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Source : CUSM

Une nouvelle étude révèle que non seulement les cellules souches peuvent être ciblées pour une vaccination protectrice, mais qu’elles peuvent aussi être détournées par un agent pathogène pour augmenter la virulence de la tuberculose.

Montréal, le 29 octobre 2020 – Depuis la découverte de la Mycobacterium tuberculosis (Mtb) – l’agent causal de la tuberculose (TB) par Robert Koch au XIXe siècle, la TB a défié les efforts des scientifiques visant à mettre fin à cette vieille pandémie qui tue encore environ 1,6 million de personnes par an.

Une équipe de chercheurs dirigée par le Dr Maziar Divangahi, immunologiste pulmonaire à l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) et professeur de médecine à l’Université McGill, et le Dr Luis Barreiro, éminent généticien de l’Université de Chicago, avait précédemment montré que l’exposition de cellules souches de la moelle osseuse (responsables de générer toutes les cellules immunitaires) à un vaccin BCG vivant (le seul vaccin disponible contre la tuberculose) avait pour effet de reprogrammer ces cellules pour générer une immunité innée protectrice contre la tuberculose. Cependant, une question demeurait en suspens : quelles conséquences revêt l’exposition des cellules souches à l’agent pathogène Mtb?

Cette question est élucidée dans une nouvelle étude publiée aujourd’hui dans Cell par le Dr Divangahi et ses collaborateurs. L’équipe démontre qu’à un stade très précoce (7 à 10 jours) de l’infection pulmonaire à la Mtb, les bactéries se déplacent des poumons vers la moelle osseuse et reprogramment les cellules souches pour affaiblir l’immunité innée contre la tuberculose. L’étude démontre également que l’impact protecteur du BCG et l’effet néfaste de la Mtb virulente sur l’immunité durent au moins un an.

« Ce qui est nouveau dans cette étude, c’est que nous savons maintenant que la Mtb détourne la réponse immunitaire au tout début de l’infection en accédant à la moelle osseuse et en manipulant les cellules souches. Cela conduit à la génération de cellules immunitaires innées affaiblies, qui sont effectivement incapables de combattre l’infection dans le poumon, permettant ainsi à la bactérie de se développer, » explique la Dre Nargis Khan, première auteure de l’étude, qui a rejoint le laboratoire du Dr Divangahi après avoir terminé son doctorat en Inde.

Les cellules souches sont généralement en dormance, mais se « réveillent » lorsqu’il y a une demande, par exemple à la suite d’un stress ou d’une infection. Elles s’adaptent rapidement à la menace en générant toutes les cellules immunitaires et peuvent être « éduquées » pour produire des cellules immunitaires innées qui confèrent une protection accrue contre l’infection – un concept appelé immunité formée.

En utilisant un modèle de souris préclinique de la tuberculose, cette étude explique comment l’infection affecte le système immunitaire inné. Grâce à des collaborations internationales avec les docteurs Luis Barreiro (États-Unis), Joaquin Sanz (Espagne) et Miguel Soares (Portugal), les auteurs révèlent le mécanisme moléculaire par lequel les cellules souches exposées à la Mtb réduisent à la fois le nombre et la capacité antimicrobienne des macrophages – les globules blancs qui tuent normalement les bactéries envahissantes – qui sont également les premiers répondants du système immunitaire.

« Sur le plan mécanique, nous avons découvert que la régulation des niveaux de fer dans les cellules souches est essentielle pour maintenir leur capacité à générer des macrophages protecteurs, et ces niveaux ont été modifiés par la présence de la Mtb. Le fer est un micronutriment essentiel, nécessaire à la fois à l’homme et à la Mtb pour survivre. Ainsi, cette manipulation des niveaux de fer dans les cellules souches par la Mtb représente un nouveau lien intéressant entre l’acquisition de nutriments et la virulence des agents pathogènes, » déclare Jeffrey Downey, co-premier auteur de l’étude, qui termine actuellement son doctorat dans le laboratoire du Dr Divangahi.

