Source : Infirmiers.com
Droit de réponse suite à la publication de l’article « J’ai fait un AES et c’est une véritable angoisse pour moi le VIH! » ! paru en septembre dernier sur infirmiers.com Julien, infirmier, militant associatif, et Philippe, personne vivant avec le VIH, nous livrent leurs points de vue respectifs souhaitant de concert « mettre un terme à la sérophobie » qui sévit « par pure ignorance ».
Pour Julien : « si nous restons dans la peur, les patients aussi y resteront et c’est peut- être le plus grave »
Il y a quelques temps, j’ai eu la triste surprise de lire cet article qui partait de l’interrogation d’une étudiante victime d’un AES avec une personne séropositive au VIH. J’ai découvert alors un article qui mélangeait information factuelle sur la prise en charge d’un accident d’exposition au sang, propos de forum (plus proches de la spéculation que d’une affirmation fondée sur des faits scientifiques), et jugement de valeur (emploi par une professionnelle de santé du mot cochonnerie
).
Je suis infirmier, je suis militant associatif sur les questions de prévention en santé sexuelle. J’ai été membre du COREVIH Arc-Alpin et je travaille sur plusieurs projets concernant le VIH. Quand je lis ce genre de propos, je m’interroge non pas sur la peur des soignants, car avoir peur est légitime (surtout quand on ne connaît pas l’objet de la peur en question), mais sur la capacité que nous avons à nous former sur une question aussi capitale que celle du VIH, surtout en 2020. Quand je lis les commentaires présents dans l’article, j’ai non seulement l’impression d’être dans une salle de pause à la fin des années 1980 dans un service d’infectiologie, mais j’appréhende notre capacité à prendre en charge correctement des personnes vivant avec le VIH tant les représentations sur ce sujet sont fortes. Qu’on laisse une personne du forum s’exprimer dans l’article pour parler du VIH est une bonne chose, mais qu’elle commence sa phrase par « j’avais vu dans des docs santé » ne suffit pas à étayer un propos et n’est pas digne des enjeux de la profession.
Que les choses soient claires : je ne remets en aucun cas en question la procédure d’AES qui est et doit rester systématique. C’est une mesure de protection des soignants et, quelle que soit la nature de l’accident ou le statut sérologique probable, supposé ou réel du patient, elle doit rester la règle. Je parlerai ici de ce qui ne devrait plus être une méconnaissance ou une zone d’ombre pour les soignants concernant le VIH.
Par ce droit de réponse je ne prétends pas rétablir une vérité générale et inaliénable mais partager des faits fondés sur des preuves scientifiques, et la réalité de ce qu’est être une personne vivant avec le VIH aujourd’hui en France.
La première information, et la plus importante de toute à mon sens, est qu’une personne séropositive au VIH sous traitement ne peut pas transmettre le virus. Pour être précis, le VIH ne peut pas être transmis tant que la charge virale reste au-dessous de 200 copies/ml de sang (c’est-à-dire jusqu’à un seuil quatre fois supérieur à celui utilisé en France pour définir une charge virale dite indétectable
). En dessous de 200 copies/ml de sang, le VIH est intransmissible, même en cas d’AES.
On peut citer en exemple l’essai Partner2, une étude composée d’une cohorte de 783 couples séro-différents (ce qui signifie qu’une des personnes était séropositive au VIH, l’autre séronégative) publié en mai 2019 dans The Lancet. Cette étude montre que sur 75 000 rapports sexuels non protégés, il n’ y a eu aucune contamination entre les personnes vivant avec le VIH sous traitement et leur partenaire. La personne qui vit avec le VIH protège donc les autres personnes grâce à son traitement, c’est ce que l’on appelle le TASP en santé publique, c’est à dire le Treatment As Prevention.
En France, 97% des personnes qui bénéficient d’un traitement antirétroviral sont dans ce cas de figure : elle ne peuvent plus transmettre le virus. Les 3% qui restent, ce sont les personnes qui viennent de découvrir leur séropositivité et qui commencent le traitement (chaque année dans notre pays ce sont entre 6000 et 6500 personnes qui découvrent leur séropositivité). Une fois le traitement mis en place, ce n’est qu’une question de semaines avant que leur charge virale ne soit assez basse pour leur permettre de ne plus transmettre le virus. Les traitements sont de plus en plus efficaces, de plus en plus souples à mettre en place et de moins en moins contraignants. Aujourd’hui les échecs thérapeutiques sont rares, et les innovations nombreuses : allègement des traitements sans effets secondaires quotidiens, nouveau schéma de prise qui permettent de prendre les comprimés seulement 4 jours sur 7 et dans un futur proche, très proche, il sera proposé de prendre son traitement par injection retard, se libérant ainsi d’une prise quotidienne.
Vivre avec le VIH aujourd’hui en France, c’est vivre une vie comme n’importe qui, comme vous, comme moi. L’un des enjeux majeurs est la discrimination et la stigmatisation envers ces personnes du simple fait de leur statut sérologique. On appelle ça la sérophobie. Ces personnes le vivent au sein de leurs rencontres affectives, amicales, professionnelles, administratives, mais aussi dans le milieu de la santé, où elles se retrouvent parfois confrontées à des soignant(e) qui ne les prennent pas en soin de la même manière que d’autres patients.
Il est inadmissible de laisser des soignants sans connaissances claires et précises sur le VIH, car ce manque d’information entretiendra la stigmatisation des personnes concernées. Si nous restons dans la peur, les patient(e)s aussi y resteront et c’est peut être le plus grave. Plus la peur restera dans les esprits, plus l’appréhension au dépistage sera forte. Il faut définitivement dire stop, en tant que professionnel, aux informations imprécises ou fausses, aux discours moralisateurs qui risquent à tout moment d’être diffusés dans les écoles, les collèges, les lycées lors de séquences de prévention dont beaucoup d’infirmier(e)s et d’étudiant(e)s s’occupent. Il est urgent de désamorcer les idées reçues et de regarder vers l’avenir. La bonne nouvelle, c’est que nous pouvons nous réjouir, en tant que soignant et personne concernée du fait que, collectivement, nous sommes en capacité de réussir à construire un monde sans SIDA.
