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Source : Le Monde

En moins d’un an, plusieurs vaccins contre le Covid-19 ont été créés. A l’inverse, quarante ans après la première alerte sur le sida, il n’en existe aucun contre cette maladie. La virologue Christine Rouzioux explique les raisons de ce décalage.

Quarante ans après la première alerte sur le sida, le 5 juin 1981, il n’existe toujours aucun vaccin contre le sida. On ne guérit pas du sida : les personnes séropositives sont contraintes de suivre un traitement à vie. A l’inverse, les chercheurs ont réussi une course contre la montre exceptionnelle face au coronavirus. En moins d’un an, plusieurs vaccins contre le Covid-19 ont été autorisés. Comment expliquer un tel décalage ?

Le VIH et le coronavirus sont en fait deux virus très différents, explique Christine Rouzioux, professeure émérite en virologie à la faculté de médecine René-Descartes (hôpital Necker), membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie nationale de pharmacie.

Pouvez-vous rappeler ce qu’est le VIH ? Comment ce virus agit-il dans le corps ?

Le VIH (virus de l’immunodéficience humaine) est un virus qui infecte les cellules du système immunitaire – les lymphocytes. Il a pour particularité d’intégrer son matériel génétique dans le chromosome des cellules qu’il infecte. Le VIH est un lentivirus qui induit une lente dégradation du système immunitaire et conduit progressivement à la maladie sida (syndrome d’immunodéficience acquise). Le corps est alors vulnérable à de multiples infections opportunistes (toxoplasmose, pneumocystose, cryptococcose, etc.).

Comme les lymphocytes sont des cellules qui ont un rôle extrêmement important dans le système immunitaire, elles sont toujours en action. Or, dès qu’elles sont actives, elles produisent du virus. La réplication du virus est donc continue.

Les traitements antirétroviraux et leur combinaison en trithérapie permettent uniquement de bloquer la multiplication du virus. Ces traitements – qui doivent être pris à vie – empêchent l’infection d’évoluer vers le sida mais ne permettent pas d’éliminer les cellules infectées et donc d’éradiquer le virus. Les lymphocytes infectés se mettent à l’état de dormance et ne sont pas reconnus comme infectés, il est donc impossible de les éliminer. C’est l’obstacle majeur de cette infection. C’est aussi un obstacle à la vaccination thérapeutique.

C’est la raison pour laquelle il n’existe, à ce jour, aucun vaccin contre le sida ?

Ce virus déjoue continuellement les réponses immunitaires, il les contourne. Toutes les approches vaccinales qui ont été testées ont, jusqu’à présent, échoué à faire un vaccin efficace, y compris les vaccins à adénovirus (qui utilisent un virus vivant, mais rendu inoffensif, pour véhiculer une partie de l’ADN d’un autre virus, en l’occurrence celui du VIH, dans les cellules afin de déclencher une réponse immunitaire).

Le VIH induit une réponse immunitaire bien modeste, et l’on ne sait pas la rendre puissante et efficace ; on ne sait pas quelles sont les réponses immunitaires qui seraient assez efficaces pour protéger les personnes de l’entrée du virus dans l’organisme. De plus, il existe beaucoup de variants, il faudrait donc plein de vaccins différents.

Les personnes séropositives ont des anticorps contre le VIH, mais ce ne sont pas des anticorps capables d’éliminer les cellules infectées car ces cellules sont majoritairement au repos et ne sont pas reconnues par le système immunitaire comme étant porteuses du virus.

Ce virus est terriblement intelligent : il sait se cacher et contourner les défenses de l’organisme. En infectant directement le système immunitaire, il va en quelque sorte « diriger » les réponses immunitaires, tout en les détruisant progressivement.

En quoi le coronavirus est-il différent du VIH ? Comment expliquer qu’on ait réussi à trouver un vaccin contre le Covid-19 en moins d’un an ?

Il y a un point commun entre le VIH et le coronavirus : ce sont des virus dont le matériel génétique est de l’ARN (acide ribonucléique). Mais seul le VIH a une enzyme capable de transformer son ARN en ADN, lui permettant de s’incorporer dans le chromosome des cellules infectées. Or c’est précisément ce qu’on ne sait pas faire : éliminer un génome viral d’un chromosome.