« Ultimement, les cellules immunitaires doivent se rendre sur le site de l’infection et combattre l’agent pathogène, explique le Dr Divangahi. Mais une fois que la fonction des cellules souches qui sont responsables de les générer a été corrompue par la Mtb, elles perdent leur capacité à lutter efficacement contre l’infection dans le poumon. »

« Plutôt que de se concentrer sur le poumon comme site initial de nombreuses infections pulmonaires, il vaudrait mieux déchiffrer le code protecteur des cellules souches dans la moelle osseuse – le site privilégié responsable de générer l’ensemble des cellules immunitaires contre tous les envahisseurs, » ajoute-t-il.

Les leçons de la vieille pandémie de tuberculose : Pouvons-nous exploiter la puissance d’une immunité « entraînée » contre la COVID-19 ?

Étant donné l’absence de thérapie ou de vaccin ciblé, il est urgent de trouver d’autres approches pour éradiquer la tuberculose. Une nouvelle voie prometteuse, non seulement pour la tuberculose, mais aussi pour d’autres maladies infectieuses comme le COVID-19, consiste à comprendre comment exploiter la puissance de l’immunité innée.

Sur la base de cette approche, les scientifiques pourraient éventuellement développer des vaccins conçus pour offrir une large protection contre de nombreuses maladies infectieuses. Certains testent déjà l’efficacité des vaccins vivants existants pour lutter contre d’autres infections.

« C’est le fondement de divers essais cliniques réalisés dans le monde entier pour déterminer si le vaccin BCG peut renforcer le système immunitaire inné contre le SRAS-CoV-2 – le virus responsable de la COVID-19, » explique le Dr Divangahi.

« Bien que nous n’en soyons qu’au début de la compréhension de l’immunité « entraînée », nous nous efforçons de combler le fossé entre ce que nous voyons en laboratoire et ce que nous pouvons utiliser chez les patients », ajoute-t-il.

Des études comme celle-ci, et d’autres à venir visant également à comprendre les mécanismes de l’immunité « entraînée » dans le contexte de diverses infections, sont nécessaires pour atteindre cet objectif.

À propos de l’étude

L’étude M. tuberculosis reprograms hematopoietic stem cells to limit myelopoiesis and impair trained immunity a été menée par Nargis Khan, Jeffrey Downey, Joaquin Sanz, Eva Kaufmann, Birte Blankenhaus, Alain Pacis, Erwan Pernet, Eisha Ahmed, Silvia Cardoso, Anastasia Nijnik, Bruce Mazer, Christopher Sassetti, Marcel A. Behr, Miguel P. Soares, Luis B. Barreiro et Maziar Divangahi.

Cette étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).

DOI: 10.1016/j.cell.2020.09.062

À propos de l’Institut de recherche du CUSM

L’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (IR-CUSM) est un centre de recherche de réputation mondiale dans le domaine des sciences biomédicales et de la santé. Établi à Montréal, au Canada, l’Institut, qui est affilié à la faculté de médecine de l’Université McGill, est l’organe de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) – dont le mandat consiste à se concentrer sur les soins complexes au sein de sa communauté. L’IR-CUSM compte plus de 420 chercheurs et près de 1 200 étudiants et stagiaires qui se consacrent à divers secteurs de la recherche fondamentale, de la recherche clinique et de la recherche en santé évaluative aux sites Glen et à l’Hôpital général de Montréal du CUSM. Ses installations de recherche offrent un environnement multidisciplinaire dynamique qui favorise la collaboration entre chercheurs et tire profit des découvertes destinées à améliorer la santé des patients tout au long de leur vie. L’IR-CUSM est soutenu en partie par le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS) www.ircusm.ca

Source : UNAIDS

Des données obtenues récemment révèlent que la pandémie de COVID-19 a des répercussions considérables sur les services de dépistage du VIH, mais son impact sur le traitement du VIH a été moindre que ce qui était craint à l’origine.

