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Etats généraux de la bioéthique: Audition de Greypride

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Source : greypride.blog4ever.com

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie tout d’abord de me permettre de témoigner devant vous de mes expériences concernant la fin de vie. Je souhaite tout d’abord vous faire part de la fin de vie d’une amie très proche, militante comme moi de la lutte contre le SIDA.

Combattre est sans doute le verbe qui définit le mieux sa vie.

Déportée avec ses parents et son frère, alors qu’elle était jeune fille, Hanna connut la souffrance et l’humiliation : humiliation du corps et de l’esprit. Mais sa volonté, son énergie, sa rage de survivre lui permirent de ressortir de ces camps de la mort. Fait encore plus rarissime, c’est toute sa famille, bien que malade et affaiblit qui rentra sur Paris.

Toute sa vie de femme fut marquée par ces moments tragiques de sa déportation.

Libre et engagée, aussi bien dans ses amours que dans les causes qu’elle défendait, elle avait l’énergie de ceux et celles qui ne se laissent pas dévier de leurs objectifs.

Dans les années 80, la mort de son fils de cœur, la plongea dans la lutte contre le SIDA. Ainsi année, après année son engagement fût total.

Vers ses 70 ans, un premier cancer du sein, et une rechute quelques années plus tard l’amenèrent à organiser sa fin de vie.

Plus d’espoir de traitement, il fallait donc avoir une sortie digne, loin de tout ce qui pouvait rappeler les humiliations qu’elle avait subies dans sa jeunesse.

Pour cela elle chercha comment pouvoir mettre fin à sa vie, sans attendre de subir les stigmates d’une fin qui n’en finit pas. Elle se rapprocha de l’association, le droit à mourir dans la dignité, rencontra son médecin à qui elle confia ses volontés, elle fit les démarches auprès d’une association Suisse qui permettait aux personnes qui le souhaitaient de bénéficier d’un suicide assisté, et écrivit même ses dernières volontés ; ainsi elle se sentait rassurée.

Se sentant affaiblie, elle organisa les repas d’adieux avec ses amis proches, sans évoquer le fait que ce serait sans doute la dernière occasion de se voir.

Le voyage en Suisse était prévu ; mais quel jour décider de partir ? Plus on tarde, plus le voyage semble difficile à faire… Elle reporta sa décision, jusqu’au jour où elle se dit que ce serait sans doute plus facile d’en finir ici, chez elle, près de son chat, entourée des photos, des souvenirs de toute sa vie.C’est ce qu’elle fit. Un soir, avant d’aller se coucher, elle prit 3 boîtes de cachets, donna une dernière caresse au chat et s’endormit pour ne plus se réveiller.

Tout aurait pu finir ainsi, dans le respect et la dignité de la mort qu’elle avait choisie.

Hélas, le sort en décida autrement.

Le lendemain matin, l’amie, la confidente décida de passer la voir pour s’assurer qu’elle n’avait besoin de rien. Malgré son insistance, personne ne vint ouvrir la porte, elle se décida donc à utiliser la clé que lui avait confié son amie.

Elle trouva Hanna inconsciente dans son lit. Encore en vie, sa faible respiration en témoignait.

Lorsqu’on aime quelqu’un, si on le sent en danger, la première réaction est de vouloir le sauver ! C’est ce qu’elle fit en appelant le 17.

Réanimée, hospitalisée, son corps et son esprit meurtris, elle fut ramenée malgré elle à la vie.

Dés cet instant, affaiblie dans son corps par sa maladie et par sa tentative de suicide, elle ne pouvait utiliser que sa parole pour exprimer ses souhaits et demander à d’autres de l’aider à mourir. C’est ce qu’elle fit, à l’hôpital, auprès du cancérologue qui lui assura que le moment venu on l’enverrait dans un service de soin palliatif.

Quelques jours plus tard, ce fut le cas.

