Source : SERONET
Cette année, crise sanitaire oblige, le congrès national de la Société française de lutte contre le sida (SFLS) est une édition virtuelle qui se tiendra aux dates prévues du 7 et 9 octobre 2020. Seronet a suivi la conférence de presse de lancement du mardi 6 octobre et revient sur l’information principale : l’inquiétude des experts-es sur une possible remontée de l’épidémie de VIH, du fait de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19.
Une diminution « massive » du nombre de tests VIH
Covid-19 oblige la conférence de presse de lancement de cette édition virtuelle de SFLS a eu lieu en visio sur Zoom en présence du Pr Gilles Pialoux (chef du service des maladies infectieuses, Hôpital Tenon, AP-HPP), du Dr Pascal Pugliese (président de la SFLS et infectiologue à Nice) et de la Dre Rosemary Dray-Spira, médecin épidémiologiste, directrice adjointe du groupement d’intérêt spécifique Epiphare (Agence nationale de sécurité du médicament et Caisse nationale d’assurance maladie).
À cette occasion, ont été présentés, pour la première fois, les chiffres issus des données de remboursement du Système national des données de santé (SNDS) qui seront présentés plus en détail au cours du e-congrès de la SFLS par Rosemary Dray-Spira, et qui confirment le vécu des experts-es et des acteurs-rices communautaires sur le terrain : la crise sanitaire due à la Covid-19 impacte fortement et durablement les stratégies de prévention diversifiée contre le VIH.
« Depuis le début du confinement, on observe une diminution massive du nombre de tests VIH réalisés en laboratoires de ville, de l’ordre de 650 000 tests de moins qu’attendu. Même après la sortie de confinement, et compte tenu de la saturation des laboratoires d’analyses médicales, nous n’observons pas un retour aux chiffres attendus sur les taux de dépistage » explique Rosemary Dray-Spira. Le dépistage est une des clés pour mettre fin à l’épidémie de VIH. En France, on estime l’épidémie non diagnostiquée de VIH à 25 000 personnes. Des personnes qui ignorent leur séropositivité, n’ont pas accès à un traitement et peuvent donc transmettent le VIH sans le savoir. Autre frein au dépistage du VIH et des IST, une offre perturbée des Cegidd (centres gratuits d’information, de diagnostic et de dépistage du VIH et des IST) du fait de la nécessaire application des mesures de distanciation. Tout aussi inquiétants, les chiffres de l’assurance maladie montrent également un tassement de l’augmentation d’utilisation de la Prep qui était observée jusqu’à tout début 2020. « L’épidémie de Covid-19 a profondément et durablement déstabilisé l’utilisation de la Prep et le recours aux tests VIH en laboratoire », conclue Rosemary Dray-Spira.
Le professeur Gilles Pialoux confirme cette tendance : « À Tenon, pendant le confinement toute notre équipe était mobilisée autour de la Covid. Nous avons continué à suivre les patients inclus dans les études Prévenir (2) et Discover (3), mais nous n’avons pas pu initier de nouveaux patients à la Prep, du moins pas en présentiel ».
Des pistes pour ne pas repartir en arrière
Pour la première fois en France, une baisse de l’épidémie de VIH avait été constatée en 2019 (chiffres de Santé Publique France pour l’année 2018 présentés en octobre 2019) grâce aux effets combinés de la Prep, du dépistage répété et ciblé et du Tasp. Les experts-es craignent que les difficultés d’accès à cette prévention diversifiée puissent nous faire repartir plusieurs années en arrière… Pour le Dr Pascal Pugliese, président de la SFLS, cette situation n’est pas une fatalité et il propose plusieurs pistes pour éviter une remontée des infections à VIH. « Il nous faut alerter, mobiliser et innover dans l’offre de dépistage. Et ne surtout pas baisser les bras » déclare-t-il. « Pérenniser et étendre la réalisation des tests sans ordonnances dans les laboratoires de ville, comme à Paris et dans les Alpes-Maritimes, permettre la réalisation de tests de diagnostic rapide dans les pharmacies d’officine, faciliter l’envoi d’autotests du VIH et des IST à domicile et étendre les téléconsultations de santé sexuelle en Cegidd pour multiplier les liens au soin. Et communiquer largement sur ces stratégies », développe-t-il.
La direction générale de la Santé (DGS) réfléchit à autoriser les dépistages rapides (Trod) en pharmacie, soit à la demande, soit spontanément face à certaines situations. Selon une enquête : 75 % des pharmacien-nes qui y ont répondu y seraient favorables, même en l’absence de rémunération spécifique mais avec une formation et un réseau d’aval. Par ailleurs, 95 % d’entre eux-elles proposent déjà la vaccination contre la grippe (pour les personnes en ALD) et les Trod pour les angines.
Concernant l’accès à la Prep, Pascal Pugliese espère beaucoup de la primo prescription pour les médecins généralistes en ville, dont le décret d’application aurait dû être signé en mars dernier : « La plateforme de e-learning qui accompagne la formation des médecins de ville à la Prep est prête et va être présentée lors du congrès sur le stand de la SFLS. C’est un travail multidisciplinaire avec plusieurs sociétés savantes et des acteurs communautaires. Le décret devrait être signé fin novembre/début décembre, ce sera un élément majeur pour le déploiement de la Prep en France », souligne-t-il.
En ce qui concerne les personnes vivant avec le VIH qui ont peur de retourner dans les Smit (service des maladies infectieuses et tropicales) où elles sont habituellement suivies, car ces services suivent aussi les personnes atteintes par la Covid-19, le Dr Pugliese a un message à faire passer : « Il faut leur dire qu’ils-elles doivent revenir dans les services car nous avons organisé des circuits de prise en charge séparés et sécurisés ».
Si vous souhaitez suivre l’édition virtuelle de la SFLS, l’inscription est gratuite via un formulaire en ligne.
(1) : Le groupe d’intérêt scientifique (GIS) Epiphare est une structure d’expertise publique en pharmaco-épidémiologie des produits de santé et sécurité sanitaire.
(2) : L’étude ANRS Prévenir accompagne et soutient les personnes prenant la Prep en Île-de-France. Son objectif est d’offrir le meilleur dispositif de prévention possible aux personnes qui en ont besoin, notamment les hommes ayants des rapports avec les hommes (HSH), les personnes transgenres, les hommes et les femmes hétérosexuels particulièrement exposés-es au VIH.
(3) : Discover est un essai clinique international mené dans différents sites (trois en France) dont un est l’hôpital Tenon. Le but de l’essai est d’évaluer si le Descovy (emtricitabine + ténofovir alafenamide) est sans danger et efficace en tant que produit pour la Prep orale continue.