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Source: Pourlascience.fr

Les hépatites virales sont en hausse et tuent plus que le VIH, le paludisme ou la tuberculose. La lutte contre l’hépatite B en Afrique est la clé de la riposte.

Nuru s’était préparée au pire lorsqu’elle a fait un test de dépistage du VIH il y a huit ans. Après s’être occupée de sa mère en Ouganda, décédée du sida, Nuru (son nom a été modifié pour cet article) a déménagé au Royaume-Uni pour étudier et a décidé de prendre en main sa propre santé. « J’étais prête à entendre que j’étais séropositive », dit-elle. « Je me suis dit : “Ce n’est pas grave”. J’ai eu une pensée pour ma mère. »

Ce à quoi elle ne s’attendait pas, c’est qu’on lui diagnostique une autre infection virale : l’hépatite B. « Le médecin me l’a annoncé comme si c’était pire que le VIH. J’étais confuse, j’avais envie de mourir », dit Nuru. « Je n’ai pas compris ce que c’était parce que personne ne parle jamais de l’hépatite B. On parle du sida. Il y a des recherches, de la documentation, de la communication. Mais pas sur l’hépatite B. »

Le virus de l’hépatite B (VHB), qui se transmet par le sang et les fluides organiques et envahit les cellules hépatiques, tue environ un million de personnes chaque année dans le monde, principalement par cancer ou cirrhose du foie. Le VHB est moins létal que le VIH, et de nombreuses personnes porteuses du virus ne présentent pas de symptômes. Mais comme plus de 250 millions de personnes vivent avec une infection chronique par le VHB, soit au moins sept fois plus que le nombre de personnes infectées par le VIH, le nombre de décès dans le monde rivalise maintenant avec celui du virus le plus redouté.

Les hépatites – des inflammations du foie – sont causées par un certain nombre de virus, mais les types B et C sont responsables de la plupart des décès. En 2016, l’année la plus récente pour laquelle des estimations sont disponibles, le nombre de décès dus aux hépatites virales dans le monde a atteint 1,4 million, dépassant celui de la tuberculose, du VIH ou du paludisme pris individuellement.

Pourtant, l’infection par le VHB peut être évitée par la vaccination dès l’enfance et traitée avec les mêmes médicaments antirétroviraux que ceux utilisés contre le VIH. « Le VIH a été perçu comme une pandémie aiguë, et des ressources y ont été consacrées en conséquence. L’hépatite B a une image complètement différente. Elle accompagne l’humanité depuis des dizaines de milliers d’années et, du fait de cette cohabitation silencieuse de longue date, elle n’a jamais reçu l’attention politique, les financements, l’énergie et l’éducation qui ont été consacrés au VIH », regrette Philippa Matthews, immunologiste à l’université d’Oxford, au Royaume-Uni, qui étudie les infections virales comme l’hépatite.

Les chercheurs et les travailleurs de la santé espèrent changer cette situation. Il y a deux ans, l’Assemblée mondiale de la santé a approuvé une stratégie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) visant à éliminer l’hépatite en tant que menace pour la santé publique d’ici à 2030 : l’objectif fixé est une réduction de 90 % des nouvelles infections et de 65 % des décès.

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La lutte contre l’hépatite B en Afrique subsaharienne est une priorité majeure. D’autres régions à haut risque, comme le Pacifique occidental, vaccinent depuis longtemps les enfants contre le virus, à la suite d’une décision de l’OMS en 1992 d’inclure le VHB dans les protocoles de vaccination systématique. En conséquence, bien qu’environ 6 % de la population de la région vive encore avec le VHB, la plupart des enfants et des adolescents y sont protégés. Mais en Afrique subsaharienne, où l’on estime qu’environ 6 % de la population est infectée, moins d’un dixième des enfants reçoivent les vaccins nécessaires. La région se classe également au dernier rang pour toutes les autres interventions, y compris le dépistage et le diagnostic, et pour le traitement des personnes infectées.

« L’hépatite B a été, dans une large mesure, négligée », explique Ponsiano Ocama, hépatologue à l’université Makerere, à Kampala, en Ouganda. Les travailleurs de la santé, dit-il, sont généralement peu formés et mal équipés pour traiter le virus. Philippa Matthews ajoute que la priorité accordée au VIH pour les traitements antirétroviraux est telle que certains travailleurs de la santé pensent que les malades infectés par le VHB ont de meilleures chances de recevoir des soins adéquats s’ils contractent également le VIH, même si les deux infections augmentent le risque de décès.

mortalié de l'hepatite, du sida de la tuberculose et du paldusime comparées.

L’hépatite tue aujourd’hui plus dans le monde que le sida, le paludisme ou la tuberculose.

