Source: VIH.ORG
L’article dans l’Express daté du 13 janvier d’Elodie Emery sur le traitement préventif ( PrEP ) contre le VIH laisse perplexe. Sous une apparente neutralité, elle distille insidieusement le doute sur l’intérêt d’un tel traitement pour la santé publique.
Le titre du papier: «PrEP: les ambiguïtés du miracle anti-sida» montre d’emblée la réticence de l’auteur qui reconnaît son ignorance du sujet quand elle écrit: «si avaler une pilule chaque jour permet de « répandre la passion » sans prendre de risque pour sa santé, et sans préservatif, c’est que nous avons raté quelques épisodes». Et bien oui Madame Emery, vous avez raté quelques épisodes dans l’histoire récente de la lutte contre le vih et pourtant vous auriez pu lire dans l’Express l’excellent article de Geoffrey Bonnefoy du 6 mai 2016 qui parlait sur un autre ton, plus proche du vécu des personnes concernées. Il écrivait en mai 2016:
«C’est une petite révolution passée presque inaperçue. Le 31 décembre dernier, la France, comme d’autres pays avant elle, a autorisé la mise sur le marché du Truvada comme traitement préventif contre le VIH. Ce médicament délivré sur ordonnance, initialement utilisé en tant que traitement pour les malades du sida , permet de réduire drastiquement les risques de contamination lors de rapports non protégés.»
Oui Madame Emery, c’est une révolution que de pouvoir aimer sans avoir la crainte d’être contaminé par un virus que vous allez garder toute votre vie, et qui va singulièrement la compliquer, même si aujourd’hui il ne tue plus. Même au risque d’être «inféodés à leur petit pilulier» comme vous le dites élégamment.
Le ton sur lequel vous parlez de la PrEP rappelle les discours critiques sur le préservatif au début de l’épidémie par ceux qui prônaient l’abstinence et la fidélité. Ils me rappellent aussi ceux sur la politique de réduction des risques chez les usagers de drogues, notamment la distribution de seringues, ou plus récemment les salles de consommation à moindre risque que vous appelez sans doute «salle de shoot», comme si la promotion de ces moyens de protection allait favoriser les comportements à risques. C’est tout le contraire qui s’est produit, les usagers s’injectent moins souvent qu’avant et surtout l’épidémie de Vih/sida a été quasiment arrêtée dans cette population.
Vous alarmez sur le retour de la syphilis et des autres infections sexuellement transmissibles ( IST ) qui «connaissent une explosion spectaculaire dont tout le monde, pour une fois, s’accorde à dire qu’elle est extrêmement préoccupante». Oui c’est vrai, la PrEP ne protège pas du tout contre les IST et son usage va peut-être augmenter encore la fréquence des relations sexuelles sans préservatif. Mais ce «relâchement qui inquiète» ne date pas de la PrEP. Il a commencé bien avant, dès la fin des années 90, et c’est justement parce que nous avons constaté une forte augmentation des IST chez les gays que nous avons pris conscience qu’il y avait urgence à agir.
D’abord pour qu’ils ne contractent pas le VIH. Et quand on sait qu’on dispose d’un médicament qui protège presqu’à 100%, il paraitrait inconcevable de ne pas le proposer à ceux qui sont prêts à l’utiliser et d’en faire la promotion. Quand je vois en consultation un jeune homosexuel qui vient de se contaminer, je ne peux pas m’empêcher de penser «quel dommage qu’il n’ait pas pu bénéficier de la PrEP!». Et souvent c’est eux-mêmes qui expriment ce regret. Mais la PrEP n’est pas encore facile d’accès surtout pour ceux qui ne sont pas dans des réseaux, qui sont isolés, qui ont du mal à parler de leur sexualité, a fortiori avec un médecin.
L’autre pan du dispositif de la PrEP est justement de dépister précocement les IST, souvent avant l’apparition de symptômes et de les traiter, chez toutes les personnes qui sont sous PrEP, qui ont le droit à un bilan complet tous les 3 mois.
Pendant des années j’ai lutté contre le sida et promu le préservatif, aujourd’hui je continue le combat contre le VIH avec les traitements qu’ils soient curatifs pour ceux qui vivent avec le virus et qui une fois traités ne peuvent plus le transmette, ou préventifs pour ceux qui ont la chance de ne pas l’avoir rencontré. Et c’est le même combat que poursuit l’association AIDES qui s’est battue pour que la PrEP soit reconnue en France, convaincue de l’avancée extraordinaire que représente cette nouvelle utilisation des antirétroviraux et pas, comme vous osez le dire «sans doute poussée en ce sens par le laboratoires américain Gilead qui commercialise le médicament utilisé pour la PrEP et qui n’a pas lésiné pour assurer ses appuis».
Oui, les laboratoires investis dans la recherche de molécules anti-VIH ont depuis le début de l’épidémie aidé les associations dans leurs actions, notamment dans la prévention, avant même qu’on ait découvert l’intérêt de ces médicaments pour la–comme outil de prévention. Si Gilead soutient financièrement Aides, c’est tant mieux, et ça n’empêche pas l’association de promouvoir activement les génériques moins chers. On peut seulement, au passage, regretter que pas un seul laboratoire français ne se soit impliqué dans la recherche de molécules anti-VIH, alors que ce sont des chercheurs français qui ont découvert le VIH et reçu le prix Nobel.
Enfin, comme si cela ne suffisait pas, vous invoquez un «rapport incendiaire de l’IGAS», l’Inspection Générale des Affaires Sociales, sous-entendant qu’il condamne la PrEP portée par les associations, alors que c’est tout le contraire: le rapport déplore le retard pris par les autorités de santé dans la mise en œuvre de la PrEP et fustige le ministère et les agences pour ce retard.
Oui Madame Emery, je reste perplexe devant votre article qui distille habilement les angoisses de nature à freiner le développement de ce traitement préventif révolutionnaire en feignant la neutralité qu’on attendrait d’un journaliste indépendant.
Gilead fait partie des soutiens de Vih.org.