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Source : Seronet 

Aujourd’hui, l’usage de drogues dans un contexte sexuel pose de nouveaux enjeux de prévention des contaminations. VIH, hépatites et autres IST, mais aussi dépendance aux produits, le chemsex et ceux qui le pratiquent obligent à réfléchir sur de nouvelles façons de concevoir la réduction des risques. Début avril, des militants et médecins européens se sont réunis à Londres afin d’échanger sur cette nouvelle donne chez les gays, trouver des réponses, malgré un phénomène évolutif dont les contours restent encore mal définis. Vincent Schlegel, chargée de mission PrEP au niveau européen à AIDES, était présent au London chemsex forum. Il revient pour Seronet sur cette expérience.

La question de l’usage de substances psychoactives dans le cadre de rapports sexuels n’est pas nouvelle. Depuis quelques années, le phénomène semble prendre de l’ampleur, particulièrement au sein de la communauté gay. Reste que le phénomène, en l’absence d’études complètes, reste difficilement quantifiable. Difficile donc de savoir précisément qui et combien de personnes sont concernées. Et même parmi les personnes consommant des drogues lors de relations sexuelles, il est indispensable de distinguer celles chez qui cela relève d’un usage problématique et les autres ; ce qui suppose de mettre en parallèle l’expérience subjective des personnes concernées et des critères objectifs. Les données épidémiologiques et médicales demeurent encore insuffisantes pour rendre compte du phénomène. Il faut donc adopter le point de vue de la communauté, à la fois pour comprendre comment certaines pratiques de chemsex sont amenées à être définies comme problématiques et quelles solutions sont proposées par les personnes. Réunis à Londres pour la première fois début avril 2016, des militants associatifs européens et des chercheurs ont fait le point sur la question.

Le chemsex, de quoi parle-t-on ?

Lorsqu’on parle de chemsex, on fait référence à la consommation de drogues dans un contexte sexuel, le plus souvent entre hommes. Le terme de chemsex émane directement de la communauté gay, né de la contraction de Chemicals (produits de synthèse utilisés comme drogue) et de sex. Différents produits sont pris, seuls ou en combinaison, selon les sensations qu’ils procurent et la facilité relative avec laquelle on peut se procurer un produit plutôt qu’un autre. Les plus couramment utilisés sont le GHB/GBL, le crystal meth (plus connu sous le nom de Tina), la méphédrone, les cathinones (4mec, 3MMC, etc.) et la kétamine. Après avoir fumé, sniffé, ou encore s’être injecté le produit (slam) les « chemsexers » (ceux qui pratiquent le chemsex) témoignent à la fois de la facilité avec laquelle ils peuvent s’engager dans des rapports sexuels, la drogue permettant une intimité particulière où la timidité disparait sous l’effet des produits. Ils témoignent aussi de la qualité de leurs relations car celles-ci sont souvent plus longues et peuvent être répétées.

D’un point de vue de santé publique, la consommation de ces substances provoque toutefois différentes conséquences néfastes : augmentation du rythme cardiaque, déshydratation, problèmes d’érection ou encore évanouissements soudains. Le chemsex augmente aussi le risque d’être contaminé par le VIH, le VHC ou par n’importe quelle autre IST pour de multiples raisons : rupture du préservatif dû à la déshydratation et à l’assèchement des muqueuses, oubli de se protéger par un préservatif, multiplication des partenaires, éventuel partage de matériel d’injection ou de sniff, etc. Toutefois, si une utilisation non systématique de préservatif est souvent mentionnée lorsqu’on évoque le chemsex, cela ne signifie pas pour autant que les personnes qui pratiquent ne mettent pas en place des stratégies de réduction des risques. A ce sujet, les nouveaux outils de prévention biomédicalisés que sont le Tasp (1) et la PrEP (2) constituent respectivement des possibilités intéressantes de diminution du risque de transmission et de protection contre le VIH dans le contexte du développement du chemsex.

Deux raisons sont principalement invoquées pour expliquer son essor : l’accessibilité des nouvelles drogues de synthèse qui peuvent être achetées directement sur Internet et l’utilisation massive des sites et des applications de rencontres qui mettent plus facilement et rapidement en relation des personnes désireuses de participer à des plans chemsex. Mais la véritable nouveauté que représente le chemsex réside dans l’intention manifeste des personnes d’avoir des rapports sexuels sous l’influence de substances psychoactives. On voit, par exemple, se développer dans les applications de rencontre des messages courts (« H&H » qui signifie « high & horny », « Plan chems ? » parmi d’autres) indiquant la volonté de participer, parfois exclusivement, à des plans chemsex.

L’existence d’un tissu associatif dense à Londres a permis de mettre en lumière l’existence de ces nouvelles pratiques liées à la fois au sexe et à la drogue, pour proposer ensuite des services adaptés aux situations rencontrées.

