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L’ALLÉGEMENT CONCERNE DE NOMBREUX ASPECTS DE LA VIE AVEC LE VIH

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Source: SERONET

Directrice générale de Sidaction, Florence Thune, femme qui vit avec le VIH et militante de la lutte contre le sida, a été invitée à prendre la parole à l’occasion du congrès de la SFLS à Reims sur la question de l’allégement.

Il m’a donc été demandé de témoigner sur la question de l’allégement. De faire du « Je ». C’est donc une histoire qui ne parle pas « au nom de ». Parce que, tout comme pour la vie avec le VIH de manière générale, nous avons chacun notre propre histoire et notre propre ressenti vis-à-vis de cette question d’allégement.

Une chance incroyable

Je souhaiterais également dire à quel point je me considère comme une « privilégiée ». Je ne parle pas de mon vécu personnel avec ce virus, mais du contexte dans lequel je vis, dans lequel je travaille, qui allège considérablement cette vie avec le VIH. Je témoigne librement, ici, dans les médias, sans craindre que mon employeur ou mes collègues, ma famille, mes amis, mes voisins me rejettent. J’évolue dans un milieu professionnel qui non seulement me permet d’être au top de l’information sur le VIH, mais m’offre également un réseau de médecins et d’experts-es à n’en plus finir, d’avoir tout le temps quelqu’un « à qui parler du VIH ». J’ai aussi la chance de pouvoir rencontrer de très nombreuses personnes séropositives avec de multiples histoires de vie, et tout cela est une chance incroyable.

Alors, même si, peut-être dans quelques années, ces témoignages reviendront en boomerang dans ma vie, que je regretterai que la première chose qui apparaisse sur Google quand vous tapez mon nom et mon prénom, c’est « séropositive », je considère que cette possibilité de parler ouvertement du VIH allège considérablement « ma vie avec ». Et j’en suis encore plus persuadée quand je lis le témoignage de cette dame, médecin généraliste, dans le cadre de la journée sur la Disance, organisée par AIDES, et qui écrit dans un très long texte à quel point il est impossible pour elle de témoigner à visage découvert et qui rappelle que malgré les progrès scientifiques et médicaux, vivre avec le VIH, c’est aussi aujourd’hui, « devoir vivre, pour l’écrasante majorité des gens, dans l’ombre et le secret ».

Parce que le VIH, vous savez…

Comme il l’est dit depuis ce matin, l’allègement, ce n’est effectivement pas qu’une question de molécules. L’allégement concerne de nombreux aspects de la vie avec le VIH, parce que le VIH à lui seul peut parfois ou souvent être un poids. Je ne parviens pas à dire « jamais » mais c’est peut-être le cas pour certaines personnes séropositives, et tant mieux pour elles. Et ce poids est variable… tout au long de la vie. Des périodes où on fait avec, sans vraiment y penser, peuvent succéder à des périodes où on le sent plus peser sur sa vie, sans raison particulière parfois.

Ce poids « différent », je l’ai ainsi ressenti au cours du mois dernier, à trois semaines d’intervalle. Le VIH redevient un poids au moment où vous vous y attendez le moins. Comme lors d’un rendez-vous pour une consultation d’anesthésie, avec une médecin qui, après avoir pris connaissance de ma séropositivité, m’annonce que je passerai en dernier au bloc opératoire, parce qu’avec le VIH, vous savez…. Eh bien non, dites donc, je ne sais pas et je sens que vous allez m’expliquez… mais elle ne m’a rien expliqué du tout ; elle m’a juste répété en boucle que c’est comme ça, c’est le protocole. Je lui ai dit que c’était n’importe quoi ; je suis même partie sans lui dire au revoir, ce qui pour ceux qui me connaissent me situe au moins sur le niveau 7 de l’échelle de Richter de la colère !

Et puis trois semaines plus tard, une nouvelle expérience pour moi. Mon premier RDV en hôpital de jour (HDJ) pour un bilan, premier RDV en HDJ en 22 ans de vie avec le VIH, pour un bilan cardiaque. Avec une consultation au cours de laquelle on m’a demandé pour la première fois où je me situais sur une échelle de 1 à 10 en tant que femme séropositive. J’ai dit 9, parce que je me suis dit que 10, quand même, c’était limite prétentieux. Mais, là, je ne le sentais pas ce poids du VIH, parce que j’étais en face d’une personne bienveillante, en confiance ce jour-là, parce que c’est aussi ce que je ressentais en vrai depuis près de dix ans en tout cas. Parce qu’avant cela, ma vie de femme ne ressemblait pas à grand-chose, et même à rien pour être plus précise.

La question de l’allégement, elle concerne également notre suivi médical. J’ai eu la chance d’être suivie pendant dix ans par un médecin qui consultait en ville, après dix ans de RDV en milieu hospitalier. Un vrai allégement, très pratique, la facilité des RDV, la chance d’avoir avec une même personne un médecin traitant et un médecin infectiologue, tout cela m’a allégé la vie avec le VIH. Et puis, il a quitté Paris, m’a référé vers un autre médecin qui est malheureusement décédé brutalement, et je n’ai eu d’autre choix, un peu prise par l’urgence, que d’accepter un suivi à l’hôpital.

