- Une étude française a comparé la fonction neurocognitive des personnes séropositives à celle des personnes séronégatives
- Les participants séropositifs étaient plus susceptibles d’avoir un certain degré de déficit neurocognitif
- Toutefois, la plupart des participants ayant un déficit n’éprouvaient que des symptômes légers ou même aucun
Des cas de sida ont été constatés pour la première fois dès le début des années 1980 en Amérique du Nord et en Europe. Durant ces premières années, on a fait l’observation importante selon laquelle de jeunes hommes pourtant en bonne santé commençaient inopinément à présenter une grave déficience immunitaire. Par conséquent, cela permettait à des bactéries, à des champignons et à des parasites opportunistes de profiter de l’état immunitaire affaibli de ces hommes pour dévaster leurs systèmes organiques majeurs, y compris le cerveau.
Durant les premières années de la pandémie, il n’y avait aucune cause évidente pour expliquer la variété de problèmes cérébraux dont certaines personnes séropositives souffraient. Ces problèmes incluaient des difficultés par rapport à la concentration, à la capacité de faire des calculs, à la mémoire et à la faculté de penser clairement (cognition). Avec le temps, les chercheurs ont fini par reconnaître l’infection au VIH comme la cause sous-jacente de ces problèmes. Comme il n’existait à l’époque aucun traitement efficace contre le VIH, les symptômes s’aggravaient continuellement et d’autres problèmes pouvaient apparaître, y compris des difficultés de coordination musculaire et de mouvement, de graves changements de personnalité et, dans les cas extrêmes, la démence.
La situation aujourd’hui
Si l’on revient rapidement au présent, on constate que la grande accessibilité des combinaisons de traitements anti-VIH puissants (TAR) au Canada et dans d’autres pays à revenu élevé a changé radicalement l’univers du sida. Le TAR aide à supprimer le VIH jusqu’à un niveau très faible que l’on qualifie couramment d’« indétectable », et le maintien de l’observance thérapeutique permet de supprimer le virus de façon continue. Cela aide le système immunitaire à commencer à faire des réparations, ce qui fait augmenter généralement le compte de cellules CD4+ jusqu’à un niveau normal, et à prévenir les infections caractéristiques du sida. Pour cette raison, les chercheurs s’attendent à ce que de nombreux utilisateurs du TAR aient une espérance de vie quasi normale.
Grâce à l’utilisation d’évaluations neuropsychologiques approfondies, des études menées à l’époque actuelle ont permis de constater que les lésions cérébrales de faible grade, autrement appelées déficits neurocognitifs, sont relativement courantes chez les personnes vivant avec le VIH. La bonne nouvelle est que la plupart des cas de déficit neurocognitif sont asymptomatiques ou légers de nos jours chez les personnes séropositives dont la charge virale est indétectable grâce au TAR. Qui plus est, des études ont révélé que la démence liée au VIH est relativement rare au Canada et dans les autres pays à revenu élevé parmi les personnes qui maintiennent une charge virale indétectable.
Il est à noter que la plupart des études sur le déficit neurocognitif menées à l’époque actuelle ont porté sur des personnes séropositives relativement jeunes. Il est donc nécessaire que des études longitudinales d’envergure sur des utilisateurs du TAR plus âgés soient menées.
Le vieillissement augmente-t-il le risque de dégénérescence cérébrale chez les personnes vivant avec le VIH?
À mesure que les personnes séronégatives vieillissent, leur risque de connaître un déclin neurocognitif augmente généralement, il est donc logique de s’attendre à une tendance semblable chez les personnes séropositives. De plus, certains neuroscientifiques sont d’avis que le déclin neurocognitif pourrait être plus rapide et plus intense chez les personnes séropositives en raison de l’impact connu du VIH sur le cerveau.
Une étude française : ANRS EP58 HAND 55–70
Afin d’initier un examen de la question du vieillissement et de la fonction neurocognitive, des chercheurs français ont mené une étude bien conçue portant le nom d’ANRS EP58 HAND 55–70. Ils ont recruté 200 personnes séropositives et 1 000 personnes séronégatives âgées de 55 à 70 ans. Chaque participant séropositif a été jumelé au hasard à cinq participants séronégatifs en fonction de son âge, de son sexe et de son niveau de scolarité. Grâce au TAR, toutes les personnes séropositives inscrites à l’étude avaient une charge virale supprimée (moins de 50 copies/ml) et au moins 200 CD4+ cellules/mm3 dans leurs échantillons de sang. Chaque participant a été soumis à une évaluation neuropsychologique approfondie.
