Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Source: Seronet

La région AIDES Île-de-France a lancé le 2 décembre son projet de recherche action autour du vieillissement des personnes vivant avec le VIH. Un questionnaire est proposé du 2 au 24 décembre 2018 aux personnes vivant avec le VIH âgées de plus de 50 ans et vivant en Île-de-France. Quels sont les objectifs de ce projet ? Comment va-t-il se dérouler ? Seronet fait le point.

« Le vieillissement est une nouvelle réalité dans l’histoire du VIH. Aujourd’hui, les personnes vivant avec le VIH sont de plus en plus nombreuses à atteindre les 50 ans et à vieillir. Plus de 40 % des personnes vivant avec le VIH ont 50 ans ou plus (41,2 % des personnes vivant avec le VIH avaient 50 ans ou plus en 2011, 13,3 % ont 60 ans ou plus). C’est une bonne nouvelle ! » explique Alain Bonnineau, administrateur et président de la région Île-de-France de AIDES. Cela s’explique par l’amélioration des traitements et des soins, mais aussi en raison de contaminations tardives et de diagnostics tardifs. D’ailleurs, les derniers chiffres présentés par Santé publique France, le confirment.

En 2016, 1 184 personnes âgées de plus de 50 ans ont découvert leur séropositivité, soit 20 % de l’ensemble des nouveaux cas. L’étude de Santé publique France souligne par ailleurs que « les seniors ayant découvert leur séropositivité en 2016 se différenciaient des plus jeunes par une moindre proportion d’HSH (hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes) et une proportion plus élevée d’hétérosexuels nés en France ».

« Cette thématique du vieillissement des personnes vivant avec le VIH existe depuis longtemps à AIDES », rappelle Alain Bonnineau. « Nous sommes passés du temps des inquiétudes sur l’avenir, exprimées souvent de manière discrète, à celui de l’émergence nette d’une préoccupation plus largement partagée. Nous avons besoin de documenter ce phénomène, de mieux comprendre les besoins des personnes. Cette nouvelle étape intéresse les acteurs-rices internationaux de la lutte contre le sida depuis quelques années. Aujourd’hui, la France s’y intéresse également de plus en plus. En 2012-2013, la Direction générale de la Santé a commencé à se pencher sur la question en menant une étude et en travaillant de manière plus large sur une réforme de la dépendance et de la retraite. Par ailleurs, certains Corevih ont constitué des groupes de travail sur les enjeux du vieillissement. Le Corevih Île-de-France Ouest travaille sur les aspects médicaux, par exemple, celui de la vallée du Rhône sur les aspects sociaux. À AIDES, le projet est de mobiliser les personnes concernées pour mutualiser les problématiques liées au vieillissement afin d’anticiper et de construire de manière collective des solutions pour un « bien-vieillir VIH ». C’est une nouvelle étape dans le prolongement de la conférence de consensus que nous avions organisée en 2013 », explique Alain Bonnineau.

Quel est le nouveau projet ?

Il s’agit du projet « Jeunes séniors PVVIH ». Il s’adresse en priorité aux personnes vivant avec le VIH ou co-infectés par les hépatites de plus de  50 ans. Bien sûr, reconnaît Alain Bonnineau, il existe « des déterminants structurels communs à tous les séniors. Il n’en reste pas moins que les personnes vivant avec le VIH séniors ont une histoire, un contexte sociétal, des comportements spécifiques ». « Avec ce nouveau projet uniquement francilien pour le moment, nous avons des objectifs ambitieux, explique-t-il. Nous voulons créer des modèles opérationnels permettant de renforcer les capacités en santé des personnes vivant avec le VIH séniors. Nous voulons contribuer à préparer au vieillissement des populations touchées par le VIH et d’autres pathologies associées à partir des besoins exprimés et des attentes de ces personnes et intégrer dans la trajectoire de vie du sénior les dimensions du vieillissement pour la mise en place de stratégies adaptées. Cela passera, entre autres, par la proposition d’un accompagnement singularisé et préventif visant à réduire le recours au service d’urgence en phase de crise sur des problématiques autour de la santé globale, de la santé sexuelle et des risques psycho-sociaux. Un de nos objectifs est aussi de développer des actions relevant de la promotion de la santé par la mobilisation communautaire et l’éducation entre pairs ».