La situation concernant les services de prévention de la transmission verticale du VIH (de la mère à l’enfant) est néanmoins contrastée. À partir d’avril, les pays ont enregistré de manière générale un recul du nombre de femmes faisant un dépistage du VIH lors de leur première visite prénatale dans un établissement de santé, mais cette tendance s’est inversée dès le mois de juin.

L’ONUSIDA, l’Organisation mondiale de la Santé et le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance ont lancé en août 2020 une campagne de collecte de données afin de recenser les perturbations causées par la COVID-19 et affectant les services réguliers de la lutte contre le VIH au niveau national, régional et mondial. Parmi les 43 pays ayant fourni des informations concernant la prévention de la transmission verticale du VIH, 17 ont partagé des données qui ont permis d’identifier des tendances.

Un ratio a été calculé en utilisant janvier comme point de comparaison afin de mesurer l’impact de la COVID-19 sur les services de prévention de la transmission verticale du VIH. Autrement dit, si le nombre de femmes accueillies en avril est resté constant par rapport à janvier, alors ce ratio est de 1. S’il a reculé, alors ce taux est inférieur à 1.

En avril par rapport à janvier, tous les pays sauf le Mozambique et la Jamaïque ont signalé un déclin du nombre de femmes faisant un test du VIH lors de leur première visite prénatale dans un établissement de santé. À partir de juin ou juillet, 14 des 17 pays avaient de nouveau atteint le niveau de février (tous sauf l’Indonésie, le Botswana et la Sierra Leone).

Parmi les 15 pays ayant fourni des informations sur le traitement de femmes enceintes vivant avec le VIH, le nombre de femmes sous traitement est revenu au niveau de février pour tous les pays sauf 5 (Botswana, Afrique du Sud, Sierra Leone, Togo et Guatemala).

Source : INFO VIH

Depuis quelques années, les inhibiteurs d’intégrase ont été décrits comme association à une prise de poids chez les PVVIH. Des cas cliniques et quelques séries ont évoqué un sur-risque de diabète chez les patients traités par inhibiteurs d’intégrase.

Les inhibiteurs d’intégrase font prendre du poids. Pour certains auteurs, ils pourraient même être associés à une augmentation du risque de diabète chez les PVVIH. Qu’en est-il dans la cohorte française DAT’AIDS ? Les auteurs se sont intéressés à l’occurrence d’un diabète chez les patients ayant initié un traitement antirétroviral entre 2009 et 2017. Parmi les 19 462 patients recevant une première ligne de traitement entre 2009 et 2017, 3 403 ont initié un traitement avec un inhibiteur d’intégrase.

L’incidence du diabète a été estimée à 4,2/1000 patients/année. Aucune différence n’a été observée entre les troisième agents (inhibiteurs d’intégrase, inhibiteurs de protéase, inhibiteurs non nucléotidiques de la transcriptase inverse) sur le risque de survenue de diabète. Seuls, l’indice de masse corporelle > 30 kg/m2 et un âge supérieur à 46 ans étaient associés à une augmentation du risque de diabète. Ces résultats peuvent être comparés à ceux d’une étude nord américaine dans la cohorte NA-ACCORD, qui identifie un sur-risque de diabète en cas d’utilisation des inhibiteurs d’intégrase et des inhibiteurs de protéase en comparaison avec inhibiteurs non nucléotidiques de la transcriptase inverse. Cependant, le poids semble aussi bien jouer aux Etats-Unis, lorsque les auteurs considéraient la prise de poids en 12 mois, l’effet des inhibiteurs d’intégrase sur la survenue d’un diabète était tout de même atténué. Faut-il réserver les inhibiteurs d’intégrase aux patients les plus minces et qui conservent une bonne activité physique ?