30 minutes par an pour parler du VIH

J’y suis retournée à contrecœur, et je me rappelle encore de cette première fois où je me suis retrouvée dans cette salle d’attente hospitalière, avec le sentiment de me reprendre le VIH en pleine figure. Et pendant ce temps, des médecins qui venaient chercher leurs patients-es me disaient bonjour car ils me reconnaissaient en  tant que directrice générale de Sidaction ; mais moi, je n’avais qu’une envie, celle de partir en courant.

Mais paradoxalement, quant à l’issue de la consultation le médecin m’a dit : « Bon, on se revoit dans un an, et vous faites un bilan intermédiaire avec votre médecin traitant (médecin traitant que je n’avais plus à ce moment là) ». J’ai trouvé que le suivi s’allégeait très brutalement, que je n’aurai donc plus que 30 minutes au plus par an pour parler du VIH avec un médecin « qui s’y connait ». J’étais censée penser que c’était finalement une bonne nouvelle, que c’était quand même mieux qu’un RDV tous les trois mois comme au début, que cela allégeait les rendez-vous dans l’année, que cela laissait aussi de la place à des personnes qui avaient plus de soucis de santé. Je crois que j’ai réalisé que je devais donc faire le deuil de ce suivi rapproché, que je devais donc admettre que ce VIH n’était finalement plus pour moi qu’une question de mesure de charge virale inscrite sur un bout de papier deux fois par an.

Finalement, j’ai eu la chance de pouvoir retrouver un médecin traitant menant également des consultations VIH à l’hôpital, et de retrouver ce « luxe » de combiner les deux. L’allègement, c’est aussi, pour moi comme beaucoup, ce que la découverte de l’effet préventif des traitements a eu comme impact sur ma vie sexuelle. Enfin, enfin ne plus avoir peur de contaminer ! Cette peur qui m’a, pendant dix ans, fait renoncer, consciemment ou non, à toute activité sexuelle. Alors quel allègement, ce fameux effet Tasp !

Mais je vais quand même vous parler pour terminer d’une tentative réussie et d’une tentative ratée d’allègement thérapeutique. La prise de traitements n’a pas été, de manière générale, un poids pour moi — ce qui est un poids, c’est encore devoir aller tous les mois à la pharmacie, si on pouvait récupérer ses traitements pour trois mois, ce serait quand même une vraie avancée ! J’ai, malgré tout, le souvenir de deux années très difficiles avec le Kaletra, durant lesquelles je ne me souviens que du fait de devoir tout le temps repérer où étaient les toilettes les plus proches que ce soit au travail, en vacances, en déplacement. Alors, bien entendu, quand j’ai pu enfin arrêter le Kaletra, ce fut un vrai allégement thérapeutique pour moi.

L’allègement, cela ne fonctionne pas pour tout le monde

Mais, il y a eu également une expérience peu concluante, comme quoi l’allégement, cela ne fonctionne pas pour tout le monde. Il y a deux ans, mon médecin me propose d’abandonner Isentress et Kivexa, et mes deux prises quotidiennes, pour Triumeq, et donc de passer à une prise par jour. Alors, soyons fous, un cachet par jour au lieu de trois, ça ne se refuse pas ! Mais mon corps lui a refusé. Au bout d’un mois, moi qui n’ai pas une qualité de sommeil renversante, c’est le moins qu’on puisse dire, j’étais devenue complètement insomniaque. C’était au moment de la conférence Afravih à Bruxelles. J’ai fait toute la conférence sans dormir une seule minute de jour comme de nuit, même pendant les sessions les plus soporifiques. Cette impression incroyable d’être sous caféine en perfusion ou sous amphétamines.
Alors, bien sûr, on a tout arrêté et je suis revenue à mes deux prises quotidiennes sans aucun regret. Et puis, j’ai eu le temps de m’apercevoir, qu’avec une seule prise quotidienne, cela me stressait plus de l’oublier. En rater éventuellement une sur deux, quand je prends mon traitement deux fois par jour, cela pouvait aller, mais rater la seule prise du jour, j’avais l’impression de prendre plus de risque, d’être moins observante.

Mon médecin m’a également proposé d’intégrer l’essai Quatuor avec une prise de traitements quatre jours sur sept. Deux obstacles m’ont empêché de franchir le pas : l’un très concret, mon agenda quelque peu rempli et ne faisant pas de moi quelqu’un de fiable en matière de rendez vous médicaux fixes et prévus longtemps à l’avance, et l’autre, plus psychologique, sûrement infondé, le risque de revenir à une charge virale détectable avec le retour de la peur de contaminer mon partenaire. Ce poids qui m’a empêché de vivre ma vie de femme pendant dix ans.

Pour conclure, je ne peux que dire que le seul et unique véritable allègement arrivera le jour où je pourrais dire « je suis séronégative ». Ce qui se résumera, au final, à ne plus rien avoir à dire, à ne rien avoir à annoncer, à ne rien avoir à avouer, à ne pas avoir à partager, à ne pas avoir à témoigner. Ne plus avoir de secret, ne plus dissimuler, ne plus être accusée de cacher quelque chose, ne plus se voir refuser un prêt, ne plus se voir reléguer en dernière position pour une opération, et surtout ne plus entendre « mais comment ça t’est arrivé ? ».

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