« Nous avons bien conscience que la communauté des personnes vivant avec le VIH n’est pas un ensemble homogène. Il en va de même pour celle des personnes vivant avec le VIH séniors, affirme Alain Bonnineau. Si on prend le moment de la contamination comme critère, on peut imaginer trois groupes de personnes : les survivants-es contaminés avant 1996, date de l’arrivée des trithérapies qui ont sauvé de nombreuses vies ; les « intermédiaires », soit les personnes infectées entre 1996 et 2008, période de mise sur le marché de la deuxième génération de traitements qui ont considérablement améliorer la qualité de vie des personnes infectées ; les « récents-es », personnes qui ont découvert plus récemment leur séropositivité, qui ont bénéficié de facto des traitements de deuxième génération, des traitements simplifiés et des stratégies d’allègement qui ont apporté un nouveau confort. »

Un nouveau type d’accompagnement

Premier principe : une approche globale et positive qui se traduit par une prise en compte des étapes de l’avancée en âge avec plusieurs portes d’entrée (dépistage, santé, social, droit, socialisation, habitat etc.). Deuxième principe : un recentrage sur les besoins et les demandes de la personne à travers un accompagnement qui donnera un parcours personnalisé. Troisième principe : un travail en réseau fondé sur un partage de valeurs communes, dans la prise en charge permettant de rendre lisible et accessible l’accompagnement spécifique des personnes. Il s’agit pour les « jeunes seniors PVVIH » de circuler dans cette offre et avoir  des accès singularisés aux services  et actions dont ils ont besoin. Et cela associé à une offre en proximité des lieux de vie, individuels et  collectifs. Le projet vise donc à proposer un accompagnement global au cours de l’avancée en âge. Ainsi, chaque personne intégrant le dispositif d’accompagnement bénéficiera d’un plan personnalisé de santé : identification et mise en place de partenariats en réseau pour une bonne coordination de l’action et des soins, mise en place d’une coordination dans le cadre d’un accompagnement global (santé, soins, questions administratives, isolement et socialisation).

Une enquête en préalable

Évidemment avant de penser à une opérationnalisation, il faut mieux comprendre les besoins actuels. Raison pour laquelle est lancée l’enquête « Jeunes séniors + ». Vous trouverez le questionnaire dans tous les lieux de mobilisation de AIDES en Île-de-France ou en ligne. Les résultats de cette enquête seront publiés en janvier 2019 pour une mise en place du projet en cours d’année.

Source: Le Monde

Sida, les nouvelles armes de l’Afrique (6). La mesure de la charge virale dans le sang permet de vérifier l’efficacité du traitement et de savoir quand le malade devient non contaminant.

Tous vous le diront, c’est un monde qui vacille. Les réactions sont similaires : un vertige, suivi d’une angoisse, d’un déni, puis, parfois, une colère sourde. Sylvie ne fait pas exception. Elle aussi est passée par chacune de ces émotions lorsqu’on lui a annoncé sa séropositivité.

Présentation de notre série Suivez notre série Sida, les nouvelles armes de l’Afrique

Dépistée en 2008, à l’âge de 30 ans, elle était sûre de voir sa vie détruite. Elle a d’abord refusé d’y croire. Pendant quatre ans. Sa santé déclinant, elle a fini par accepter. « Je devais continuer ma vie et je voulais être mère, alors j’ai commencé à suivre le traitement antirétroviral (ARV) jusqu’à avoir une charge virale quasiment indétectable, confie-t-elle. Alors seulement je me suis autorisée à faire mon premier enfant. » Aujourd’hui, en novembre 2018, Sylvie en a trois, tous séronégatifs. A Bujumbura, capitale du Burundi où elle habite, sa vie de famille est presque banale. « Je fais juste attention de ne pas laisser les autres membres utiliser les mêmes objets tranchants que moi et je les sensibilise aux voies de contamination du VIH », poursuit-elle.