Les chercheurs ont constaté un certain degré de déficit neurocognitif chez environ 36 % des participants séropositifs et chez 24 % des participants séronégatifs. Après avoir tenu compte de nombreux facteurs dans leur analyse statistique, ils ont trouvé que l’infection au VIH était associée à un risque accru de déficit neurocognitif. Notons toutefois que la majorité des personnes touchées n’avaient pas de symptômes (asymptomatiques) ou n’éprouvaient que des symptômes légers pour la plupart.
Plus loin dans ce bulletin de Nouvelles CATIE, nous mettons ces résultats en contexte et soulignons des facteurs non reliés au VIH pouvant compromettre le fonctionnement neurocognitif.
Détails de l’étude
Des chercheurs travaillant dans six principaux hôpitaux de France ont recruté des personnes séropositives répondant aux critères suivants :
- âgées de 55 à 70 ans
- charge virale inférieure à 50 copies/ml depuis au moins 24 mois avant de s’inscrire à l’étude
- compte de CD4+ d’au moins 200 cellules/mm3 depuis 12 mois avant de s’inscrire à l’étude
Les chercheurs ont stipulé que les personnes appartenant aux groupes suivants n’ont pas été inscrites :
- personnes souffrant de confusion
- personnes ayant des antécédents de maladies cérébrales
- personnes souffrant de syndromes psychiatriques majeurs
- personnes ayant subi des traumatismes sensoriels (goût, toucher, odorat, etc.)
- personnes incarcérées
- personnes ayant subi une évaluation neuropsychologique détaillée au cours des six derniers mois
- personnes ne parlant pas couramment le français
Les participants séropositifs ont été recrutés séquentiellement lors de leurs consultations cliniques de routine. Le protocole de l’étude permettait d’assurer qu’environ le tiers des participants appartenaient à chacun des groupes d’âge suivants :
- 55 à 59 ans
- 60 à 64 ans
- 65 à 70 ans
Les personnes séropositives ont servi de groupe de comparaison (également dit groupe témoin) et ont été recrutées d’une cohorte existante appelée Constance. Les membres de la cohorte Constance avaient été sélectionnés au hasard dans la population générale.
Les chercheurs français ont comparé les données se rapportant à chaque personne séropositive à celles de cinq personnes séronégatives dont le profil était semblable par rapport à l’âge, au sexe et au niveau de scolarité.
Les taux de maladies cardiovasculaires et de diabète étaient semblables dans les groupes de personnes séropositives et séronégatives.
En comparant les données des deux groupes, les chercheurs ont constaté que, dans l’ensemble, les personnes séropositives étaient plus susceptibles de :
- être des « fumeurs de tabac et consommateurs de cannabis actifs »
- avoir « des taux accrus de maladies cardiovasculaires et d’insuffisance rénale chronique »
- être « moins actives physiquement »
- vivre seules
- être des hommes gais, bisexuels ou autres hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HARSAH)
Chaque personne a subi une évaluation neurocognitive une seule fois. Cela veut dire que nous parlons ici d’une étude transversale pour laquelle les données ont été recueillies à un seul moment dans le temps.
Selon les chercheurs, la prévalence générale des déficits neurocognitifs était la suivante :
- personnes séropositives : 36 %
- personnes séronégatives : 24 %
Les chercheurs ont affirmé que « la plupart des individus [atteints d’un déficit neurocognitif] étaient asymptomatiques ». Ils ont également calculé la répartition des différentes classifications de déficits neurocognitifs, avec les résultats suivants :
Déficit neurocognitif asymptomatique (DNA)
- personnes séropositives : 25 %
- personnes séronégatives : 19 %
Trouble neurocognitif léger (TNL); cet état peut interférer avec le fonctionnement quotidien jusqu’à un degré léger ou modéré
- personnes séropositives : 11 %
- personnes séronégatives : 5 %
Démence
- personnes séropositives : 1 participant (0,5 %)
- personnes séronégatives : 3 participants (0,3 %)