La crainte du sevrage forcé
Pour Fred Bladou, en charge de la réduction des risques liés au chemsex chez Aides, le constat est multiple : « La disponibilité des produits est encore là. D’un côté ça me rassure car, pour l’instant, aucun chemsexeur ne va se retrouver face à un sevrage forcé auquel il n’adhère pas et qui ne soit pas une démarche personnelle et éclairée. Les sevrages forcés, c’est une horreur ! C’est créateur d’un climat encore plus anxiogène et de syndrome dépressionnaires. Ma crainte c’est que des consommateurs réguliers se retrouvent du jour au lendemain sans produit. »
Un week-end pas comme les autres
Selon lui, les consignes officielles n’ont pas été suffisamment claires. « L’État n’a pas été clair les premiers jours et n’a pas communiqué au sujet des risques de transmission du Covid-19 liés à la sexualité. Personne n’a dit : “ à partir d’aujourd’hui arrêtez les rapports sexuels avec des partenaires occasionnels parce que vous ne connaissez rien d’eux ”. Donc, le premier week-end (14/15 mars), les mecs ont continué à faire du chemsex. Puis, comme tout le monde, ils ont compris la gravité de la situation et sont rentrés en confinement. Le vendredi, pour la majorité des consommateurs, marque le début de l’activité chemsex. Ils se sont bien rendus compte à partir du vendredi d’après (le 20 mars) que leur week-end n’allait pas être comme les autres. C’est à ce moment-là que l’angoisse et le craving (état de manque) ont commencé à survenir. »
Un contexte traumatique majeur
D’après Fred Bladou, certains ont commencé à changer leurs pratiques. « Certains consommateurs se sont dit : “ Génial, j’en avais marre du chemsex et je voulais arrêter donc j’en profite ”. Sauf que ça génère une angoisse. On arrête pas une consommation de stimulants qui est très active du jour au lendemain. Il faut se faire accompagner. Pour certains il faudrait un traitement médical avec des anxiolytiques pour gérer le stress et craving. »
Au moment de notre entretien (jeudi 26 mars), Fred Bladou n’a pas encore été informé de cas grave mais il est inquiet pour les jours ou semaines à venir : « On est dans un contexte traumatique majeur. Personne n’a jamais été contraint à rester enfermé chez lui sans aller travailler et sans pouvoir avoir une vie sociale et sexuelle. Je peux aisément supposer que cette situation va provoquer des crises d’angoisses et des dépressions chez ceux qui pratiquent le chemsex. »
« La majeure partie des chemsexeurs se retrouvent dans leur vie professionnelle au chômage technique, sans activité régulatrice. »
Se fixer des cadres structurants dans la journée
La crainte, c’est aussi le fait que beaucoup de chemesexeurs se retrouve sans activité. « La majeure partie des chemsexeurs se retrouvent dans leur vie professionnelle au chômage technique, sans activité régulatrice. Un des éléments qui permet de maitriser la consommation de drogue c’est le fait d’avoir une activité sociale ou professionnelle. C’est un très bon réducteur de risque. Quand tu sais que tu dois aller bosser lundi matin, le dimanche tu t’arrêtes. Aujourd’hui les gens n’ont plus d’impératif pour se lever le matin. Nous, on leur conseille justement de continuer à mettre le réveil le matin, de se doucher, de faire une petite activité sportive, de manger à heure fixe, de faire le ménage etc. pour ne pas dérégler leur horloge biologique et se fixer des cadres structurants dans la journée. »
La peur de la sur consommation
Fred Bladou ne cache pas son inquiétude. « Entre le contexte anxiogène, l’inactivité et la disponibilité des produits, j’ai vraiment peur que certains ne maitrisent plus leur consommation. Un des gros facteurs de risques dans l’usage de drogue c’est justement le fait de consommer seul car, dans ce cas, personne ne voit si vous allez bien. Je pense à celui qui va acheter 1,5 litre de GBL sur internet et qui va en consommer beaucoup plus que d’habitude. S’il est seul, personne le ne verra faire un G-Hole (perte de connaissance pouvant aller jusqu’au coma/décès) ».
« On est en train de réinventer notre métier »
Depuis novembre 2016, le Spot Beaumarchais, un centre de santé sexuelle communautaire à Paris, organise tous les mardis soirs le « Chillout Chemsex »,un groupe de parole et d’auto support pour les hommes gays/bis qui pratiquent le chemsex.
Stephan Verhnes, responsable du Spot, raconte à Komitid comment le Spot a décidé d’adapter son activité au temps du confinement : « On s’est vite rendu compte qu’il allait falloir adapter notre offre d’accompagnement pour venir en soutien aux personnes. Au Spot, on a toujours travaillé de visu, en face à face. On est en train de réinventer notre métier pour basculer du réel au virtuel. C’est complètement nouveau pour nous et c’est vraiment intéressant. »
Une nouvelle forme de réunion se met donc en place. « On vient de lancer un groupe de parole virtuel sous forme de visioconférence où chacun peut participer de chez soi en se connectant à une plateforme sécurisée. Les personnes n’auront pas forcément besoin d’activer la visio et pourront utiliser un pseudo. L’idée est qu’elles se sentent le plus à l’aise possible. »
Stephan explique avoir identifié deux profils de « chemsexeurs » et a lancé deux groupes avec des problématiques différentes :
- ceux qui avaient arrêté de consommer ou qui étaient en réflexion sur leur consommation avant le confinement (visioconférence tous les mardis et vendredis de 15h à 16h30).
- ceux qui consommaient toujours des produits en contexte sexuel avant le confinement (visioconférence tous les mardis et vendredis de 17h à 18h30).
Discussions cryptées et respect de la confidentialité
Stephan explique l’organisation de ces discussions : « On va partir de notre file active d’usagers qui sont déjà venus au Spot mais on a également fait un post avec les liens de connexion sur un groupe Facebook privé Info Chemsex (by Aides). » Vous pouvez rejoindre ce groupe privé en cliquant ici ).
Stephan rappelle les règles : « La modération sera très stricte avec rappel du cadre et des valeurs du Spot (bienveillance, non jugement, respect de la parole, confidentialité, etc.) et interdiction formelle d’enregistrer les discussions qui seront cryptées. »
Une ligne d’écoute et de soutien Whatsapp
Pour ceux qui préfèrent rester plus discrets et échanger par écrit, l’association Aides a également mis en place une adresse mail dédiée (chemsex[at]aides.org), ainsi qu’un numéro Whatsapp (07 62 93 22 29) gérée par Stéphan et Vincent Leclercq, un autre militant de Aides très investi dans l’accompagnement chemsex.
Stéphan a un dernier message à faire passer : « Chez Aides on est dans l’écoute et le non jugement. On accompagne toutes les personnes qui nous contactent, y compris celles qui continuent de consommer des produits et d’avoir des rapports sexuels. On n’est pas là pour les juger mais pour réfléchir avec elles sur la meilleure stratégie à avoir pour réduire les risques ».