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Source : 66millionsdimpatients.org

A l’hôpital ou dans les pharmacies en ville, les cas de rupture d’approvisionnement en médicaments sont, depuis quelques années, de plus en plus nombreux. Dans un rapport rendu public le 2 octobre, la mission d’information du Sénat sur les pénuries de médicaments et de vaccins, constituée en juin dernier, alerte une nouvelle fois sur les conséquences de ces pénuries et formule plusieurs recommandations afin de les limiter.

La mission d’information du Sénat sur la pénurie de médicaments et de vaccins a rendu public le 2 octobre les conclusions de ses travaux ainsi que ses recommandations. Ce phénomène de pénurie n’est pas nouveau, loin s’en faut. « Il connaît cependant une inquiétante amplification, pointent les auteurs de cette étude, que ne semblent pas pouvoir endiguer les mesures prises par les pouvoirs publics au cours de la période récente ».

En 2017, le nombre de ruptures et risques de rupture de stock et d’approvisionnement déclarés auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) pour des médicaments essentiels a explosé, avec 530 médicaments signalés. C’est 30% de plus que l’année précédente et dix fois plus qu’il y a dix ans.

Des chiffres de plus en plus alarmants

Précisons que ces chiffres concernent les médicaments à intérêt thérapeutique majeur « dont l’indisponibilité transitoire, totale ou partielle, explique l’ANSM est susceptible d’entraîner un problème de santé publique (mise en jeu du pronostic vital, perte de chance importante pour les patients, etc.) ».

On considère qu’il y a rupture d’approvisionnement quand une pharmacie d’officine ou une pharmacie hospitalière se trouve dans l’incapacité de dispenser un médicament à un patient dans un délai de 72 heures après avoir effectué une demande auprès de deux entreprises exerçant une activité de distribution de médicament. La durée moyenne des ruptures constatées en 2017 est d’environ 14 semaines, soit deux fois plus que l’année précédente.

Les vaccins sont plus particulièrement touchés : ils sont en moyenne indisponibles pendant 179 jours. En août 2017, la durée médiane des ruptures déclarées en officine atteignait 35 jours, selon l’Ordre national des pharmaciens. Autrement dit, la moitié des médicaments absents des tablettes de nos pharmacies manquent à l’appel plus de 35 jours. Un an plus tard, en août dernier, ce chiffre a augmenté de plus 40% pour une durée médiane de rupture proche de 50 jours.

Comment expliquer ces pénuries ?

Première raison permettant d’expliquer ces nombreuses pénuries, expliquions-nous dans nos colonnes en avril 2015 : « le glissement opéré par les acteurs de la chaîne du médicament vers un mode de production et de distribution en « flux tendu » visant à limiter les stocks afin de gagner en efficience. De cette tendance, résulte un fragile équilibre que la moindre difficulté survenue lors de la fabrication des matières premières ou des produits finis est susceptible de bousculer ».

La concentration des différentes étapes de la production de médicaments au sein d’usines uniques ou peu nombreuses est un autre facteur participant à la rupture de stocks. Sans compter qu’en même temps que le nombre de sites de production diminue, la demande s’élargit au marché mondial, vers les pays émergents notamment où les besoins sont de plus en plus élevés.

« Bien souvent, peut-on lire dans le rapport du Sénat, ce sont des événements isolés qui sont en cause dans la formation des phénomènes de pénuries, en ce qu’ils tendent à se répercuter sur l’ensemble de la chaîne par le jeu d’un « effet domino » résultant de l’interdépendance de ses maillons. Un problème de qualité survenant dans une usine de substances pharmaceutiques actives en Inde ou en Chine peut ainsi affecter l’approvisionnement du marché français pour de longs mois ».

Conséquences potentiellement graves

L’indisponibilité d’un médicament a des conséquences immédiates pour les personnes, notamment celles souffrant de pathologies chroniques pour lesquelles l’adhésion au traitement est essentielle (efficacité, risque de développement de résistance) et constitue un travail au long cours, expliquait France Assos Santé dans son audition du 19 juillet 2018 auprès de la mission d’information. « Perte de chance, difficulté d’adhésion au traitement, effets indésirables engendrés par l’imposition de changements de traitements, déstabilisation des personnes les plus fragiles lors des substitutions » sont autant de risques encourus par les patients.

A l’affiche en ce moment des spécialités en situation de pénurie : le Di-hydan, prescrit dans le traitement de l’épilepsie, invisible en pharmacie depuis mars 2014 ou encore plusieurs vaccins indiqués dans la prévention conjointe de la diphtérie, du tétanos, de la coqueluche et de la poliomyélite ou dans celle de l’hépatite B. Les membres de la mission d’information sénatoriale citent également dans leur rapport le cas de pénuries répétées d’amoxicilline (2014 et 2018), des spécialités de BCG-thérapie utilisées dans le traitement du cancer de la vessie, ou encore tout récemment de l’anti-parkinsonien Sinemet.

