Source : gayvicking.com
Après une grosse frayeur, c’est le soulagement pour finir sur une inquiétude. Les CeGidd (Centre gratuit de dépistage anonyme et gratuit) devront changer de gestionnaire le 1er janvier 2019 suite à la décision du Département de ne pas renouveler son habilitation avec le Ministère de la Santé (ARS – Agence Régionale de Santé Normandie).
Comme partout en France, en Normandie et plus spécialement en Seine-Maritime, il y a 7 centres de dépistages anonymes sur le territoire (Le Havre, Fécamp, Dieppe, Elbeuf, Petit-Quevilly, Rouen x 2). Ces Centres de dépistages permettent à toute personne de prendre rendez-vous anonymement pour réaliser gratuitement un ou plusieurs tests de dépistage d’une MST – maladie sexuellement transmissibles (vih, hépatites, …).
Le 25 juillet dernier, le journal local Paris-Normandie annonçait la fermeture au 1er janvier 2019 de 6 centres de dépistage : « le 31 décembre prochain, tous les CeGIDD de Seine-Maritime (Dieppe, Elbeuf, Fécamp, Le Havre, Le Petit-Quevilly, Rouen) devront fermer leurs portes, faute d’accord financier entre le Département et l’Agence Régionale de Santé (ARS) ». Contrairement à ce que Paris-Normandie a publié, le Département ne gère que 5 Centres de Dépistage sur les 7 que compte la Seine-Maritime (2 sont gérés par des Centres Hospitaliers).
Incompréhensions et fausses informations
Aussitôt la nouvelle diffusée, c’est l’incompréhension et la stupeur. Outil indispensable dans la prévention des maladies sexuellement transmissibles, de nombreuses personnes, toute catégorie sociale confondue, utilisent ce service public de santé. Alors que les derniers chiffres sur les MST indiquent une recrudescence des contaminations, cette décision paraît comme absurde.
L’Agence France Santé Publique du Ministère de la Santé indiquait que le nombre moyen de consultations en centre de dépistage (CeGIDD) était de 3000 par centre (données 2016). Le dépistage est un maillon essentiel dans la chaîne de prévention contre toutes les infections sexuellement transmissibles.
Le lendemain, 26 juillet, par un communiqué de presse, le Département de la Seine-Maritime dément cette information et précise la situation.
Compétence de l’Etat via les ARS (Agence Régionale de Santé), le Département n’a pas souhaité renouvelé sa convention de gestion après 2018. Le Département explique sa décision pour des raisons financières.
Pour mémoire, depuis de nombreuses années le Département de la Seine-Maritime fait partie des départements les plus endettés de France. En 2014, la Chambre Régionale des Comptes avait alerté sur sa situation financière (à l’époque la dette avoisinait les 1,2 milliard d’euros). Aujourd’hui, toujours en difficultés financières, le Département diminuent ses dépenses de fonctionnement (-1,74% annoncés en 2017-2018).
Une contradiction politique
Pour 2019, les élus du Département souhaitent se recentrer sur des missions sociales (RSA, aides d’urgences…). Ainsi, au-delà du 31 décembre 2018, le Département n’a pas renouvelé son habilitation à gérer les 5 centres de dépistages sur les 7 actuellement en Seine-Maritime. Cette habilitation avait une durée de 3 ans (2016-2018). La prochaine devait être de 5 ans (2019-2023) conformément au Code de la Santé Publique. Un engagement financier jugé trop important pour la Collectivité.
Néanmoins, cette décision est particulièrement étonnante et contradictoire avec les récentes positions des élus.
En effet, lors de la séance du Conseil Départemental en date du 21 juin 2018, les élus du Département ont émis un avis favorable quant à l’adoption du schéma régional de santé 2018-2023 de l’ARS (Agence Régionale de Santé). Dans ce document de 430 pages est indiqué (page 207) qu’il est nécessaire « d’améliorer la couverture territoriale de l’offre de dépistage des IST et du VIH. ».. et de « conforter le rôle des CeGIDD : garantir la qualité, améliorer la couverture des territoires et l’accessibilité de tous au dépistage, clarifier le rôle des antennes… ».
