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Yazdan Yazdanpanah, médecin touché

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source : Libération

Né en Iran, le chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat et membre du conseil scientifique se remet du coronavirus.

C’était un sentiment étrange d’entendre, en cette fin de semaine, la voix du professeur Yazdan Yazdanpanah, d’ordinaire si claire et si souriante, pour une fois chevrotante, s’essoufflant, vous dire : «Ça va. Ça va beaucoup mieux. J’ai juste, là, besoin d’un litre d’oxygène. Il y a eu des moments un peu difficiles. La semaine prochaine, j’espère sortir.» Yazdan – comme tout le monde l’appelle – est infecté par le Covid-19. Et le voilà hospitalisé dans son propre service, celui des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat, dans le nord de Paris. «J’ai hésité, je ne voulais pas que cela les gêne, mais dans mon service je suis un peu chez moi. J’avais besoin d’un peu de chaleur, d’un peu d’amour. Et j’étais sûr d’en trouver là», nous raconte-t-il.

Le voilà en retrait, lui qui est d’habitude en première ligne, membre du conseil scientifique d’Emmanuel Macron. Lui qui, depuis vingt ans, traque les nouveaux virus. Lui qui, un jour de garde en avril 2013 au CHU de Lille, a reçu le tout premier malade en France atteint du Sras. Lui, devenu depuis la référence en matière de clinique et de recherche. Et voilà que cette satanée infection à coronavirus a dû le contraindre à changer de bord. Etre là, cloué au lit de son hôpital. «Je ne m’imaginais pas tomber malade», avoue-t-il, dans un sourire.

Yazdan ne change pas. Il est cette personnalité chaleureuse que l’on connaît depuis des années. Il vous regarde, comme amusé, et renvoie à son interlocuteur cette certitude que l’on va s’en sortir. A 55 ans, il fait partie de cette seconde génération d’infectiologues post-sida, qui a vu le grand retour des maladies infectieuses. «C’est un grand chercheur, il aime travailler en collectif. Mais c’est d’abord quelqu’un qui est proche des malades», insiste le professeur Yves Mouton qui fut son mentor. «C’est mon fils spirituel, poursuit le professeur Jean-François Delfraissy, qui préside le conseil scientifique. Je l’aime beaucoup.» Précisant aussitôt : «Ce sont des mots que j’emploie rarement». De fait, Yazdan a un défaut : il est apprécié. Est-ce en raison de cet humour à fleur de mots ? Cette façon d’être poli avant toute chose, comme un préalable posé aux relations humaines ?

De sa chambre d’hospitalisation, que voit-il ? Un périphérique désert, une ville à l’arrêt, un hôpital en ébullition. Nous sommes, en tout cas, à des années-lumière de Chiraz, cette ville historique plantée au centre de l’Iran où il est né, dans une famille solide, père ingénieur des ponts et chaussées. Son enfance est alors simple et heureuse. «Pourquoi je viens en France ? Nous sommes en 1980, mes parents sont francophones, en Iran les écoles sont fermées, la guerre va commencer avec l’Irak. Et on m’envoie dans un internat dans le sud de la France, à Sophia-Antipolis.» Ses parents viendront quelques années plus tard s’installer à Nice où, changement de statut, ils ouvriront un petit commerce d’alimentation.

Yazdan n’a pas de mauvais souvenirs. Il se crée vite une famille. Il est travailleur : c’est sa force. Médecine à Montpellier, puis, reçu à l’internat, il hésite entre Lille et Marseille, et choisit la première. «Lille, c’est ma ville, j’ai beaucoup aimé cette ville.» Au début, la psychiatrie le tente, mais en faisant son service national au Sénégal, il découvre les maladies tropicales. «En 1993, il y avait une épidémie de bilharziose dans la vallée du fleuve Sénégal. C’est là que ma vocation est née, on cherchait un vaccin.» Il revient au service des maladies infectieuses du CHU de Lille, chez le professeur Yves Mouton. «Il m’a beaucoup aidé, c’était un chef de service impressionnant, et il m’a considéré comme un fils», raconte-t-il. Celui-ci le convainc de rejoindre la prestigieuse Ecole de santé publique de Harvard, où pendant deux ans il va travailler sur les évaluations économiques des politiques de santé. Professeur, puis chef de service à Lille au départ de Mouton, il est nommé à Bichat dans ce service chargé d’accueillir les malades atteints de virus inconnus ou émergents. Tout y est prêt, avec ces chambres spéciales, ces systèmes d’aération particuliers et une formation régulière pour tout le personnel. C’est là que Yazdan impose sa marque. «Je travaille beaucoup, je ne suis pas un grand savant, mais je suis pragmatique, avec juste un peu de clairvoyance.» Et il ajoute, joliment : «J’aime le fait de travailler ensemble.»

Bref, voilà un parcours parfait, impressionnant même. Logiquement, en 2016, il devait être nommé à la direction de l’Agence nationale de recherches sur le sida (ANRS) pour remplacer Delfraissy qui partait, lui, présider le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Gros grain de sable, sa nomination est bloquée en raison de ses liens d’intérêts avec plusieurs laboratoires pharmaceutiques. «Cette question n’est pas simple, explique-t-il. Travailler avec l’industrie est utile. Cela permet d’être au courant, de monter des essais, de rencontrer des gens de haut niveau. Mais ce mélange est complexe. Depuis 2017, j’ai tout arrêté. Je n’ai plus aucun lien, c’est plus clair et plus simple ainsi.» Il reste à Bichat et multiplie les recherches. Il va faire face au Mers, puis à Ebola, puis au Covid-19 qui débarque comme une tempête imprévue. «Personne n’imaginait que cela serait aussi grave. C’est une saloperie», lâche-t-il.

Au début de l’épidémie, il ne s’est pas trop inquiété. Certains lui reprocheront des propos par trop rassurants. Tout a basculé à l’arrivée à Bichat des cas de l’Oise, puis de l’Est. Puis l’exemple de l’Italie. «On a été sidérés.» Les raisons de cette méprise ? «On a trop cru que c’était comme avec les autres coronavirus. Cela nous a trompés. Or il y avait une différence majeure : la proportion d’asymptomatiques. Ils étaient contagieux, et c’est cela qui a fait la bascule.» Depuis, cet hyperactif s’impatiente, impressionné par ce virus qui n’en finit pas de nous échapper. «On avance très vite sur la prise en charge des traitements pour éviter l’aggravation des patients», dit-il.

On l’imagine dans sa chambre d’hôpital, inquiet mais combatif, attentif aussi, répondant à des centaines de mails. Dans quelques jours, il espère entrevoir, par la fenêtre, sa femme. Originaire de Carcassonne, elle travaille dans un club d’équitation pour enfants autistes. Et voir ses deux enfants, une fille de 17 ans qui devait passer le bac, et un garçon de 13 ans, adopté, d’origine africaine. Yazdan Yazdanpanah est ainsi, homme de l’Orient. Il adore la mer et le vent. Se dit farouche partisan de l’OM. «La chose qui me déprime, c’est quand l’OM perd», avoue-t-il. La suite ? «Cela va être long, mais on y arrivera»,lâche-t-il dans un défi qui ressemble à sa vie.


1965 Naissance.

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