Source : LE QUOTIDIEN DU PARHAMACIEN

Le 22 octobre, le ministère de la Santé a indiqué aux syndicats et à l’Ordre des pharmaciens que 3 millions de doses de vaccins contre la grippe seraient livrées aux officines d’ici à la fin du mois de novembre. Insuffisant pour envisager la vaccination des personnes hors de la population cible, estime la FSPF. Inacceptable, pour l’USPO : les pharmacies n’auront finalement pas plus de doses que l’an passé.

Les pharmaciens n’oublieront pas de si tôt le début de la campagne de vaccination antigrippale 2020-2021. Les chiffres donnent en effet le tournis. Au premier jour de campagne, le mardi 13 octobre, 2,2 millions de doses de vaccins ont été délivrées en officine dont 400 000 directement administrés aux patients. À la date du 21 octobre, 7,5 millions de doses ont été écoulées par les pharmaciens français selon les chiffres du ministère de la Santé.

L’appel des médecins, de sociétés savantes et même de certains politiques aux personnes âgées et vulnérables à se faire immuniser contre la grippe, alors que l’épidémie de Covid-19 risque d’engorger les hôpitaux cet hiver, a été largement entendu. L’an dernier, seulement la moitié des 16 millions de patients de la population cible avait été immunisée contre la grippe. Va-t-on considérablement améliorer la couverture vaccinale cette année « grâce » à la menace Covid ? Les chiffres exceptionnels des premiers jours s’expliquent peut-être, comme cela a été observé dans l’hémisphère sud, par la peur de la pénurie de la part de patients qui ont parfaitement compris qu’il ne valait mieux pas attendre le mois de novembre. Toujours est-il que cet afflux de demandes a entraîné une pénurie dans de nombreuses pharmacies. Selon l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), 60 % des officines étaient en rupture dès le samedi suivant le lancement de la campagne et plus de 80 % l’étaient dans le courant de la deuxième semaine selon les chiffres du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens (CNOP).

Des situations difficiles au comptoir

Des ruptures dues à l’engouement des patients mais aussi au séquençage des livraisons, regrette Gilles Bonnefond, président de l’USPO. « Pourquoi les pharmacies n’ont-elles pas été approvisionnées en 2020 de la même manière que les années précédentes ?, questionne-t-il. Les laboratoires ont décidé de nous livrer en plusieurs fois, alors qu’auparavant l’intégralité des commandes étaient reçues avant le début de la campagne. » Pire, Gilles Bonnefond affiche sa déconvenue après avoir appris, le 22 octobre, que le nombre de vaccins prévu dans les officines n’a en réalité pas été revu à la hausse. « On a tous compris qu’il y avait une augmentation de 20 % de l’approvisionnement, qu’il y aurait 13 millions de doses au lieu des 11 millions de l’an dernier, ça a été dit et repris partout dans les médias, et aujourd’hui on nous dit que nous avons mal compris. Je réponds que cela a été assez mal formulé pour qu’on ne comprenne pas, car si nous avions su qu’il n’y avait pas de dose supplémentaire, on aurait très mal réagi ! » A cela s’ajoutent des commandes de vaccins faites directement par des entreprises pour en faire bénéficier leurs collaborateurs, en dehors de toute considération de priorisation. « Lorsque la DGS a annoncé le principe de priorisation en septembre, les laboratoires auraient dû refuser de livrer ces entreprises même si rien ne les y obligeait », souligne le président de l’USPO.