Jour après jour elle fit part de sa demande de mourir. Lorsqu’elle fut trop faible pour parler, elle demanda un stylo pour écrire, et redire sans fléchir qu’elle voulait en finir dignement sans que la mort l’humilie, la souille comme les camps l’avaient fait dans sa jeunesse.

Rien n’y fit. Elle dut attendre que son corps se rende, que le dernier fluide de vie s’évapore. Cela dura des semaines…

Cela se passait il y a 6 ans, mais je ne pense pas que la loi Léonetti dans sa version actuelle aurait mieux respecté la volonté d’Hanna de mourir sans subir cette agonie qui lui a enlevé la dignité qu’elle souhaitait conserver à tout prix.

Mais revenons à la population des seniors LGBT.

La fin de vie, j’y ai été confronté tout d’abord entre 1985 et 1995, à une époque ou beaucoup de personnes touchées par le VIH décédaient dans des conditions très difficiles.

A cette époque, l’incapacité des médecins à apporter des soins curatifs a provoqué un choc devant l’ampleur du nombre de personnes jeunes, soudainement confrontées à leur fin de vie.

Ce choc a sans doute contribué à donner une plus grande place à l’écoute des patients et a cassé la toute puissance du milieu médical face à cette nouvelle pathologie.

 Ainsi, comme en témoigne le film « 120 battements par minute » des solutions ont du être trouvées pour aider à mourir des hommes, des femmes pour lesquels il n’y avait plus d’espoir.

Les soins palliatifs n’étaient pas très répandus, et les multi-pathologies qui touchaient des malades en grande souffrance nous ont obligé à trouver des solutions pour aider activement les personnes à mourir.

Soit avec l’aide du corps médical, soit avec l’aide de proches qui trouvaient des moyens pour arrêter une agonie sans fin (cécité, troubles mentaux, dérèglements généralisés de tous les organes…).

A cette époque, l’euthanasie active était pratiquée, par humanité.

Mais heureusement, il y eut des survivants.

Mon ami, touché par le SIDA, a été hospitalisé en 95 pour une pneumocystose. Une très forte allergie au Bactrim (antibiotique), a été à l’origine d’une dégradation rapide de son état général. Des hospitalisations successives, un affaiblissement continu, une perte de poids vertigineuse l’on conduit à penser à sa fin de vie. Il a demandé à un ami proche de l’aider activement à mourir. Le deal était simple : « Un jour quand je t’appellerai, est-ce que tu pourras venir à l’hôpital me faire une piqûre pour m’aider à mourir ».

Quelques semaines plus tard, un soir, ne pouvant plus marcher, il appelle cet ami pour lui dire : « c’est pour demain matin ».

Cette nuit fut calme, apaisée, car il n’avait plus l’angoisse de savoir comment éviter cette souffrance physique et morale.

Le lendemain matin, il se sentit mieux.

Est-ce cette nuit de calme ? Est-ce ce rayon de soleil qui rentrait dans la chambre ? Son envie de vivre repris soudainement le dessus. Il appela son ami et lui dit simplement : « ne viens pas… « 

Peu de temps après, nous eûmes l’écho d’un traitement miraculeux aux Etats-Unis où les anti-protéases étaient prescrites. Je pris contact avec une pharmacie locale, et en accord avec son médecin traitant, j’importai ce médicament qui n’avait pas encore reçu l’autorisation de mise sur le marché en France.

Ces 3 mois, pendant lesquels j’importai ce médicament des USA, furent décisifs. Peu à peu, cachet après cachet, son état général se rétablit et ainsi après une longue convalescence il revint à la vie.

Aujourd’hui, il vit toujours.

Avec une certitude cependant, de revendiquer son choix à pouvoir mourir quand lui le décidera. Ce choix, de vivre ou mourir, cette liberté, lui a permis, aux moments les plus difficiles, de retrouver un apaisement et ainsi sans doute d’avoir l’énergie de dire : « je vais me battre et je ne suis pas prêt à mourir ».

