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Santé mentale et VIH : l’épreuve de l’épidémie de Covid

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Source : TRANSVERSAL MAG

Durant le confinement, psychologues et psychiatres ont suivi par téléconsultation leurs patients vivant avec le VIH. Si ce moment de « pause » a été globalement bien vécu, le déconfinement a souvent été plus compliqué à gérer pour ces patients, encore confrontés aujourd’hui à une situation sanitaire très incertaine.

« Il y a certaines personnes qui veulent vraiment revenir nous voir. Et d’autres qui ont pris l’habitude de consulter, par téléphone, depuis leur canapé. Et qui, finalement, n’ont plus très envie de bouger de leur canapé… » C’est sur le ton de la boutade que cette psychologue, spécialisée dans le VIH, décrit la situation actuelle. « On est dans un entre-deux un peu compliqué à gérer pour nos patients qui, comme tout le monde, font face à une situation sanitaire encore pleine d’incertitudes. Car la vie n’est pas redevenue comme avant », ajoute Serge Hefez, psychiatre et responsable de l’Espace social et psychologique d’aide aux personnes touchées par le virus du sida (Paris).

Les six derniers mois ont été difficiles à gérer pour tous les acteurs de la lutte contre le sida, mais aussi, et surtout, pour les personnes vivant avec le VIH. L’épidémie de Covid-19 a en effet bouleversé un certain nombre de repères et d’habitudes dans leur prise en charge. À ce stade, il ne semble pas que cet événement sanitaire hors-norme ait provoqué de ruptures massives dans le suivi médical et la prise des traitements. Mais le confinement puis le déconfinement n’ont pas été des étapes toujours simples à vivre, en particulier pour les personnes présentant un problème de santé mentale.

Des inquiétudes au début du confinement

Le suivi de ces personnes, fragiles sur le plan psychique, est aujourd’hui un enjeu primordial. On estime ainsi que près de 13 % des personnes vivant avec le VIH rapportent un épisode dépressif majeur dans l’année. Un taux plus élevé que celui observé en population générale, de 5 % à 8 % selon les études. Et sans être atteintes de dépression, de nombreuses personnes vivant avec le VIH souffrent de problèmes d’anxiété, d’angoisses ou de troubles cognitifs. Et au début du confinement, de nombreux psychologues étaient inquiets des semaines à venir pour ces personnes à plus forte vulnérabilité sur le plan psychologique.

Car avec le confinement, toutes les consultations « présentielles » ont dû être arrêtées. Psychiatres et psychologues ont certes continué à travailler en proposant un suivi à distance, par téléphone ou en visioconférence. « Je dois dire que pendant cette période, j’ai été débordée de travail, car pratiquement toutes les personnes que je suivais ont accepté ce suivi à distance. Parfois, il m’est arrivé de faire jusqu’à une vingtaine d’entretiens dans la journée », rapporte Nadège Pierre, psychologue et sexologue au 190, un centre de santé sexuelle parisien, soutenu notamment par l’association Aides.

Ces téléconsultations ont bousculé des habitudes bien ancrées. « Cela a été plus facile à mettre en place avec les patients que je connaissais bien. Le fait de ne pas se voir n’était pas un obstacle majeur. Au début de la conversation, je savais déjà, rien qu’à l’intonation de leur voix, s’ils allaient bien ou pas. Mais pour les patients nouveaux, ce n’est pas simple d’entamer un suivi par téléphone », explique Martine Shindo, psychologue clinicienne dans le service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Louis (Paris).

Une confidentialité parfois difficile à faire respecter

Dans certains cas, ce suivi à distance s’est heurté à des problèmes très concrets. « J’ai quelques patients qui vivent en couple ou en famille. Et pendant ces quelques semaines, ils ont préféré suspendre leur suivi. Car il n’était pas évident, en étant confinés avec d’autres personnes dans des espaces parfois étroits, de pouvoir parler en toute confidentialité », explique Alice Plutarque, psychologue clinicienne dans l’unité d’immuno-infectiologie de l’Hôtel-Dieu (Paris). « J’ai connu un peu la même situation avec des personnes confinées avec leur compagnon dans un tout petit studio », ajoute Nadège Pierre.

Quelques patients, fragiles psychologiquement, ont mal vécu le confinement. « On a vu des personnes, déjà très seules, qui se sont senties dans quelque chose d’un peu abandonnique. Le téléphone, qui sonnait peu, s’est mis à ne plus sonner du tout, se souvient Nalen Perumal, psychologue clinicien à l’association Envie (Montpellier). Nous suivons des personnes pour qui l’association est le seul point de socialisation. En temps ordinaire, elles ne sortent de chez elles que pour venir nous voir. Et pour ces gens très seuls et vulnérables, le confinement n’a pas été simple, malgré le suivi à distance que nous avons toujours continué à proposer. »

Mais tous les psychologues interrogés pour cet article le disent : dans l’ensemble, leurs patients ont plutôt bien traversé cette épreuve du confinement. « Certains étaient seuls chez eux avec, parfois, très peu de relations sociales, mais ils allaient plutôt bien, car, d’un seul coup, ils avaient l’impression d’être comme tout le reste de la population », indique Nadège Pierre. « Ils devaient rester chez eux, mais c’était pour tout le monde pareil. Et pour certains patients, cela a été un moment où ils avaient l’impression de plus être les seuls à vivre cette solitude », renchérit Martine Shindo, en constatant que ce confinement a aussi été un moment de « pause » pour des personnes d’ordinaire très actives. « Elles ont pu se retrouver un peu au calme, chez elles, dans une relation différente avec le travail », ajoute la psychologue. « Durant ce confinement, c’est comme si un espace de liberté s’était ouvert avec moins de contraintes sociales. Et la liberté de pouvoir être à la maison », observe Alice Plutarque