En tout cas, les pharmaciens ont respecté la doctrine de priorisation des patients, selon les constatations du CNOP. Ce que Gilles Bonnefond confirme : « L’an dernier, 11 % des vaccins ont été délivrés à des personnes ne présentant pas de bon. Cette année, nous en sommes à 7 %, et il s’agit principalement du personnel des EHPAD et de l’officine, et de personnes bénéficiant d’une prescription médicale. » Pour sa part, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a eu vent de plaintes – ou de menaces de plaintes – de patients à qui des pharmaciens ont refusé la délivrance d’un vaccin parce qu’ils n’avaient pas de bon ou que les doses encore en stock étaient déjà réservées à des patients prioritaires. « Le courrier du ministre la Santé au sujet de la priorisation des patients a été publié dans le « Journal Officiel », cela lui donne un certain poids, rappelle Pierre Béguerie, président de la section A du CNOP. Toutefois, nous aurions préféré que cette règle fasse l’objet d’une loi ou d’un décret. » Sans jurisprudence sur le sujet, difficile aujourd’hui de savoir si une plainte adressée contre un pharmacien pour refus de vente de vaccin pourrait aboutir.

Trois millions de doses à venir

Le 22 octobre, lors d’une réunion au ministère de la Santé, les syndicats et l’Ordre des pharmaciens ont obtenu quelques précisions sur le nombre de vaccins qui seront livrés dans les prochaines semaines. « Les pharmacies recevront 3 millions de doses entre la semaine 44 (du 26 octobre au 1er novembre) et la semaine 48 (entre le 23 et le 29 novembre). Dès cette semaine, un peu moins d’un million de doses seront livrées aux officines, détaille Philippe Besset, président de la FSPF. À partir du 1er décembre, il ne restera plus que le stock de l’État, soit environ 2 millions de doses. » Un stock d’État qui n’existe pas encore puisque les négociations sont en cours, selon Gilles Bonnefond. Pour lui, au vu de la forte concurrence entre les pays, tant que ces vaccins ne sont pas arrivés en France, mieux vaut ne pas trop compter dessus.

Il regrette par ailleurs le manque de flexibilité des laboratoires pour accélérer les livraisons de vaccins aux officines. Mais Philippe Besset tempère : « Les laboratoires Mylan et Sanofi nous ont assuré que l’ensemble des commandes faites par les pharmacies seront livrées. Néanmoins, ces quantités ne suffiront pas à couvrir l’ensemble des besoins. Il faut prendre conscience dès aujourd’hui qu’il ne sera pas possible de vacciner cette année des personnes hors de la population cible. » Face à ce constat, Philippe Besset demande la parution d’un arrêté. « Aujourd’hui, le courrier de la Direction générale de la Santé (DGS) indique que les personnes qui n’ont pas de bon pourront être vaccinées à partir du 1er décembre. De toute évidence, cela ne va pas être possible. Il y a besoin d’une clarification qui doit passer, selon nous, par un arrêté. » Une demande à laquelle la DGS a, semble-t-il, été plutôt réceptive.

Cet hiver, les personnes qui ne peuvent prétendre aux bons de vaccination devront donc se contenter des gestes barrière pour se protéger de la grippe saisonnière. Pour l’heure, insatisfait de la situation, Gilles Bonnefond demande une réunion, dès janvier, avec les industriels, les grossistes-répartiteurs, les pharmaciens, l’assurance-maladie et l’État pour mettre en place ensemble la stratégie de vaccination antigrippale pour la saison 2021-2022.

Pascal Marie et Mélanie Mazière

Source : LIBERATION

Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines. Pour «Libération», il tient la chronique d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus. Aujourd’hui, il donne la parole à l’activiste du sida Fred Bladou.

J’ai rencontré Fred Bladou dans une autre vie, en 2007, quand je militais au côté d’Act Up contre les franchises qu’imposait Nicolas Sarkozy pour défaire la prise en charge solidaire des soins. Jeune médecin en loden, bon client pour les journaux télévisés, j’ai été adopté par cette troupe courageuse. Ces «usual suspects» n’hésitaient pas à zapper les meetings de Sarkozy, à asperger de faux sang l’entrée du ministère de la Santé. Ils poursuivaient dans les allées de Solidays Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, qui réformait l’hôpital public et mettait en place la tarification à l’activité et des économies drastiques qui ont fait le lit de la situation actuelle. Nous avons perdu. Les malades ont payé dans leur chair. Parce qu’il n’y avait déjà pas d’argent magique, et que piquer de la petite monnaie dans la poche des cancéreux et des séropos était mieux vu que de taxer les stock-options, comme l’avait alors proposé Philippe Seguin, qui n’était pourtant pas exactement le sous-commandant Marcos. Toujours militant, toujours en colère, toujours activiste du sida, Fred Bladou aborde le Covid avec en mémoire la lutte contre cette autre pandémie :