« Course contre la montre »

Si Sylvie a pu retrouver sa vie, c’est grâce à une avancée scientifique majeure : la mesure de la charge virale. Ce test, généralisé en France et en Europe à la fin des années 1990, n’était pas accessible il y a encore dix ans aux pays africains les plus touchés par la pandémie. Grâce à deux machines, il permet de mesurer la quantité de virus par millilitre de sang et la progression de l’infection dans l’organisme. Surtout, il offre un aperçu précis de l’efficacité des antirétroviraux sur les patients, révélant les échecs thérapeutiques, dont la résistance à certaines molécules. Ce suivi était impossible avec la méthode antérieure, qui mesurait les cellules coordonnant le système immunitaire mais pas le taux de virus dans le sang.

Au Burundi, le projet OPP-ERA, soutenu par le consortium français rassemblant Sidaction, Solthis, l’ANRS, Expertise France, et financé par Unitaid en étroite collaboration avec le ministère de la santé publique et de la lutte contre le sida, a permis l’installation de quatre laboratoires afin de généraliser la mesure de la charge virale depuis 2014. Un projet qui est aussi développé au Cameroun, en Guinée et en Côte d’Ivoire.

Episode 1 Du sexe et des tests pour les prostituées de Ouaga

Cet outil fait espérer au Burundi d’approcher l’un des trois objectifs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à l’horizon 2020 : celui d’avoir 90 % des personnes traitées avec une charge virale durablement réduite. Aujourd’hui, 61 000 patients sont sous ARV, mais moins de la moitié ont eu accès à la mesure régulière de leur charge virale. « Nous n’avons pas encore dépassé les 40 %, explique Francine Karemera, coordinatrice médicale d’OPP-ERA. Mais si l’on poursuit nos efforts, il n’est pas impossible d’atteindre 80 % d’ici à 2020. C’est une course contre la montre ! »

Ce retard, l’Etat burundais en est conscient. « Nous avons établi un mécanisme de suivi des populations à risque en mettant à profit ces appareils afin de leur en faciliter l’accès », avance Richard Manirakiza, directeur adjoint du Programme national de lutte contre le sida. Déclaré « problème de santé publique » en 1983, le VIH a depuis perdu du terrain au Burundi. En 2017, une étude nationale affichait un taux de personnes contaminées (prévalence) à 0,9 %. Mais la maladie reste importante parmi les populations à risque comme les travailleuses du sexe, les homosexuels, les pêcheurs, les mineurs et les routiers, atteignant parfois une prévalence de plus de 20 %.

« Profonde injustice »

Emmanuel appartient à cette catégorie. Ancien chauffeur de poids-lourds de 61 ans, il a appris en 2010 qu’il avait « la maladie ». Son état était grave. Il ne pesait que 30 kg quand on l’a dépisté. Les ARV l’ont sauvé d’une mort certaine. Aujourd’hui, à l’ombre d’un appentis du service VIH du plus grand hôpital du pays, il semble avoir retrouvé son énergie d’avant. Il la met à profit des autres patients en les traquant jusque chez eux quand ils arrêtent leur traitement. Ces « non-observants » manquent souvent à l’appel faute de moyens pour faire le voyage. Emmanuel a donc créé une caisse commune où chaque patient verse 500 francs burundais (0,25 euro) par visite afin de payer le transport aux moins fortunés. Mais parfois, les non-observants abandonnent le traitement par découragement ou scepticisme.