© Nature. Source : Global Health Estimates 2016

Comme il y a peu de dépistage systématique, il y a aussi de nombreuses lacunes dans la compréhension de la prévalence et des conséquences de l’hépatite chez les populations vulnérables. Alors que les progrès dans la lutte contre l’hépatite sont illustrés par les résultats obtenus dans les pays du Pacifique occidental, la crise en Afrique subsaharienne passe inaperçue. « C’est une période critique pour la région », juge Philippa Matthews.

Des lacunes dans la connaissance du VHB

Nuru a quitté son rendez-vous de dépistage au Royaume-Uni déprimée et sentant qu’elle en savait peu sur son infection. Elle s’est tournée vers Internet pour répondre à des questions qui, selon elle, avaient été négligées par les professionnels de la santé qu’elle avait rencontrés. La relative ignorance du public au sujet de la transmission, avec néanmoins la conscience que le VHB peut être transmis lors de rapports sexuels non protégés, rappelle, selon Nuru, les rumeurs autour du VIH qui se sont répandues lorsque ce virus a été découvert en Afrique subsaharienne. L’organisme de Nuru contient suffisamment le virus pour qu’elle n’ait pas besoin de traitement, mais elle n’en parle pas ouvertement. Si la nouvelle qu’elle a une hépatite virale se répand en Ouganda, dit-elle, elle craint que les gens considèrent sa famille avec suspicion. « Ils seront isolés et ne trouveront pas d’emploi », redoute-t-elle.

Kenneth Kabagambe, qui a fondé l’Organisation nationale ougandaise pour les personnes porteuses de l’hépatite B (NOPLHB) en 2011, après le décès d’un ami atteint par le virus, dit avoir vécu une expérience similaire lorsqu’il a lui-même été diagnostiqué en 2012. Son médecin, dit-il, l’a laissé dans le doute, au point qu’il se demandait si l’hépatite B était comparable à Ebola.

Comme Kenneth Kabagambe et Nuru l’ont appris, l’hépatite est parfois appelée l’épidémie silencieuse, car les porteurs ne présentent pas de symptômes au début. Dans certains cas, le virus peut saper la fonction hépatique pendant des années sans causer de problèmes perceptibles, jusqu’à ce qu’une « prise de pouvoir » du virus entraîne une cirrhose ou un cancer du foie.

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Le virus de l’hépatite C (VHC) est un virus à ARN qui se propage principalement par le sang – en général, par les dons de sang non contrôlés, la consommation de drogues, la réutilisation d’équipements non stérilisés dans les hôpitaux et, dans une moindre mesure, les relations sexuelles non protégées. Il n’existe pas de vaccin contre cette maladie, mais les médicaments antiviraux peuvent guérir une infection chronique chez la plupart des gens. En revanche, le VHB (un virus à ADN, comme le VIH) est moins malin – en ce sens que les personnes contaminées ont moins de chance de développer une infection chronique – mais plus répandu. L’hépatite B touche presque quatre fois plus de personnes que l’hépatite C et est plus susceptible d’être transmise de la mère à l’enfant pendant la grossesse ou l’accouchement. L’infection par le VHB est aussi davantage associée à des marqueurs économiques : c’est, selon Ponsiano Ocama, en grande partie « une maladie des pauvres ».

Contrairement au VIH, les adultes qui ne sont pas déjà porteurs du VHB sont peu susceptibles d’être infectés – et s’ils le sont, il n’y a qu’un faible risque de développer une infection chronique ou de le transmettre aux autres adultes. Le groupe le plus à risque pour la contamination par le VHB est celui des les nourrissons, dont le système immunitaire est plus faible. Comparativement aux adultes atteints du VHB, les tout-petits « grouillent de virus », affirme Mark Sonderup, chercheur sur l’hépatite à l’université du Cap, en Afrique du Sud. Par conséquent, le dépistage et le traitement des mères infectées, ainsi que la vaccination des bébés, sont essentiels pour lutter contre l’hépatite B. Pourtant, des mythes circulent encore parmi les travailleurs de la santé en Afrique sur la façon dont le VHB se transmet, et notamment que les adultes porteurs du virus devraient être isolés. Cela perpétue la stigmatisation, dit Ponsiano Ocama.

Il y a quelques nuances à apporter à ce tableau. Dans les pays du Pacifique occidental, la contamination de la mère à l’enfant semble être la principale voie de transmission du VHB, d’après des recherches qui concordent avec les campagnes de vaccination menées dans les années 1990. Cependant, en Afrique subsaharienne, où les souches du VHB diffèrent, les mères infectées ont tendance à avoir des charges virales plus faibles, ce qui rend légèrement moins probable la transmission à leur bébé pendant la grossesse ou l’accouchement. La transmission d’un enfant à l’autre, par les inévitables égratignures et l’hygiène médiocre, semble être une voie d’infection plus importante.