De nos jours, quelle est la situation des seniors LGBT ?

Un grand nombre d’entre eux choisit l’invisibilité comme stratégie de défense par rapport à la crainte d’être stigmatisés ou discriminés.

Cette invisibilité conduit inexorablement à un isolement plus marqué, à l’absence de toute expression des problèmes qui leur sont propres et à la perte d’une grande part de leur identité (impossibilité d’exprimer leur désir, impossibilité de raconter l’histoire de leur vie…).

Nous savons que le taux de suicide chez les personnes âgées est important et bien qu’aucune statistique puisse le confirmer, je pense que les seniors LGBT doivent  être dans la catégorie la plus touchée par le suicide. Au canada, une étude récente montre que les gays âgés mouraient plus par suicide que par le sida.

Une autre étude américaine sur la vision de leur vieillesse, réalisée auprès des personnes LGBT de plus de 55 ans, fait apparaître les points suivants :

67% craignent d’être négligé-e-s

62% craignent d’être maltraité-e-s

60% craignent de subir des violences physique ou verbales

50% pensent qu’ils cacheront leur orientation sexuelle

Au delà des craintes exprimées, nous avons quelques données objectives :

– les seniors LGBT ont pour la plupart d’entre eux vécus dans leur passé une stigmatisation de leur identité sexuelle, qui les conduit à anticiper le rejet et à s’en protéger

– 60 à 70% vivent seuls et n’ont pas de liens familiaux

– un grand nombre a vécu des périodes de dépression profonde

– les problèmes d’addiction sont beaucoup plus importants que dans la population générale

 Ainsi, en vieillissant, la population LGBT est encore plus isolée que le reste de la population.  Une récente étude réalisée pour les Petits Frères des pauvres faisait le constat de « la mort sociale » d’un grand nombre de personnes âgées. Alors que penser de la situation des centaines de milliers de vieux et vieilles LGBT, sans conjoint-e, sans famille et se tenant à distance des activités de convivialité proposées aux seniors.

Lorsqu’on sait que l’isolement est le principal facteur de risque pour les personnes âgées, on comprend que leur qualité de vie ne peut être que dégradée et leur désir d’en finir ne peut être qu’accentué.

C’est pour cela que dans notre réflexion sur la fin de vie, nous portons une double parole :

– améliorer les conditions de vie et préserver l’identité des personnes âgées, condition nécessaire à leur qualité de fin de vie

– mais aussi laisser le choix à chacun chacune de disposer de sa vie et de mourir comme il ou elle le souhaite.

Ainsi à Greypride nous préconisons :

– Un plan de formation des acteurs médico/sociaux pour permettre aux seniors LGBT de vivre dignement leur fin de vie dans des lieux bienveillants,

– Une formation des tuteurs et curateurs pour une plus grande proximité avec les personnes sous leur protection,

– Un engagement des pouvoirs publics pour sensibiliser tous les acteurs de la filière vieillesse au respect de l’identité de chacun et chacune, et donner le droit de pouvoir choisir avec qui l’on souhaite vieillir,

– La création de lieux affinitaires pour permettre, aux personnes les plus discriminées, d’avoir une fin de vie digne (maisons de retraite des diversités, comme ce qui existe déjà pour les lieux confessionnels ou professionnels),

– Le développement de petites structures de vie en centre ville sur le modèle des MARPA afin de maintenir les seniors dans leurs lieux de vie habituels et dans des structures à taille humaine,

– Une campagne sur le droit à la sexualité des personnes âgées quel que soit leur orientation sexuelle ou leur identité de genre,

– La légalisation des accompagnants sexuels/sensuels pour toute personne handicapée,

– le droit à vivre et à mourir dans la dignité sa fin de vie, dans le respect de l’identité et du choix de chacun et de chacune.

Merci,

Francis Carrier

Président de GreyPRIDE

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