Si vivre avec le VIH est aujourd’hui un défi en passe d’être relevé, si un monde sans SIDA se profile d’ici quelques décennies, il reste que le vivre ensemble avec le VIH reste un défi de taille, et le soigner ensemble avec le VIH encore plus.
Pour Philippe, « la plupart du temps, la sérophobie s’exprime par pure ignorance »
De mon point de vue de personne vivant avec le VIH (depuis 11 ans), la peur du VIH exprimée par des soignants est incompréhensible et choquante. Parce qu’elle traduit en réalité une peur déraisonnée des personnes séropositives. Par définition, de celles qui sont diagnostiquées : ces patients pour lesquels on met (encore !) une pastille rouge ou un gros « + » sur le dossier…
C’est bien de cette peur dont parlent les commentaires dans cet article publié sur Infirmiers.com. Pas de celle du VIH.
Si un soignant a peur du VIH, il peut donc être pleinement rassuré face à un patient séropositif sous traitement : le TasP (Treatment as Prevention) est bien la protection la plus efficace, à ce jour, pour éviter toute transmission du VIH. S’il est tout de même angoissé, il peut tout simplement demander à son patient de le renseigner sur sa charge virale. La personne séropositive sera heureuse de lui répondre et de le rassurer. L’intransmissibilité du VIH est une réalité dont toutes les personnes qui vivent avec le VIH peuvent être fières : les séropositifs protègent les séronégatifs avec leur traitement. C’est bien grâce au TasP (et donc aux personnes séropositives diagnostiquées) que l’on peut raisonnablement envisager la fin de la pandémie dans quelques années. Un sujet dont on peut parler avec le sourire, détendu, apaisé.
Si un soignant a peur du VIH c’est, au contraire, avec tous les autres patients a priori séronégatifs qu’il devrait être attentif. On estime en effet qu’il y a encore en France environ 20 000 personnes séropositives sans le savoir, faute de dépistage. Précisément celles pour lesquelles il n’y a aucune pastille rouge sur le dossier. Par définition, ces personnes non diagnostiquées ne sont pas sous traitement. Elles peuvent donc transmettre le VIH, d’autant que leur charge virale peut être très élevée. Curieusement, je n’ai jamais entendu aucun soignant tenir ce raisonnement. C’est pourtant son seul risque réel de contracter le VIH aujourd’hui.
Dans les commentaires lus sur cet article, ce n’est pas la peur du VIH qui s’exprime, mais bien la peur des personnes séropositives diagnostiquées, celles-là même qui les protègent. Une peur totalement déraisonnée, sans aucun fondement scientifique et médical. En réalité, c’est une phobie. Elle porte un nom : la sérophobie, c’est-à-dire la peur, le rejet, la stigmatisation des personnes séropositives, sans aucune justification. La plupart du temps, la sérophobie s’exprime par pure ignorance.
Les personnes séropositives sont habituées à ces discriminations. Elles les vivent quotidiennement. Mais quand la sérophobie vient des soignants, elle n’est pas acceptable : les professionnels de santé ont la possibilité, et le devoir (professionnel), de se former, à tout le moins de s’informer. S’il y a bien un endroit où la sérophobie n’a pas sa place, c’est dans le milieu médical et soignant. Un patient séropositif devrait s’y sentir protégé et bien traité, dans tous les sens du terme. Il ne devrait pas craindre d’y être agressé par des mots, des gestes, des comportements, qui ne peuvent s’expliquer que par une phobie. Quand on est soignant, on est bien placé pour savoir que le VIH est un virus comme les autres. Dans le cas d’un AES, ce n’est certainement pas celui qu’un soignant a le plus de risque de contracter.
Peut-être qu’il est temps que chacun se questionne sur ses représentations du VIH, de la vie avec le VIH, et des personnes vivant avec le VIH. S’informer sur leurs réalités d’aujourd’hui est certainement le meilleur moyen de combattre cette peur mal identifiée. Quand on fait l’effort d’actualiser ses connaissances sur le VIH, on ne peut plus en avoir peur. Et tout le monde respire mieux.
Je peux témoigner de la réalité de la vie avec le VIH. Être séropositif, en France en 2020, c’est vivre comme tout le monde, en bonne santé, et avec la même espérance de vie que les personnes séronégatives, et en les protégeant de toute transmission du VIH. Grâce à un traitement très efficace, sans effet secondaire et très peu contraignant : un seul petit comprimé par jour. C’est pouvoir avoir des enfants (et des petits-enfants) sans aucun risque de leur transmettre le VIH. En Nouvelle-Zélande, un homme séropositif peut désormais donner son sperme. C’est peut-être un jour sauver une vie, par un don de rein, par exemple, comme cela se pratique déjà dans certains pays, comme aux Etats-Unis. C’est certainement aimer et être aimé, être heureux et rendre heureux, et refuser de se cacher, de baisser la tête, ou d’avoir honte. On ne l’a pas bien cherché
. On n’a évidemment rien fait de mal ! Et on ne va pas passer le restant de notre vie à être réduit à un virus totalement contrôlé. Et il est grand temps que tout le monde s’en réjouisse et en témoigne.
Julien Martinez, infirmier, militant associatif@Martinez_J_blog : therapeutiqueactive.wordpress.com
Philippe, personne vivant avec le VIH@Philippe_Hemeblog : https://vihvant.home.blog