Source : CNRS Le Journal
Il y a tout juste 40 ans, une revue américaine faisait état d’une nouvelle forme de pneumonie touchant cinq patients : il s’agit en fait de la première évocation du sida. Rappel des faits dans cette chronique de Denis Guthleben, historien des sciences au CNRS.
5 juin 1981. La revue américaine Morbidity and Mortality Weekly Report publie une note révélant que cinq malades ont été admis depuis octobre 1980 dans trois hôpitaux de Los Angeles, et traités pour une forme de pneumonie qui n’apparaît que lorsque le système immunitaire est très affaibli. Or ces malades, dont deux sont déjà décédés, sont tous de jeunes hommes qui ne se connaissaient pas et étaient en parfaite santé jusqu’à l’apparition des premiers symptômes…
SIDA, Sida, sida
Difficile de ne pas être saisi aux tripes en lisant cette note, « Pneumocystis Pneumonia – Los Angeles », à quarante ans de distance. Sans le savoir encore, ses auteurs posent un jalon dans notre histoire : il s’agit de la première mention, dans la littérature scientifique, d’une maladie baptisée dans les mois suivants « syndrome d’immunodéficience acquise ». En France, l’acronyme « SIDA » se transformera peu à peu en nom propre, « le Sida », puis en nom commun, « le sida », un parcours étymologique qui est à lui seul révélateur de la place que la maladie a prise dans nos vies.
Des vies, justement, le sida en fauche de plus en plus au début des années 1980. Après la publication initiale, de nouveaux cas ne tardent pas à être identifiés en Amérique du Nord et en Europe. En France, les docteurs Willy Rozenbaum et Jacques Leibowitch font le lien entre certains des malades qu’ils rencontrent et les observations effectuées outre-Atlantique. Ensemble, ils créent le premier « groupe français de travail sur le SIDA ». Et le travail ne manque pas, en effet, pour trouver l’origine de cette maladie dont le profil des victimes, tous « active homosexuals » comme le relevait dès juin 1981 la MMWR, commence à déchaîner les passions… et les délires : des enragés n’hésitent pas à évoquer un châtiment tombé du ciel, comme au bon vieux temps de la peste noire !
Garde haute
Dans ce contexte parfois nauséabond, la recherche, elle, progresse. À Paris, au sein de l’unité Institut Pasteur/CNRS/Inserm d’oncologie virale, une équipe de scientifiques est sur la piste du responsable : le « virus de l’immunodéficience humaine » est isolé sur le ganglion d’un malade traité à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et décrit en 1983. Cette découverte vaudra le prix Nobel de physiologie ou médecine à Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier 25 ans plus tard. Mais la communauté savante n’est pas non plus à l’abri des polémiques. Un âpre conflit de paternité sur le VIH a opposé l’équipe française à un chercheur américain, Robert Gallo, finalement débouté au terme de longues années de procédures. De plus, au grand regret des récipiendaires eux-mêmes, en 2008 le comité Nobel a ignoré le rôle clé joué par l’un des membres de l’équipe de Luc Montagnier, Jean-Claude Chermann.