« Ces traitements, écrivait France Parkinson début septembrecorrigent de façon efficace le déficit en dopamine cérébrale. Leur arrêt supprime cette correction et fait réapparaître les conséquences du déficit en dopamine, à savoir l’essentiel de la symptomatologie parkinsonienne. Chez certains patients, cette symptomatologie peut être sévère : lenteur extrême, raideur douloureuse, tremblements ».

Vers un marché public des médicaments ?

Pour endiguer la problématique de la pénurie de certains médicaments et ses conséquences sur la santé des patients, la mission sénatoriale avance plusieurs propositions. Parmi elles, il serait question « d’expérimenter, sur une période de cinq ans, la mise en place d’exonérations fiscales ciblées au bénéfice d’entreprises s’engageant sur des investissements pour l’implantation en France de sites de production de médicaments ou de substances pharmaceutiques actives essentiels pour la sécurité sanitaire européenne ».

Les sénateurs recommandent également « d’instituer un programme public de production et distribution de quelques médicaments essentiels concernés par des arrêts de commercialisation, ou de médicaments
 « de niche » régulièrement exposés à des tensions d’approvisionnement, confié à la pharmacie centrale des armées et à l’agence générale des équipements et produits de santé ».

Cette proposition va dans le sens des positions de France Assos Santé qui en juillet estimait souhaitable de relocaliser une partie de la production de médicaments en Europe vers des laboratoires de chimie fine avec un organisme de contrôle public.

Relocaliser la production de molécules essentielles

« Cette disposition, écrivait alors le regroupements d’associations de patients et de consommateurs, garantirait la disponibilité des molécules de base qui pourraient être livrées aux firmes pharmaceutiques qui se chargeraient du conditionnement des médicaments. En oncologie, ces molécules de base sont au nombre de 30 à 35 et elles sont indispensables pour soigner les personnes ayant un cancer ».

Précisons que selon l’Académie nationale de pharmacie, 60 % à 80 % des matières actives à usage pharmaceutique ne sont pas fabriquées dans les pays de l’Union européenne, mais en Inde et en Asie, contre 20 % il y a trente ans.

Autre proposition allant dans le sens des revendications de France Assos Santé : mettre en place un système d’information véritablement efficace. Cette plateforme d’information centralisée sur les situations de ruptures serait renseignée par l’ANSM, les laboratoires, les grossistes-répartiteurs ou encore les pharmaciens d’officine. « Elle permettrait de disposer d’informations actualisées sur les origines des tensions et ruptures et les dates prévisionnelles de retour des produits ».

Plus de transparence sur les ruptures

Pour France Assos Santé, ce type de dispositif doit être conçu de telle sorte que les patients puissent également avoir la possibilité de renseigner non seulement les pénuries auxquelles ils sont confrontés (ce que la mission sénatoriale ne prévoit pas dans ses recommandations) mais aussi les solutions qu’ils ont mises en place afin d’y pallier.

Yann Mazens est chargé de mission à France Assos Santé. D’après lui, « il est essentiel qu’on puisse recueillir ces informations de manière à documenter les situations à risque que les patients sont susceptibles d’adopter (achat sur Internet, switch de médicaments, etc.) et éventuellement les prévenir s’ils mettent leur santé en danger ».

Rappelons enfin que c’est aussi (et surtout) aux industriels de la pharmacie de trouver eux-mêmes les solutions pour limiter la survenue de ces pénuries. Comment ? Par exemple en évitant de se désengager sur les médicaments essentiels peu rémunérateurs, comme le soulignent les sénateurs.

Les labos doivent mieux remplir leur rôle

Ces derniers proposent de responsabiliser les industriels en instaurant tout d’abord la transparence sur l’historique de leurs ruptures ainsi que sur les manquements éventuels à leurs obligations. Ils recommandent également de mettre au point un dispositif de sanctions financières à l’intention « des laboratoires qui n’assureraient pas un approvisionnement approprié et continu du marché français ».

« La maladie ne dort jamais. Nous non plus. », scande le Leem, le syndicat des fabricants de médicaments, dans sa dernière campagne publicitaire. Et si au lieu d’afficher leurs bonnes intentions, les industriels faisaient simplement en sorte d’assurer ce qu’on attend d’eux, à savoir fournir des médicaments efficaces à des prix raisonnables ?