«On n’allait pas y échapper et très franchement, je ne voyais aucune alternative au confinement, face aux chiffres catastrophiques enregistrés ces derniers jours. Je vais me plier aux injonctions, aux mesures coercitives, liberticides, à contrecœur. Je vais également me passer, bien volontiers, des leçons de morale de quelques adeptes du catastrophisme au rabais. Je les connais depuis si longtemps sur d’autres sujets – les drogues , le sida, la prep… – que je ne prête aucune attention à leurs discours.

«Délires mégalomanes de certains médecins»

«Mais je suis assailli de questions existentielles… Vais-je devoir écrire sur l’attestation infantilisante que je sors à moins d’un kilomètre acheter de la bouffe séparatiste et communautariste au rayon halal ou cacher de l’hyper ? Ces sujets semblaient si essentiels pour le gouvernement alors que l’épidémie explosait. Je suis autoconfiné depuis des mois : plus de rapports sexuels, de participation à des manifestations publiques, télétravail permanent, réduction drastique des interactions sociales (hors cercle amical très proche), limitation des déplacements, plus de théâtre, de cinéma ou de spectacles. Je les respecte ces putains de règles pour éviter de m’infecter ou d’infecter mes voisines octogénaires. Je les respecte tellement que ma vie se borne à travailler, que tout ce qui me procurait du plaisir est proscrit. Je les subis doublement parce que je vis avec le VIH et une invalidité et que, potentiellement, je serais à risques. « A risques » comme beaucoup, les obèses, les asthmatiques, les diabétiques, les vieux… toutes ces personnes que l’on a poussées à l’isolement sans rien faire pour les protéger et réduire l’angoisse qu’elles vivent depuis le mois de février.

«Nous subissons l’incapacité des pouvoirs publics à nous protéger, les délires mégalomanes de certains médecins qui veulent leur quart d’heure de gloire télévisuel, leurs publications et leurs financements. Nous gérons entre mensonges de l’Etat, approximations scientifiques et brimades infondées. Nous gérons et nous subissons.

«C’est le pouvoir des politiques et des sociétés savantes contre le peuple. C’est l’hôpital public, ses soignants précaires et les malades, les familles des malades, les plus pauvres, les travailleurs sans télétravail qui trinquent. Ce sont les médecins et les personnels en ville qui ont été abandonnés littéralement pendant la première vague. Ils se sont débrouillés avec les moyens du bord, sans masque, sans soutien. Certains en ont fait les frais et ont payé très cher le respect du serment d’Hippocrate. Rien à ma connaissance n’a été amélioré pour aucun d’entre eux depuis la première vague.

«Je suis en colère. Terriblement»

«Le peuple subit une stratégie de santé à la petite semaine, sans jamais être consulté. On l’enferme, on le pénalise, on lui dresse des procès-verbaux parce qu’il n’est pas sage, qu’il se promène dans les bois ou sur la plage. Les délateurs affichent ces citoyens irresponsables sans consentement dans les pages d’une sale presse ou sur les réseaux sociaux, dès qu’il boit une bière sur le bord du canal. On lui interdit d’accompagner ses aînés qui crèvent, seuls, en Ehpad. On lui interdit de se marier ou même d’aller faire l’amour avec un ou une inconnu(e).

