source: seronet
En marge de la journée du 1er décembre 2019, le professeur François Dabis, directeur de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) a publié une interview (21 novembre) dans laquelle il commente les dernières données épidémiologiques françaises et revient sur les points forts des stratégies de recherches impulsées par l’Agence qu’il dirige. En voici les points saillants.
Interrogé sur la baisse des nouvelles contaminations en France (-7 %), François Dabis se montre prudent quant au fait que ce soit le signe que « nous serions parvenus à la fin du sida. Cette baisse est « plutôt une bonne nouvelle, mais, en effet, les tendances ne pourront véritablement être appréciées qu’avec davantage de données d’ici un an ou deux », explique-t-il ; avant d’ajouter : « Mais reconnaissons-le, on est encore loin de la « fin du VIH/sida ». En France comme ailleurs dans le monde, il faudrait d’abord utiliser de manière quasi systématique les moyens déjà à notre disposition et que la recherche a mis au point depuis cinq ans : dépistage et traitement universels, prophylaxie préexposition (Prep) ; ils sont incroyablement efficaces et encore insuffisamment utilisés par tous ceux qui en ont besoin », constate-t-il. Pour le clinicien et chercheur : « La recherche en sciences humaines et sociales et en santé publique peut faciliter l’identification des meilleures stratégies à adopter en fonction des populations cibles et des contextes : hommes ayant des rapports avec des hommes (HSH), migrants, personnes en détention, travailleurs-euses du sexe, consommateurs de drogues par voie injectable ». D’ailleurs François Dabis rappelle qu’un « des rôles essentiels joué par l’Agence », qu’il dirige « est de promouvoir et soutenir des recherches pour améliorer la prévention, l’accès au dépistage et aux soins des populations vulnérables ». La démonstration scientifique pouvant servir « d’appui à la décision en santé publique en France et à l’international ». De ce point de vue, il estime, que l’étude ANRS Prévenir « est un bon exemple ». Démarrée en 2017, elle évalue sur plus de 3 000 personnes séronégatives, exposées à un risque élevé de contamination par le VIH et résidant en Île-de-France l’impact de la Prep sur le contrôle de l’épidémie. « Grâce à [l’étude] Prévenir, il sera ainsi possible, l’année prochaine sur la base du suivi détaillé effectué pendant trois ans de ce large échantillon, d’apprécier en détail le degré d’efficacité de la Prep sur l’évolution des contaminations et leurs déterminants ». En parallèle, l’Agence travaille actuellement dans ce cadre à la recherche sur les infections sexuellement transmissibles (qui sont en augmentation) et leur prévention par l’usage d’antibiotiques et de vaccins.
Les défis actuels
Une grande partie de l’interview de François Dabis porte sur les défis de la « recherche fondamentale et translationnelle », mais le directeur de l’Agence tient à rappeler cette évidence. « Il n’y aura pas de fin à cette épidémie, si d’abord nous ne facilitons pas l’accès au dépistage, au traitement et à la Prep pour tous ceux qui en ont besoin », explique-t-il. C’est en quelque sorte le préalable. Il indique qu’un « des axes d’innovation actuels vise à simplifier encore les prises de médicaments ». « Les compagnies pharmaceutiques ont mis au point une première série de formulations injectables d’antirétroviraux et travaillent sur des implants. Il est de la responsabilité de l’ANRS de construire et d’évaluer des stratégies de prévention et prise en charge prenant en compte ces innovations, notamment pour les pays du Sud ».
Questionné sur les grands défis qui se posent à l’Agence, François Dabis en identifie trois types qui « structurent les grandes priorités que j’ai retenues pour l’Agence ». Il y a d’abord ceux de la « recherche fondamentale et translationnelle ». Ce champ vise à « mieux connaître les mécanismes d’actions du virus et la réponse du système immunitaire (avec le consortium ANRS Rhiviera), la localisation des réservoirs (avec, par exemple, lessai ANRS Doluvoir). Cela avance aussi en matière de vaccin puisque « le programme scientifique du Vaccine Research Institute (VRI) soutenu par l’ANRS se concrétise avec le lancement d’au moins deux projets d’essais vaccinaux en 2020 : un essai thérapeutique de phase II, dans le cadre d’un consortium européen piloté par la France (Essai Ehva T02/ANRS Vri07), et un autre essai thérapeutique de phase II innovant (ANRS Vri04 (Dalia 2) ciblant les cellules dendritiques (immunothérapie). Ces deux projets sont actuellement en cours d’évaluation auprès des autorités compétentes.
