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Source : Libération

Un avis du Conseil national du sida s’alarme de la faible diffusion de ce dispositif médicamenteux qui permet d’éviter d’être contaminé par le VIH et demande à en faciliter l’accès, notamment pour les femmes, les migrants, les personnes trans et les prostituées.

C’est un constat sévère qu’a dressé, le 7 mai, le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS), sur la lenteur de l’usage de la Prep en France, alors que c’est un outil formidable pour casser l’épidémie de VIH. La Prep (pour prophylaxie pré-exposition), c’est donc prendre un médicament antirétroviral avant une relation sexuelle à risque et les deux jours suivants le rapport, ou le prendre ensuite en continu. Si la personne suit bien ces instructions, elle est protégée à 100 %. En France, cette prescription est autorisée depuis le 1er janvier 2016. Dans un rapport de l’Igas (inspection générale des affaires sociales) en mars 2017, il avait été d’ailleurs noté que, certes, la France avait été plus rapide que ses voisins européens pour la rendre disponible, mais que l’on aurait pu éviter 350 contaminations si les autorités sanitaires avaient été un peu plus réactives.

97 % des usagers de Prep sont des hommes

Cinq ans plus tard, c’est un véritable gâchis. Selon le CNS, plus de 32 000 personnes ont débuté une Prep en France. «Le nombre d’initiations a augmenté constamment au cours de la période, à un rythme qui s’est accéléré à compter de mi-2018, mais il a été brutalement freiné en 2020 dans le contexte de crise sanitaire lié à l’épidémie de Covid-19. La proportion des initiateurs qui renouvellent leur prescription est élevée, de sorte que le nombre total d’utilisateurs a progressé tout au long de la période pour atteindre plus de 21 000 personnes au premier semestre 2020.»

Première déception : ce chiffre n’augmente plus. Et reste plus faible que prévu, «en raison du ralentissement des initiations et également d’une baisse du taux de renouvellement durant la période de confinement». En clair, les personnes qui en prenaient ont, pour un certain nombre, arrêté.

Deuxième constat : «L’utilisation de la Prep sur le territoire demeure inégale. Elle est à plus de 70 % le fait de personnes résidant dans des unités urbaines de plus de 200 000 habitants. Paris concentre plus du quart des usagers de Prep en France, et l’ensemble de la région Ile-de-France plus de 40 %.»

Surtout, elle reste limitée aux gays. «Sur le plan national, la quasi-totalité des usagers de Prep – près de 97 % – sont des hommes, dont la très grande majorité a des relations sexuelles avec des hommes. On estime ainsi en Ile-de-France que les HSH (homme ayant des relations sexuelles avec les hommes) représentent 93 % de l’ensemble des usagers. L’âge moyen à l’initiation de la Prep est d’environ 37 ans. La part des moins de 25 ans fluctue entre 16 % et 19 % au cours des deux dernières années.»

Ouvrir la prescription à tous les médecins

Pour autant, l’usage de la Prep, même parmi les gays, demeure largement insuffisant. Au regard des risques pris, «près du tiers des HSH non séropositifs répondants à l’enquête sont potentiellement éligibles à la Prep. Or parmi ces HSH éligibles, seulement un sur cinq utilise la Prep». Au final, le constat est amer : «L’utilisation de la Prep par des personnes autres que des HSH apparaît extrêmement marginale, et en particulier par des femmes, dont la proportion parmi les usagers a très peu progressé depuis 2016 et ne dépasse guère 3 %.»

Et ce n’est pas la seule limite : «D’autres groupes de population sont exposés à des risques élevés de contracter le VIH et concentrent une part importante des transmissions. Les trois quarts des nouveaux diagnostics en population hétérosexuelle concernent des personnes nées à l’étranger, dont huit sur dix dans un pays d’Afrique subsaharienne. Les hommes et les femmes hétérosexuels originaires d’Afrique subsaharienne représentent ainsi près du tiers de l’ensemble des nouveaux diagnostics observés en France en 2018.» Enfin, «les personnes trans, et les travailleurs et travailleuses du sexe, notamment étrangers, confrontés à des conditions de vie très précaires et une forte stigmatisation, constituent deux autres groupes de population numériquement faibles, mais disproportionnément concernés par l’épidémie de VIH en raison du cumul de facteurs qui majore leur exposition aux risques». Et voilà donc que ceux qui auraient besoin fortement de la Prep – les femmes, les migrants, les personnes trans, les prostituées –, n’y ont pas accès, ou du moins ne s’en servent pas.

En 2021, le bilan est donc sévère. Et les raisons de cet échec sont connues, listés sans surprise par le CNS. D’abord, «la promotion de la Prep a jusqu’ici été ciblée quasi exclusivement en direction des HSH». Ensuite, l’offre actuelle se fait par le biais des centres de dépistages et dans des services hospitaliers spécialisés. «Cela n’est pas adapté à certains publics et cela apparaît par ailleurs fréquemment saturé.» La solution ? Elle est connue de tous : l’ouverture de la prescription de la Prep à tous les médecins. Or cela bloque, la Direction générale de la santé débordée tarde à pondre un décret le permettant. Et le ministre de la Santé, Olivier Véran, ne secoue guère ses troupes.

6 000 nouveaux contaminés par an

Mais cela ne suffira pas. Car, comme le souligne le CNS, «en dehors des structures spécialisées, les professionnels de santé sont peu sensibilisés et formés aux questions de santé sexuelle et de prévention des risques liés à la sexualité». Ainsi certains professionnels redoutent que la Prep puisse avoir des effets inverses, entraînant comme une «désinhibition des comportements et compensation du risque». Pour le CNS, s’il est indéniable que le développement de la Prep s’inscrit «dans un contexte de baisse de l’usage systématique du préservatif, d’augmentation des infections sexuellement transmissibles et d’accroissement de certains comportements à risques, notamment liés aux pratiques de chemsex [relations sexuelles sous drogues, ndlr]», rien n’indique que cela est lié à la diffusion de la dite Prep.

Que va-t-il se passer ? Les réponses sont connues. Le CNS insiste ainsi sur un changement de paradigme nécessaire : la Prep «doit désormais être définie comme outil de prévention pouvant bénéficier à toute personne à différents moments de la vie pour se protéger du VIH». Des campagnes grand public et promotion ciblée doivent être menées. «Les nombreux freins observés à un recours plus large à la Prep doivent désormais être levés.» Et cela d’autant plus que l’accès à de nouvelles modalités de Prep à longue durée d’action arrivent. C’est-à-dire qu’il va suffire, bientôt, d’une seule prise d’un médicament par mois pour être protégé.

Des opportunités s’ouvrent. Et ce temps qui passe est perdu. Rappelons que tous les ans il y a autour de 6 000 nouvelles contaminations, et que même en termes froidement économiques, faire baisser ce chiffre se révélerait particulièrement rentable…