«Un contre-pouvoir ? Eh bien non. Certaines associations de défense des usagers du système de santé sont pour le moins complaisantes. D’autres, au contraire, se démènent. Elles doivent être entendues afin que les personnes malades qu’elles représentent voient de réelles améliorations dans leur vie quotidienne. Tout ce que nous avons appris du sida est effacé des stratégies de santé. On gère cette épidémie comme si c’était la première.

«Alors oui, je suis en colère. Terriblement. On perd nos familles, nos libertés, nos emplois pendant que quelques boomers suffisants se tirent la bourre sur les plateaux télé et massacrent notre vie sociale, nos promenades, nos salles de sport, nos dance-floor, nos artistes et nos réunions de famille.

«Les experts de la santé mentale sont ignorés. Rien n’est fait ou même pensé pour réduire les risques psycho-sociaux. Je suis membre du comité scientifique de SOS addictions. Les personnes vulnérables, souffrant d’une pathologie psy ou d’addictions se sont retrouvées en rupture de soins ou de traitement à une période hyper anxiogène, renvoyées à l’isolement et à la détresse. Les professionnels de l’addictologie se sont adaptés en mettant en place des systèmes de prise en charge à distance, en exposant les acteurs de la réduction des risques et de l’auto-support, ne comptant plus leurs heures et sans qu’aucun soutien particulier n’ait été réfléchi par le ministère de la Santé. Nous avons assuré et tenu bon malgré le contexte exceptionnel et inédit, pour protéger nos publics. Depuis le déconfinement, nous gérons des situations de plus en plus complexes et ce second confinement risque de replonger les plus fragiles dans une situation incontrôlable. Nos recommandations sont occultées par les pouvoirs publics. Les usagers de produits psycho-actifs et les personnes en grande fragilité psy n’intéressent pas le gouvernement, dont l’objectif le plus flagrant est d’envoyer les gens travailler coûte que coûte.

«Il faut susciter l’adhésion du plus grand nombre»

«Françoise Barré-Sinoussi et Jean-François Delfraissy ont demandé à de nombreuses reprises la création d’une instance citoyenne composée d’acteurs de la santé, de citoyens, d’associatifs. Ces demandes sont restées vaines. La santé de toute la population ne dépend que de la décision politique sur fond de luttes fratricides entre médecins médiatiques et experts choisis prompts à soutenir un Etat défaillant. L’expérience du sida nous a enseigné que les politiques publiques, la prévention et la prise en charge des personnes vivant avec le VIH se construisent entre médecins, décideurs politiques et représentants associatifs des groupes les plus exposés. Pour qu’une stratégie de santé fonctionne, il faut susciter l’adhésion du plus grand nombre. On construit avec les gens et pas pour les gens.

«Les erreurs du gouvernement ont lâché sur la Toile des milliers de conspirationnistes. Il faut changer de braquet et coconstruire avec le peuple, une stratégie adaptée. Il est temps d’envoyer chier ces quelques mandarins égocentriques qui monopolisent le débat public et les chaînes d’infos pour vendre un traitement inefficace. Il est temps de prendre la place des associations plus préoccupées par leur train de vie et les cocktails ministériels que par notre survie, notre bien-être et notre qualité de vie.

 «Rien n’a été préparé, rien n’a été anticipé. Les masques, les tests, la détresse des soignants, le manque de personnels, les fermetures de lits. Rien n’a changé depuis mars. Le gouvernement a compté sur un essoufflement de la dynamique de l’épidémie et nous en payons les conséquences aujourd’hui, nous, les personnels hospitaliers, les soignants. Le déconfinement est un échec et cette deuxième vague était prévisible.

«Il faut cesser de compter les morts et d’agiter des chiffres alarmistes sans mettre en place une réelle stratégie de santé concertée et innovante, à la hauteur des challenges que nous impose cette nouvelle épidémie. Comme nous l’avions fait au temps d’Act Up-Paris, imposons-nous dans les débats et imposons notre calendrier pour ne plus nous faire enfermer sans bruit.»