps fait figure d’excellent candidat au titre d’anti-coronavirus puisqu’une étude australienne publiée en avril dernier rapportait qu’in vitro la charge virale de cellules infectées par le SARS-CoV-2 et traitées par cette molécule était réduite d’un facteur 5 000 fois en 48 heures ! L’enthousiasme fut bref car ces résultats étaient obtenus avec des taux d’ivermectine 35 fois supérieurs à la limite admissible chez l’homme. Les études cliniques réalisées ensuite, avec des concentrations usuelles, se sont révélées peu concluantes – mais d’autres essais sont en cours.

Le molnupiravir (Laboratoire Merck), un dérivé nucléosidique actif contre les virus à ARN et initialement conçu pour soigner la grippe, réduit le risque de développer une forme grave de Covid, empêche la transmission du virus et diminue la durée de la phase infectieuse. Des essais cliniques de phase II/III sont en cours sur des sujets hospitalisés, leurs résultats étant attendus en mai. Toutefois, l’emploi de cette molécule pourrait trouver ses limites, car elle est connue comme mutagène.

L’Institut Pasteur de Lille travaille sur le clofoctol, un antibiotique oral commercialisé en France jusqu’en 2005 (Octofène) pour traiter les infections respiratoires bénignes. Si l’efficacité clinique de ce virucide qui cible les deux portes d’entrée du virus dans les cellules est confirmée, il pourrait être commercialisé rapidement avec un double effet : pris dès les premiers signes de l’infection, il réduit la charge virale et limite la contagion et, pris plus tard, il réduit le risque de développer une forme sévère de Covid-19.

Anticorps poly- et monoclonaux

L’immunothérapie passive apporte rapidement au patient infecté des anticorps (Ac) qui persistent quelques semaines environ dans son organisme et limitent la sévérité de l’infection. En France, le recours au plasma de patients convalescents est autorisé par l’ANSM dans le cadre d’une ATU pour les patients ne pouvant être inclus dans des essais : cette stratégie semble avoir sa pertinence chez les sujets présentant un déficit inné ou acquis en lymphocytes B mais ses bénéfices sont surtout significatifs si la maladie est peu sévère et elle n’a qu’une efficacité limitée en regard d’une mise en œuvre complexe. L’Argentine a autorisé un sérum à base d’Ac polyclonaux équins produits en injectant à des chevaux une protéine du SARS-CoV-2, inoffensive pour eux mais qui suscite la production massive d’Ac neutralisants. En France, le Laboratoire Xenothera a conçu un traitement par un cocktail d’Ac polyclonaux protecteurs mimant la réponse humaine contre les infections à SARS-CoV-2 : labellisé PNR, le Xav-19 est en phase de test (essai Polycor).

Les traitements à base d’Ac monoclonaux sont constitués d’Ac anti-SARS-CoV-2 de patients ayant eu le Covid, synthétisés en quantité par génie génétique puis injectés à des sujets nouvellement infectés pour limiter la réplication virale. Conçu par la biotech américaine éponyme en association avec le Laboratoire Roche, le Regeneron associe deux Ac (casirivimab, imdévimab), des IgG1 recombinantes ciblant la protéine S du virus. Analogue aux précédents AC, le bamlanivimab (LY-CoV555) de Lilly s’administre en perfusion IV unique de 700 mg administrée dès que possible après un test viral positif et dans les 10 jours suivant l’apparition des symptômes. La FDA a octroyé à ces deux médicaments une AMM conditionnelle dans le traitement des formes légères à modérées du Covid avec risque élevé de forme sévère et/ou d’hospitalisation. Leur efficacité continue d’être évaluée (ex : essai Recovery) avant éventuelle autorisation définitive.

Ce parcours livre un aperçu des nombreux médicaments anti-Covid en voie de repositionnement ou en développement. Les espoirs déçus sont eux aussi nombreux. De plus, quotidiennement ou presque, des éléments nouveaux laissent espérer des réponses innovantes face à la pandémie. Pour s’en tenir à deux exemples, la découverte du rôle du cholestérol dans l’invasion virale et l’effet peut-être protecteur des hypolipémiants pourraient conduire à concevoir des anti-coronavirus reposant sur ce rationnel pharmacologique simple, et la colchicine, selon une étude canadienne, réduirait significativement le risque d’évolution vers une forme sévère de Covid.

* Sur la vitamine D, voir également notre édition du 1er décembre 2020.

Nicolas Tourneur