Episode 3 Comment la circoncision a conquis l’est et le sud de l’Afrique dans la lutte contre le VIH

C’était le cas de Frank, 20 ans, né avec le VIH : « J’avais 17 ans quand on m’a dit que j’étais séropositif. Ça été très difficile à accepter. Longtemps je me suis demandé si c’était ma faute. Je ressentais une profonde injustice, alors je me suis tourné vers la religion. Un pasteur m’a dit que Dieu me guérirait du sida. Mon état se détériorait. Pendant un an j’y ai cru, avant d’être hospitalisé. Désormais, je prends mes cachets tous les jours. Ici ce n’est pas le VIH qui tue mais l’ignorance. »

A 180 km au nord-est de la capitale, la ville de Muyinga s’étale sur des collines vert tendre. C’est dans son petit hôpital que l’un des quatre laboratoires du projet OPP-ERA a été installé : un extracteur chargé de récupérer le matériel génétique du virus puis de la fixer dans des cartouches. Le dispositif peut aussi être utilisé pour détecter des hépatites. Une fois extrait, le matériel génétique doit être amplifié dans un thermocycleur à 95 °C pendant une heure quarante-huit très précisément afin de le rendre mesurable. S’il y a moins de mille copies de virus par millilitre de sang, la charge du patient est considérée comme indétectable. Il peut alors avoir des relations sexuelles non protégées et avoir des enfants sans plus risquer de transmettre la maladie.

Episode 4 Un cachet révolutionnaire pour protéger les jeunes Kényanes très exposées au VIH

Chaque machine peut traiter douze échantillons par jour. Quand il y en a plusieurs, comme à l’hôpital de Bujumbura, on peut atteindre 180 par semaine. « Avant le travail était bien plus manuel et fastidieux. On ne dépassait pas 30 échantillons par semaine »,explique Désiré Nisubiri, technicien formé dans le cadre du projet. Avoir quatre laboratoires dans différentes régions du pays permet aussi de réduire les risques liés au transport. « Parfois le sang coagulait à cause de la durée du trajet ou les échantillons étaient perdus car les camions n’étaient pas sécurisés », se souvient ainsi la docteure Olive Niyonkuru, chargée du service VIH à l’hôpital de Bujumbura.

« Ici c’est l’ignorance qui tue »

Si la province de Muyinga a été sélectionnée pour y établir l’un de ces labos, c’est qu’ici, le sida est « un gros souci », soutient le médecin Kwanza Georges, chargé des patients VIH de l’hôpital de la ville. Il évoque la situation sécuritaire qui a vu dès 2006 l’établissement de camps de déplacés, notamment congolais, mais, surtout, la proximité de la Tanzanie, à une dizaine de kilomètres de la ville. Et comme toutes les zones frontalières, la région attire des populations à risque tels les camionneurs et les prostituées.

L'infirmier Serge Rubeeiry et son supérieur devant le poste de santé de Kinazi à quelques kilomètres de la frontière tanzanienne, Burundi, 7 novembre 2018.

L’infirmier Serge Rubeeiry et son supérieur devant le poste de santé de Kinazi à quelques kilomètres de la frontière tanzanienne, Burundi, 7 novembre 2018. Matteo Maillard

A Kinazi, dernier poste de santé avant la Tanzanie, sur 73 patients VIH, 50 sont des femmes, dont de nombreuses travailleuses du sexe. « C’est une population pauvre, rurale, soutient Serge Rubeeiry, infirmier. Le sexe tarifé apparaît comme un moyen de s’en sortir. Alors nous faisons de la prévention et distribuons des préservatifs. Mais il arrive que les clients, des routiers, paient mieux si les femmes acceptent sans. »

Episode 5 Au Mozambique, des tests high-tech pour dépister le VIH chez les bébés

Manori, 22 ans, s’exprime d’une voix timide. Voilà quatre ans qu’elle exerce. Son mari l’ignore. « Je n’ai pas encore fait le dépistage mais je pense être exposée alors je suis venue pour prendre des médicaments post-exposition, glisse-t-elle. Je crains avoir été contaminée car ces derniers jours j’ai eu des rapports sans préservatif. Mon stock était épuisé et je suis très sollicitée par mes clients. C’est difficile de refuser quand on a besoin d’argent. » L’infirmier tente de la convaincre de faire le test. Elle refuse, préfère ne pas savoir. Il semble dépité, hausse les épaules. Les mots de Frank reviennent à l’esprit. « Ici ce n’est pas le VIH qui tue, mais l’ignorance. » La lutte risque d’être encore longue.