Le déconfinement, une étape complexe pour la santé mentale

De manière presque paradoxale, c’est le passage au déconfinement qui a été plus compliqué à gérer pour beaucoup. Avec un retour à une vie pas complètement normale et des consultations encore, parfois, effectuées à distance. « Certaines personnes ont éprouvé des difficultés à ressortir, à retourner au travail, à retrouver tout ce qui peut être fatigant dans une ville comme Paris : le bruit, le monde, l’agitation incessante », souligne Nadège Pierre. « Certains patients ont pris goût à ces consultations par téléphone. Par exemple, hier, un patient m’a appelée pour me demander si on pouvait s’entretenir par téléphone. Il m’a dit qu’il était parti pour quelques jours à la campagne et qu’il s’y sentait bien », raconte Martine Shindo.

Alors les « psys » s’adaptent et poursuivent certains suivis à distance. Parce que des patients le demandent ou parce que le protocole sanitaire impose de ne pas recevoir trop de monde en même temps dans les locaux hospitaliers ou associatifs. « Pour le moment, c’est encore 50-50 entre les consultations présentielles et celles faites à distance », indique Nalen Perumal qui, comme la plupart de ses confrères et consœurs, préférerait revenir à des consultations réalisées en présence du patient. « Ces téléconsultations ont été très utiles à un moment donné, mais elles ont également des limites. Au sein de notre association, l’accompagnement des personnes s’accomplit aussi par des soins corporels et de bien-être qui ne peuvent pas se faire à distance », souligne-t-il. « Avec le téléphone, on ne voit pas le mouvement du corps et tout le non verbal, ce qui est important lors d’une consultation », ajoute Martine Shindo.

« Des injonctions contradictoires permanentes »

Et bien que la téléconsultation conserve quelques adeptes, de nombreux patients souhaiteraient revenir dans les lieux de soins ou de soutien. « Le problème est que la situation actuelle reste complexe à gérer en raison de l’incertitude sanitaire, mais surtout des messages adressés à la population, estime Serge Hefez. Avant les vacances, début juillet, il y avait l’espoir que tout serait redevenu complètement normal à la rentrée. Aujourd’hui, ce n’est pas du tout ce qui se passe. Et le plus difficile à gérer pour beaucoup de nos patients, ce sont les discours très discordants. À un moment, on entend que cela va mieux qu’en mars ou avril, que les gens meurent moins et vont moins en réanimation. Et le lendemain, on nous dit que la deuxième vague est là et que la situation risque d’être très grave. »

Pour ce psychiatre, il y a comme un effet de « sidération » chez certains patients et même chez certains soignants. « Un jour, on vous dit de faire ceci et le lendemain, on vous dit de faire l’inverse. C’est cela le plus difficile à gérer dans la période très incertaine que nous vivons en ce moment : toutes ces injonctions contradictoires permanentes », insiste Serge Hefez.

Un retour à la vie d’avant très progressif pour Actions Traitements

Comme toutes les associations de lutte contre le sida, Actions Traitements a vu son activité largement bousculée avec l’épidémie de Covid-19. « Aujourd’hui, on revient à la normale de manière très progressive avec encore du télétravail », souligne Cédric Daniel, chargé de missions au sein de cette association qui réalise un important travail d’information, de soutien et d’accompagnement des personnes vivant avec le VIH.

Actions Traitement a été une des premières associations à faire de l’éducation thérapeutique du patient (ETP). Elle propose aussi, une fois par mois, des ateliers collectifs d’information et anime, depuis 1991, une ligne d’écoute ouverte le lundi et le jeudi. « Nous avons aussi ouvert fin 2019, un jeudi sur deux, une consultation animée par une psychologue-sexologue spécialisée en traumatologie. Elle prend notamment en charge des personnes ayant eu un parcours migratoire difficile lors duquel des agressions sexuelles ont pu se produire », explique Cédric Daniel.

Avec le confinement, ces activités ont été menées par téléphone ou en visioconférence. « Cela n’a pas été simple, mais cela a été l’occasion d’élargir certaines activités, indique-t-il. Ainsi, notre ligne d’écoute a fonctionné du lundi au vendredi, y compris parfois le samedi. La demande était très forte, car de nombreuses personnes avaient besoin d’information et de soutien, certaines d’entre elles étaient très anxieuses. »

Le déconfinement n’a pas entraîné immédiatement un retour à la normale puisque de mai à début septembre l’association a assuré toutes ses activités à distance. « Depuis un mois, on a recommencé à accueillir des personnes sur place, mais de manière très progressive à cause des impératifs sanitaires. Dans les ateliers collectifs, on reçoit 6 à 7 personnes, contre 15 à 20 en temps normal. Et des membres de l’association poursuivent le télétravail certains jours », informe Cédric Daniel, en relevant des points positifs et négatifs dans cette période très particulière.

« On s’est rendu compte des inégalités liées à la fracture numérique. Car parmi les personnes que nous suivons, certaines n’ont pas accès à un ordinateur ou rencontrent de grandes difficultés pour utiliser la visioconférence, souligne-t-il, en ajoutant que durant le confinement, l’association a pu toucher des personnes vivant avec le VIH en dehors de sa sphère géographique habituelle. Nos locaux sont situés dans le 20e arrondissement de Paris. Avec le suivi à distance, nous avons pu entrer en contact avec des personnes vivant dans des zones parfois éloignées de l’Île-de-France. »

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