Promouvoir le vaccin

Pendant de nombreuses années, les décideurs politiques ont pensé que la vaccination contre le VHB serait suffisante pour mettre un terme à l’épidémie, affirme Maud Lemoine, hépatologue à l’Imperial College, à Londres. C’est vrai en principe, mais la conception du vaccin le rend difficile à administrer. Il est généralement délivré en trois fois. La première injection est une « dose de naissance », qui est plus efficace si elle est administrée dans les 24 heures suivant la naissance. Les deux autres doses sont administrées plus tard, à plusieurs semaines d’intervalle. De 1990 à 2015, la proportion d’enfants ayant reçu les trois injections de vaccin contre le VHB a grimpé en flèche, passant de 1 % à 84 %, le Pacifique occidental arrivant en tête avec plus de 90 % de couverture, juste au-dessus des Amériques ; l’Afrique restant en retrait avec 70 %.

Mais dans la pratique, la première dose n’est pas toujours administrée à la naissance – la couverture de cette première dose n’est que de 39 % au niveau mondial – et son délai n’est pas toujours connu. En Afrique, la couverture à la naissance n’est que de 10 %. L’administration d’une dose dans les 24 premières heures et les vaccinations de suivi dans les délais prévus posent un défi monumental dans une région où de nombreuses naissances ne sont pas supervisées par des professionnels de santé.

vaccination contre l'hepatite B

L’Afrique est le continent le moins vacciné contre l’hépatite B. Seulement un enfant sur dix y est vacciné dès la naissance.

© Nature. Source: WHO World Hepatitis Report 2017

La difficulté à prendre en charge les mères à temps a été aggravée par la dépendance à l’égard de Gavi, une organisation internationale alliant les secteurs public et privé pour distribuer les vaccins. Gavi a joué un rôle moteur dans les progrès de la vaccination contre le VHB en Afrique subsaharienne. Mais l’approche de l’organisation est d’inoculer un vaccin contre la diphtérie, la coqueluche, le tétanos, le VHB et la grippe, qui n’est administré qu’à l’âge de 6 à 8 semaines. Un porte-parole de l’organisation a déclaré que Gavi ne s’est pas concentrée sur la vaccination dès la naissance, en partie parce qu’elle n’est pas convaincue que les systèmes de santé puissent réussir à vacciner les nourrissons dans les 24 heures suivant la naissance, et qu’il était plus important de cibler les subventions sur le vaccin pentavalent, plus coûteux.

Le 29 novembre 2018, cependant, le conseil d’administration de Gavi a décidé de mettre la priorité sur l’investissement dans les vaccins contre le VHB, dans le cadre d’une stratégie prévoyant six nouveaux programmes de vaccination entre 2021 et 2025. Et le succès d’autres campagnes de vaccination montre qu’il devrait être possible de surmonter les problèmes de distribution. Dans les années 1990, des chercheurs indonésiens ont fourni des vaccins contre l’hépatite B à usage unique et préemballés à des sages-femmes locales afin qu’elles puissent administrer une dose après un accouchement à domicile, une approche maintenant plus largement utilisée. Et, il y a deux ans, des chercheurs laotiens ont fait la preuve que donner des téléphones portables aux agents de santé impliqués et aux bénévoles locaux permettait de suivre les naissances et de vacciner davantage de nourrissons.

Améliorer le dépistage

Le dépistage et le diagnostic des adultes constituent une autre clé de la lutte contre le VHB. Les mères sont parmi les personnes les plus importantes à dépister en raison du risque de transmission au bébé. « Si vous détectez des femmes enceintes infectées, vous pouvez aussi dépister leurs partenaires. Vous pouvez vacciner tous les membres du foyer qui ne sont pas infectés. Vous pouvez identifier tous les autres contacts proches infectés et les traiter », explique Philippa Matthews. « Les mères sont une porte d’entrée vers plus d’interventions dans la population. »

Mais les mères ne sont pas systématiquement dépistées avant l’accouchement. Si l’on ajoute à cela le manque de registres contenant des données précises sur le cancer du foie et le faible taux de dépistage dans la région, il n’est guère surprenant que le tableau de la prévalence et de la dynamique des virus de l’hépatite soit truffé de lacunes.

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De fait, les populations qui sont le mieux dépistées sont les personnes qui donnent leur sang et les personnes qui, comme Nuru et Kenneth Kabagambe, ont vu de près comment le VIH ravageait leurs communautés et qui ont décidé de se faire dépister. De nombreux professionnels de la santé ont critiqué des initiatives telles que Gavi ou le Plan de la présidence des États-Unis pour la lutte contre le sida pour ne pas avoir davantage tiré parti des réseaux de dépistage du VIH afin de proposer également un dépistage de l’hépatite. Maud Lemoine souligne qu’un test de dépistage du VHB négatif est probablement suffisant pour un adulte, car il est alors peu probable qu’il soit infecté, alors qu’il faut sans cesse refaire de nouveaux tests de dépistage du VIH.