L’expérience Londonienne

Le London chemsex forum a été l’occasion de présenter les nombreux services qui ont vu le jour à Londres au cours des quinze dernières années. S’il y a un mot à retenir de ces trois journées, c’est probablement celui de « communauté » et le rôle qu’elle a joué dans l’identification du problème, ainsi que dans la formulation de l’aide adéquate à proposer à ceux qui en expriment le besoin.

Difficile de faire un état des lieux exhaustif des actions proposées à Londres tant elles paraissent nombreuses. Il est toutefois nécessaire de souligner les différentes formes que prend la mobilisation autour de cette question, sans jamais laisser place à des jugements moraux. La clinique 56 Dean street propose, par exemple, des consultations spécialisées pour les personnes pratiquant le chemsex. Animées par le charismatique David Stuart, responsable des programmes de bien-être de l’établissement, elles permettent aux personnes de recevoir un accueil et un suivi personnalisé si elles le désirent, sans rendez-vous au préalable et totalement gratuits. Elle permet aussi de distribuer un TPE (traitement post-exposition ou traitement d’urgence) aux personnes exposées à une situation à risque.

Un autre exemple est celui d’Antidote, une association anglaise qui offre des services spécifiques aux publics LGBT en lien avec leur consommation d’alcool ou de drogues. Elle propose, par exemple, un programme intensif étalé sur quatre semaines intitulé Swap (Structured weekend antidote program) invitant les chemsexers à sortir de la chaîne des week-ends de fête sexuelle en leur offrant la possibilité de participer à des ateliers pour faire le point sur leur situation personnelle. Dans la même veine, After Party Service distribue des kits post « chemsex parties » incluant des autotests de dépistage du VIH, des préservatifs, du gel et des aiguilles propres. Les militants se rendent disponibles pour dispenser conseils et aide à ceux qui les sollicitent.

Enfin comment ne pas parler de l’initiative réjouissante « Let’s talk about gay sex and drugs » qui donne, chaque mois, dans un bar gay à Soho, le quartier gay de Londres, la parole à des personnes qui participent à des plans chemsex. Les témoignages allient bien souvent humour et émotion tout en offrant au public venu y assister un discours simple et sans tabou sur une question qui anime de plus en plus la communauté. Le succès de ces interventions a d’ailleurs donné naissance à une pièce de théâtre écrite à partir d’authentiques récits de personnes engagées dans le chemsex.

La recherche n’était pas en reste lors du forum. Un jour entier lui était dédié à partir de différentes perspectives : médicale, physiologique, historique ou encore épidémiologique. Un certain nombre de questions mériterait cependant d’être étudié dans les prochaines années comme l’a souligné le Dr. Adam Bourne, chercheur à la London school of hygiene & tropical medicine : Quelle prévalence du chemsex en Europe ? Quelle est son influence sur la santé générale et la santé sexuelle en particulier ? Qu’est-ce qui motive ou facilite l’engagement des personnes dans des plans chemsex ? Comment réduire les risques liés à cette pratique ? Toutes ces recherches permettraient d’éclairer une pratique encore méconnue et d’apporter une aide appropriée aux personnes qui en ont aujourd’hui besoin.

Et maintenant, que fait-on ?

Des présentations tenues lors du forum sur l’expérience londonienne, il ressort le retard relatif des autres pays européens à développer une offre de services spécifique au chemsex, notamment dans les capitales comme Paris, Berlin ou Amsterdam. Le témoignage des militants venus d’Europe souligne la prise de conscience progressive du phénomène, mais la difficulté à mettre en place des actions de prévention spécifiques et adaptés au chemsex. De plus, ces villes fortement touristiques où le chemsex semble plus courant qu’ailleurs, peuvent être des portes d’entrée vers une pratique plus régulière.

Il y a aussi une urgence à mutualiser les compétences en matière de santé sexuelle et celles concernant les addictions pour traiter un enjeu comme le chemsex dans lequel sexe et usage de produits ne forment plus qu’une seule et même pratique. Le chemsex cristallise un certain nombre de questions concernant la santé sexuelle et globale des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Elle laisse la possibilité de discuter aussi bien des méthodes de réduction des risques que du bien-être et du plaisir sexuel. Se saisir de la question du chemsex pourrait être l’opportunité de créer une offre globale et intégrée, comme c’est déjà le cas pour la PrEP en France. Cette dernière présente évidemment un intérêt tout particulier en contexte de chemsex, mais sa disponibilité reste extrêmement limitée en Europe ; à l’heure actuelle, seule la France l’a autorisée. Enfin, la question du consentement lors des plans chemsex a aussi été évoquée. Difficile pour une personne de manifester son consentement (ou non) à l’acte sexuel lorsqu’elle est sous l’influence de produits psychoactifs. Difficile aussi de reconnaître soi-même ou de faire reconnaître des situations d’abus lorsque l’on a consommé des drogues. Une fois encore, la mobilisation communautaire, (asso, milieu commercial et médical), a un rôle important à jouer dans cette optique pour accompagner les personnes à en prendre conscience et mieux les orienter.

Remerciements à Stéphane Calmon, Jimmy Lambec et Camille Spire.