Lors de la présentation de ce schéma régionale de santé la Vice-Présidente Nathalie Lecordier (Union de la droite) a déclaré que « ces axes et thématiques rejoignaient celles définies par le Département ». Une position confirmée par un vote favorable. Les élus de la majorité ont bien émis des réserves sur la politique régionale de santé mais sur d’autres sujets comme le handicap et la santé mentale. La délibération du Conseil Départemental n’a pas mentionné de réserve sur les Centres de Dépistages.
Quelques jours plus tard, le Département annoncera l’arrêt de sa prise en charge des dépistages sur les MST et le VIH.
Défaut de transparence
La décision du Département n’est pas illégale, c’est son droit légitime, mais sa position manque d’arguments. Certes ce service public a un coût. Néanmoins, l’ARS (Agence Régionale de Santé) via des dotations de la Sécurité Sociale assure le financement de cette activité. En effet, selon l’article D174-15 du Code de la Sécurité Sociale, les dépenses des centres de dépistages (CeGIDD) sont financées (remboursées) par l’Assurance Maladie et notamment les consultations médicales, les investigations biologiques voir les dépenses administratives… Alors pourquoi arrêter la gestion des 5 centres de dépistage si l’Etat subventionne le Département pour cette mission ?
Le Département mériterait à plus de transparence sur les raisons financières de sa décision. A t’il un reste à charge ? Quel est l’équilibre (dépenses-recettes) de cette activité pour la collectivité territoriale ? Des explications complémentaires sur les raisons de son désengagement seraient les bienvenues.
Et demain ?
La lutte contre le VIH et les infections sexuellement transmissibles relève de l’Etat. Ce dernier s’appuie sur un réseau de proximité composés de collectivités, d’hôpitaux, de cliniques ou d’associations par exemple. En Seine-Maritime comme dans la Manche, c’est le Département qui assure ce service. Dans l’Orne, c’est une association. Dans le Calvados, ce sont deux établissements hospitaliers.
A compter du 1er janvier 2019, l’Etat via l’ARS devra trouver un nouvel opérateur. L’Agence Régionale de Santé devra lancer un appel candidature dès la rentrée de septembre. Les associations, les collectivités territoriales, les établissements de santé ou des groupements de coopération médico-sociale pourront candidater.
Mais quel sera l’étendue de ce service public en janvier prochain ? Combien de centres de dépistage anonymes et gratuits seront habilités ? L’ARS va t’elle profiter de la situation pour réduire le nombre de centres afin de réaliser des économies ? Et sur quels secteurs géographiques ? Les villes moyennes comme Fécamp, Elbeuf ou Dieppe pourront-elles toujours bénéficier de ce service ? Dans le département du Calvados il n’existe que deux Centres de Dépistage CeGIDD (Caen et Lisieux) (Département de l’Eure : 5 lieux – Département de la Manche : 3 – Département de l’Orne : 3 – liste ici).
Vigilance des associations
La crainte des associations notamment LGBT comme Enipse ou Aides est que le service soit restreint dès janvier prochain pour la Seine-Maritime. Benjamin Duval d’Enipse a déclaré : « nous resterons très vigilants afin que chacun puisse avoir un accès au dépistage dans un cadre bienveillant, anonyme et être accompagné dans le choix de leur prévention ». Il convient de noter qu’au-delà des CeGIDD, les associations LGBT organisent régulièrement des permanences de dépistage (sous agrément de l’ARS) à Caen et à Rouen mais moins souvent que les centres publics.
De son côté, le Département assure que « les agents départementaux (…) pourront également, s’ils le souhaitent, proposer leur candidature au(x) futur(s) repreneur(s) de l’activité… ». La réattribution des moyens et des compétences sera un enjeu majeur du ou des nouveaux opérateurs.
Un dossier qui sera suivi de près par le public mais aussi par les associations déjà inquiètes.