Le dépistage initial ne coûte que quelques dollars : les agents de santé vérifient simplement dans le sang si le système immunitaire a développé des anticorps contre les virus de l’hépatite. Mais ces contrôles, dit Philippa Matthews, ne servent qu’à vérifier si la personne a été exposée aux virus, et non si elle est actuellement infectée. Pour obtenir un diagnostic définitif, il faut des tests plus coûteux pour détecter l’ADN viral du VHB ou l’ARN viral du VHC. Leur coût peut atteindre 175 euros, ce que peu de personnes en Afrique subsaharienne peuvent se permettre, affirme Olufunmilayo Lesi, membre du groupe consultatif de l’OMS sur les hépatites virales. Selon une estimation de l’OMS, moins de 1 % des personnes atteintes du VHB et 6 % de celles atteintes du VHC sont diagnostiquées dans la région.

Tirer parti des campagnes contre le VIH

Plusieurs pays d’Afrique subsaharienne intensifient actuellement leurs efforts en matière de dépistage, notamment l’Ouganda, qui espère combiner ces actions à une campagne de vaccination destinée aux mères et aux nourrissons, indique Ponsiano Ocama. Et les chercheurs travaillent pour mettre au point des tests de diagnostic plus pratiques. En 2017, l’OMS a approuvé un test qui détecte l’ARN du VHC et fonctionne avec l’équipement de la plupart des hôpitaux d’Afrique subsaharienne, le système GeneXpert. Fabriqué par Cepheid, une entreprise californienne, il est déjà utilisé pour diagnostiquer le VIH et la tuberculose. Un test de dépistage du VHB qui pourrait être effectué avec le dispositif GeneXpert est en phase de test, dit Mark Sonderup, mais il n’a pas encore été rendu public.

Alors que le monde se concentre sur la lutte contre le VIH, des milliards de dollars ont été investis dans le développement d’antirétroviraux – des traitements que les personnes vivant avec le VIH prennent à vie pour empêcher l’explosion de leur charge virale. Dans les pays à faible revenu, ces médicaments sont fortement subventionnés et, dans de nombreux cas, ils peuvent aussi servir à traiter le VHB.

Mais lorsqu’il s’agit de l’accès aux médicaments, dans de nombreuses régions pauvres, les personnes infectées par le VHB sont négligées en faveur des personnes porteuses du VIH. Ponsiano Ocama connaît quelques hôpitaux qui ont autorisé des médecins à administrer des médicaments destinés au VIH à des personnes positives au VHB, mais, dans l’ensemble, une très petite part des personnes touchées par le VHB en Afrique subsaharienne reçoit un traitement.

Certains pays sont de plus en plus conscients que les médicaments antirétroviraux doivent également profiter aux malades atteints d’hépatites. En 2012, l’Ouganda est devenu le premier pays d’Afrique subsaharienne à produire une version générique du ténofovir, un antirétroviral, par l’intermédiaire de la société Quality Chemicals, et le médicament est proposé gratuitement dans certains centres de traitement. Et en 2017, après des années passées à tirer parti des programmes de lutte contre le VIH pour obtenir des médicaments pour les personnes atteintes par le VHB, la société sénégalaise de gastroentérologie a convaincu le gouvernement de mettre le ténofovir à leur disposition à un prix similaire à celui proposé aux personnes séropositives.

Pourtant, la stigmatisation associée au VHB peut être aussi problématique que la rareté des médicaments. Les groupes de patients en Afrique sont trop peu nombreux et isolés, estime dit Ponsiano Ocama. « Pour beaucoup de gens, c’est un voyage solitaire », dit Nuru. Mais elle et Kenneth Kabagambe sont déterminés à changer cette situation. Après son diagnostic, Nuru a convaincu ses frères et sœurs de se faire tester. Trois sur six ont découvert qu’ils étaient positifs pour le VHB. Depuis lors, s’appuyant sur ses sœurs en Ouganda dans le cadre d’un « réseau de chuchotement », elle a convaincu treize autres personnes de se faire tester et a payé pour les interventions.

Entre-temps, le réseau de patients que Kenneth Kabagambe a fondé vise à éduquer le public sur le virus de l’hépatite B et à construire une communauté où les personnes infectées par le virus peuvent en parler. « Être diagnostiqué positif à l’hépatite B n’est pas la fin. On peut encore avoir un avenir », conclut-il.

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