Source : liberation.fr
Face à l’escalade incontrôlable des prix due à un système opaque, un collectif d’associations appelle le gouvernement français à s’engager en faveur de la résolution «transparence», qui montrerait la voie à suivre pour des Etats plus forts face au dictat des laboratoires, présentée à l’Assemblée générale de la santé de l’OMS du 20 au 28 mai à Genève.
Tribune. Les médicaments, les plus innovants soient-ils, ne sont efficaces que s’ils sont accessibles. Pourtant, y compris dans les pays les plus riches, le prix des nouveaux médicaments contre des pathologies graves devient une barrière à leur accès. Il est de plus en plus fréquent de voir des médicaments arriver sur les marchés avec des prix atteignant plusieurs dizaines voire centaines de milliers d’euros par patient·e, comme c’est le cas des derniers traitements anticancéreux. Ces prix menacent l’accès aux soins pour tou·te·s et mettent la pérennité des systèmes de santé solidaires en danger.
Rationnement
Au Royaume-Uni, au-delà de 30 000 livres (environ 34 000 euros) par année de vie gagnée, les traitements ne sont pas pris en charge par le système de santé. En France, un rationnement inédit a été organisé sur les traitements contre l’hépatite C entre 2014 et 2017, parce que notre système de santé ne pouvait pas rembourser toutes les personnes qui en avaient besoin. En France encore, des traitements contre différents cancers font l’objet de barrières administratives à la prescription, en raison de leurs prix. En France toujours, l’accès à certains traitements est retardé parce que les industriels du médicament exigent de l’Etat des prix insoutenables pour les finances publiques. Plus généralement, le budget dédié à l’achat de médicaments pèse sur les finances publiques, au détriment d’autres postes de dépenses, comme l’investissement dans les infrastructures et les ressources humaines en santé.
Opacité
L’escalade des prix est incontrôlable du fait de l’absence de transparence des chaînes de développement, fabrication et commercialisation des médicaments. Aujourd’hui, il est impossible de savoir où a été fabriqué un médicament, à quel coût, combien d’argent public a été investi dans la recherche et le développement, ou combien l’assurance maladie le paye réellement. Alors que les médicaments doivent être considérés comme des biens publics, essentiels à la survie et à la bonne santé des populations, sur le marché pharmaceutique, l’opacité reste pourtant la norme.
Des négociations à huis clos sont supposées ménager des marges de négociations aux Etats. Dans les faits, ces derniers négocient les uns contre les autres, les yeux bandés, quand les entreprises du médicament sont les seules à disposer d’une vision globale. L’absence de transparence empêche tout contrôle démocratique. A la fin, ce sont les citoyen·ne·s, les personnes malades, qui en payent les conséquences.
Résolution
A l’inverse, les vertus de la transparence ne sont plus à démontrer. Connaître les montants réels investis en recherche et développement (R&D), notamment les ressources publiques via de nombreux mécanismes (financement direct, recherche publique, crédit d’impôts, partenariat public-privé, etc.), ainsi que les coûts engagés par l’industrie dans les activités de recherche est nécessaire à une négociation équitable.
En France, la société civile et des institutions à l’image du Conseil économique, social et environnemental (CESE) demandent également plus de transparence et la fin de la confiscation de la politique du médicament par quelques personnes publiques et privées, dont les décisions affectent l’ensemble de notre système de santé. A l’échelle internationale aussi, des institutions comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) émettent des critiques par rapport à un marché excessivement opaque et proposent plus de transparence à tous les niveaux.
Les Etats signataires
Le sujet sera au cœur d’une résolution présentée à l’Assemblée générale de la santé de l’OMS à Genève du 20 au 28 mai. Actuellement cosignée par neuf pays européens, africains, asiatiques et sud-américains, cette résolution – si elle est adoptée par les Etats membres de l’OMS – marquerait une avancée majeure sur le plan éthique et démocratique. Son adoption pourrait avoir un impact décisif sur l’accès aux produits de santé pour tou·te·s, dans des systèmes de santé pérennes. Une lettre ouverte signée par plus de 100 organisations non gouvernementales et expert·e·s en santé présent·e·s sur tous les continents appelle d’ailleurs les Etats à la soutenir.
Le gouvernement français a annoncé dimanche après-midi un soutien à la résolution par la voix de Stéphanie Seydoux, ambassadrice pour la santé mondiale. Nous saluons cette déclaration. Madame la ministre Buzyn, monsieur le ministre Le Drian, monsieur le Premier ministre Philippe, monsieur le Président Macron, nous vous appelons à engager la France sans réserve ni ambiguïté en faveur de cette résolution et à faire valoir le rôle de régulateur de l’Etat. La diplomatie française doit défendre l’intérêt général, l’accès à la santé pour tou·te·s plutôt que les profits de certain·e·s, et donc soutenir publiquement et sans réserve ce principe démocratique essentiel qu’est la transparence dans le domaine de la santé.
Liste des signataires : Françoise Barré-Sinoussi prix Nobel de physiologie et de médecine 2008, Marc-Antoine Bartoli président d’Act Up-Paris, Aurélien Beaucamp président de l’association AIDES, Alain-Michel Ceretti président de France Assos Santé, Dr. Philippe de Botton président de Médecins du Monde France, Axelle Ebode comité de coordination UAEM Europe, Gaëlle Krikorian directrice des politiques, campagne d’accès aux médicaments essentiels à Médecins Sans Frontières, Pauline Londeix Act Up-Basel, présidente, Suisse/France, Bruno Rivalan directeur exécutif adjoint, action santé mondiale, Florence Thune directrice générale de Sidaction.