Cet article fait partie d’une série réalisée dans le cadre d’un partenariat avec Unitaid.

Source: Le Monde 

A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, samedi 1er décembre, « Le Monde » a recueilli les témoignages de personnes porteuses du virus.

Il y a ceux qui sont partis en courant. Ceux qui l’ont violemment mis à la porte. Ceux qui ont subitement arrêté de lui répondre au téléphone. Il y a aussi ceux pour qui ça n’a rien changé. « J’ai vécu toutes les situations possibles, résume Patrice, qui a souhaité garder l’anonymat. Mais j’ai quand même pris un certain nombre de râteaux à cause de ça. »

Ça ? Le VIH. Patrice, 49 ans, est séropositif depuis presque vingt-deux ans. Cet ancien communicant en reconversion fait partie de la « génération sida » qui pensait ne pas dépasser la trentaine. « Quand le couperet est tombé, en mars 1997, j’ai décidé de continuer à avoir une vie sexuelle et affective. Par honnêteté, je le disais tout de suite à mes partenaires potentiels, ce qui m’a valu pas mal de refus… »

Lire (en édition abonnés) : Vieillir avec le VIH : des seniors séropositifs racontent leur quotidien

Comme Patrice, 152 000 personnes vivent avec le VIH en France, selon les chiffres de l’association Sida info service. Aujourd’hui, si le VIH n’est plus aussi tabou que dans les années 1990, dire sa séropositivité n’est toujours pas facile. A plus forte raison dans le cadre de relations intimes.

« Beaucoup de séropos vivent dans l’isolement affectif le plus total. Il y a une vraie solitude sentimentale et sexuelle liée au virus », explique Fred Colby, 37 ans, séropositif depuis 2009 et volontaire chez Aides, association de lutte contre le VIH et les hépatites virales. Quand on évoque le VIH, on pense à « infection sexuellement transmissible ». Le virus a toujours été associé à la sexualité et au jugement que l’on peut porter dessus. En 2018, il reste encore parfois synonyme d’opprobre.

« C’était comme si j’avais la peste »

Giovanna Rincon a découvert sa séropositivité à 20 ans. Aujourd’hui âgée de 49 ans, elle est présidente de l’association de défense des personnes trans Acceptess-T, et vice-présidente du CoreVIH, le Comité de coordination régionale de la lutte contre les IST (infections sexuellement transmissibles) et le VIH. Elle se souvient :

« Le plus grand choc pour moi n’a pas été d’être diagnostiquée d’une maladie qui était à l’époque mortelle. Le plus dur, ç’a été le sentiment de rejet. C’était comme si j’avais la peste. »

Au sentiment de culpabilité s’est ajoutée la peur de contaminer

Fred Colby, lui, a longtemps eu l’impression d’être « un virus ambulant »« J’ai été dépisté il y a neuf ans. A l’époque, j’avais une sexualité, disons, généreuse. Je prenais pas mal de risques », explique-t-il. Au sentiment de culpabilité s’est ajoutée la peur de contaminer ses amants. « J’étais hyper flippé tout le temps », dit-il.

Certains décident de mettre leur vie amoureuse entre parenthèses. C’est le cas de Florence Thune, 51 ans, directrice générale de l’association Sidaction, et séropositive depuis 1997 :

« Pendant dix ans, je n’ai eu aucune relation sexuelle. J’avais complètement intériorisé la sérophobie : c’était trop compliqué, non pas de l’annoncer, mais d’imaginer les réactions. Je me disais que les hommes allaient forcément prendre leurs jambes à leur cou. J’ai voulu m’éviter ça. »

Dans le cas de Giovanna Rincon, c’est son médecin de l’époque qui lui avait conseillé de ne plus avoir de rapports sexuels :

« Il m’a dit que je mettrais trop mes partenaires en danger. C’était comme si j’étais devenue une bombe à retardement. »

« Indétectable = intransmissible »

Dans ces parcours sentimentaux souvent compliqués, faits de « grandes déceptions », de « baffes », de « cœurs brisés » et de « périodes de bad total », une formule a changé la donne :
U = U, pour « Undetectable = Untransmittable » (indétectable = intransmissible, en français). Une personne séropositive sous traitement antirétroviral efficace obtient une charge virale dite indétectable, tant elle est faible dans le sang. Concrètement, elle ne transmet plus le virus. Une révolution.