Les coronavirus n’ont pas cette enzyme. De plus, ils touchent des cellules qui vont être facilement détruites par le système immunitaire et l’organisme va réussir à déclencher des réponses immunitaires globales associées dans un premier temps à une inflammation – le nez qui coule, par exemple. L’organisme va déclencher ensuite des réponses immunitaires spécifiques, c’est-à-dire adaptées au coronavirus. Le tout permet d’éliminer le virus et d’éradiquer totalement l’infection, le plus souvent en une dizaine de jours.

Le SARS-CoV-2 est un virus qui entre par les voies aériennes supérieures (nez, pharynx et larynx) et qui se multiplie dans les cellules du nez et de la gorge. Grâce au système que je viens de décrire, dans la majorité des cas, le virus est éliminé en quelques jours sans aucune incorporation du matériel génétique dans le chromosome des cellules. Mais chez certaines personnes, notamment celles ayant une ou plusieurs comorbidités, les choses peuvent s’aggraver : le virus persiste et descend dans les poumons, il peut alors conduire à une pneumonie, voire à une insuffisance respiratoire pouvant causer la mort du patient.

Les vaccins à ARN messager constituent une révolution

Comme pour l’infection par le virus de la grippe, l’infection par le SARS-CoV-2 induit des réponses immunitaires relativement solides, que l’on sait en outre produire par la vaccination. Les vaccinés sont protégés au moins dix à douze mois. Le problème qui persiste actuellement est lié aux variants qui peuvent émerger pour contourner les réponses vaccinales. Jusqu’à présent, on constate que la vaccination contre le virus A protège relativement bien contre le variant B. Toutefois, même vacciné contre le A, une surinfection au B reste possible (sans développement de forme grave).

C’est tout l’enjeu dans les mois à venir et cela dépendra de la puissance des vaccins, car tous les vaccins disponibles ne sont pas équivalents. Les vaccins à ARN messager constituent une révolution : ils sont particulièrement puissants et représentent une avancée considérable en vaccinologie. Avec ces vaccins, l’idée est de laisser nos cellules fabriquer elles-mêmes en abondance le composant contre lequel notre organisme va apprendre et s’entraîner à lutter.

Aujourd’hui, quels sont les traitements utilisés pour les patients séropositifs ? Pourquoi ces traitements ont-ils mis du temps avant d’être efficaces ?

La recherche de traitements a pu paraître longue, mais les résultats sont là : d’abord la monothérapie, puis la bithérapie, avec des effets secondaires importants, puis les trithérapies à partir de 1995. Les traitements actuels sont de plus en plus efficaces et de mieux en mieux tolérés, avec relativement peu d’effets indésirables. A tel point que, désormais, les sujets infectés traités ont une vie pour ainsi dire normale. C’est la compréhension très fine des mécanismes moléculaires de la multiplication du virus qui a permis peu à peu de créer des molécules bloquantes, empêchant l’évolution vers le sida.

Il faut comprendre que le virus n’est rien sans la cellule : à l’extérieur d’une cellule, un virus est une particule inerte. Une fois à l’intérieur de la cellule, le virus va détourner toute la machinerie cellulaire à son profit. C’est le virus qui gagne. La cellule, elle, construit et produit progressivement de nombreuses particules virales qui vont se diffuser.

Toutes ces recherches ont permis de montrer qu’en ciblant des enzymes spécifiques du VIH on empêche la multiplication du virus et on bloque l’évolution de l’infection. Les cellules infectées sont dormantes et il n’y a pas de destruction des lymphocytes. Mais, une fois encore, cela n’élimine pas les cellules infectées, qu’on appelle alors cellules réservoirs du VIH.

Dans combien de temps peut-on espérer avoir un vaccin contre le sida ?

C’est impossible à dire. Néanmoins, je suis optimiste : on peut espérer que des essais de vaccins à ARN messager contre le sida puissent être rapidement testés pour empêcher l’infection de pénétrer l’organisme (donc à titre préventif). Peut-être, aussi, pourra-t-on commencer par tester des vaccins thérapeutiques. En tout cas, vu la puissance de ces vaccins, le champ des possibles est devenu énorme. Mais n’oublions pas que l’aventure scientifique des vaccins à ARN messager a débuté il y a plus de vingt ans. Il faut du temps.

Dans un futur plus ou moins proche, il est possible d’imaginer que l’industrie pharmaceutique va d’abord s’intéresser à des maladies simples et touchant un public très large, comme la grippe saisonnière, afin de prouver l’efficacité du système à ARN messager, avant de s’attaquer à des infections virales plus complexes comme celle du VIH.