En matière de vaccin préventif, la France est également présente avec des essais vaccinaux prophylactiques de phase I prévus à partir de 2020 (ANRS Vri06) et coordonne l’un des deux consortiums européens sur le sujet jusqu’en 2022.
Deuxième champ, la recherche opérationnelle. Elle est principalement conduite au Sud. « Il nous faut mieux définir les conditions du passage à l’échelle des moyens de prévention et de traitement existants pour contrôler l’épidémie, explique François Dabis. Les résultats de l’essai ANRS Namsal auxquels sont parvenus des chercheurs franco-camerounais, étaient très attendus pour valider le choix du passage au dolutégravir dans les traitements de première ligne par l’Organisation mondiale du sida (2). Nous allons maintenant poursuivre cette étude avec le concours d’Unitaid car des questions à long terme se posent, celles relatives notamment aux prises de poids excessives et à leurs conséquences ».
Troisième champ, la « recherche pour les personnes vivant avec le VIH ». « Pour les personnes qui vivent avec le VIH comme maladie chronique nécessitant un traitement quotidien à vie, toute simplification est bonne à prendre et constituera une nouvelle option ». Outre les formes injectables qui sont une stratégie de simplification du traitement, une autre piste est celle de l’allègement. « L’essai ANRS Quatuor présenté lors de la conférence IAS 2019 a beaucoup fait parler de lui car un traitement quatre jours sur sept au lieu de 7 jours sur 7 pourrait améliorer la vie des personnes. Nous attendons les résultats complets de cet essai dans l’année à venir », explique François Dabis. « L’essai de simplification ANRS Altar vient de débuter et nous avons plusieurs projets sur le vieillissement et les comorbidités. Ces sujets vont être au cœur des nouvelles recommandations nationales du groupe d’experts VIH, hépatites virales et IST que l’Agence, avec le Conseil National du Sida [et la HAS, ndlr] réunira prochainement.
Avec quels moyens relever ces défis ?
Comme on le voit, ce ne sont pas les ambitions qui manquent, ni les projets. L’interview aborde donc les questions de financements. Pour François Dabis : « Il faut de la bonne science, comme base de décision aux financements publics et privés internationaux ». « Je crois qu’au plus haut niveau dans ce pays, on sait que la science doit servir à fonder la décision publique en santé et que l’investissement dans la recherche est payant », estime le directeur de l’ANRS. Et celui-ci de se montrer plus explicatif : « La recherche scientifique et médicale est absolument essentielle pour la riposte aux maladies et la résolution des grands problèmes de santé dont le VIH/sida fait toujours partie. La très bonne qualité de la recherche française sur le VIH et les hépatites est un atout exceptionnel pour l’atteinte de ces objectifs internationaux ». Il en veut pour preuve que « l’étude bibliométrique (…) sur la période 2013-2017, montre que la France est le deuxième pays européen en nombre de publications scientifiques dans le domaine du VIH/sida et le quatrième au niveau mondial pour la part des publications figurant dans le top 1% mondial (meilleures publications) sur cette infection ». Ces éléments indiquent bien un haut niveau de réussite de la recherche française dans ce domaine… mais les budgets sont-ils à la hauteur ? Cette question n’est pas abordée frontalement : ni satisfecit, ni critique. On trouvera juste cette affirmation en fin d’interview que chacun-e sera libre d’interpréter : « Les chercheurs qui travaillent sur le VIH élargissent graduellement leur champ d’investigation aux grandes questions de santé mondiale. Reste à savoir si nos moyens de les soutenir seront à la hauteur de ces nouveaux (et nombreux) enjeux ».