« Il y a eu un avant et un après », confirme Patrice, le communicant en reconversion, dont la charge virale est indétectable depuis plus de douze ans :

« Avant, on se disait qu’on risquait de contaminer l’autre, on vivait avec cette angoisse. Aujourd’hui, on se sent soulagé d’un poids. C’est hyper important pour l’estime de soi. »

Pour Florence Thune, U = U a été la formule qui lui a permis de renouer avec une vie sexuelle et amoureuse : « Ça m’a débloquée. Mais le fait de ne plus être contaminante n’a pas effacé la peur de l’annonce, ça reste une prise de risque émotionnelle », nuance-t-elle :

« Je suis passée par un site de rencontres. Je me disais que ce serait plus facile de le dire à l’écrit. »

Elle est aujourd’hui en couple sérodifférent depuis dix ans.

Un sentiment de double peine

Du reste, si la formule U = U commence timidement à faire son chemin, notamment auprès des gays, elle reste encore largement méconnue de l’ensemble de la population. « C’est une information super importante mais elle est encore confidentielle », regrette Patrice, à qui il arrive souvent de faire de la pédagogie, et qui déplore le « silence des pouvoirs publics » à ce sujet. « Chez les gays, ce discours est audible depuis deux ou trois ans, pas plus », déplore-t-il.

Si le rapport Hirschel, du nom du médecin suisse Bernard Hirschel, également appelé « avis Suisse », a montré, dès 2008, qu’un séropositif sous traitement ne transmet plus le VIH, en France, les experts médicaux ont mis plus de temps à appréhender cette donnée. Contrairement au milieu associatif, qui s’en est très vite saisi pour faire des campagnes d’information autour du traitement comme prévention ou TASP (« treatment as prevention » en anglais).

Lire notre portrait : « Aujourd’hui, si je n’étais pas sous PrEP, je serais déjà séropositif »

« Plus on témoignera, plus les gens se diront qu’il est possible de vivre presque normalement avec le VIH, et plus ils se feront dépister »

« Le VIH véhicule beaucoup de fantasmes. Les peurs liées au virus, parfois totalement irrationnelles, sont ancrées très profondément », soupire Florence Thune. C’est la raison pour laquelle la directrice générale de Sidaction milite pour une « banalisation du VIH au sens positif du terme : plus on témoignera, plus les gens se diront qu’il est possible de vivre presque normalement avec le VIH, et plus ils se feront dépister et soigner. C’est comme ça qu’on stoppera les contaminations. »

Pour Fred Colby, « le VIH n’est plus un problème médical mais sociétal : le vrai souci, c’est ce que vous renvoyez aux gens ». Sur les applis de rencontres, il n’est pas rare qu’on lui demande de but en blanc s’il est « clean » – comprendre séropositif ou non – et qu’on le bloque pour cette raison.

« C’est une façon détestable de demander le statut sérologique de quelqu’un. C’est blessant et inutile. Etre confronté à tant d’ignorance est parfois fatigant, c’est la double peine. »

Si la recherche scientifique avance, et que les préjugés associés au VIH tendent à diminuer, plusieurs militants insistent sur l’importance du « meilleur des médicaments : l’amour ». Un homme a un jour dit à Giovanna Rincon : « Tu dois continuer à aimer et à te laisser aimer. »

« A cette époque, il n’existait aucun médicament contre le VIH. Pour moi, ces mots ont été un vaccin. »
Marie Slavicek