Source: Seronet
Au deuxième jour du congrès de la Société française de lutte contre le sida (SFLS), les participants-es ont continué d’explorer les potentialités de l’ allégement de la vie des personnes vivant avec le VIH. Avant la prochaine édition à La Rochelle (en octobre 2019), médecins et associatifs-ves tentent d’identifier des leviers d’amélioration de la vie avec, à tous les niveaux et avec l’ensemble des acteurs-trices. Derniers retours de Reims.
Le rôle du-de la pharmacien-ne dans l’allégement
Dans une session spécifique sur l’allégement du traitement, a été abordée la place importante du-de la pharmacien-ne, relais et observateur-trice avisé-e de l’observance ou d’interactions médicamenteuses. Son travail est à la fois très horizontal et très spécialisé. C’est, selon le représentant de l’Académie nationale de pharmacie une porte d’entrée pour la santé des patients-es, avec un savoir-faire et savoir-être, sans rendez-vous. Là pour suppléer les autres professionnels-les sur l’utilisation des médicaments, mais aussi le dépistage ou la vaccination. Le-la pharmacien-ne est un interlocuteur-trice de première ligne pour les traitements antirétroviraux, avec un accompagnement personnalisé au cas par cas par un service individualisé. Concernant l’allégement, le-la pharmacien-ne peut détecter un besoin de réévaluation des traitements en cas de problème de tolérance, d’effets indésirables, d’observance ou de fatigue. Elle-il peut faire la promotion du traitement et de ses éventuelles modifications en lien avec les autres professionnels-les de santé. Il faut que le-la pharmacien-ne sache que la personne allège et soit au courant en quoi cet allègement consiste pour un bon suivi. Et il va falloir que les pharmaciens-nes se forment pour cela.
Éducation à l’allégement ?
Comme l’éducation thérapeutique du-de la patient-e (ETP) peut-elle intégrer ces nouvelles questions et surtout, comment peut-elle s’éduquer elle-même sur ce point. Une présentation d’une pharmacienne de Nice, est revenue sur les enjeux en discussions dans les services. L’éducation à l’allégement pour que les relations du-de la patient-e dans son parcours de soins puissent se simplifier, avec les équipes médicales. Pour le-la patient-e, cela consiste à outiller la personne sur son parcours, mais aussi de le fluidifier, en multidisciplinarité. C’est via l’ETP qu’on peut aider la personne à y voir plus clair et acquérir des compétences spécifiques sur le VIH. Afin de savoir mieux le vivre avec et l’adapter au mieux à son style de vie. Pour les agents en charge de l’ETP, c’est créer des parcours à la fois éducatifs et allégés qui mêlent pédagogie et empowerment. En utilisant les outils dématérialisés (SMS, e.learning, web, etc.) et des échanges à distance pour maintenir du lien malgré la distance. On peut aussi faire appel à des pairs pour le partage d’expériences et continuer à se former. Il y a d’ailleurs, selon des retours de terrains, une forte demande d’information sur l’allégement : sur le switch à une bithérapie et une interrogation sur l’avenir de la sacro-sainte trithérapie, longtemps mise en valeur en termes d’observance. Il demeure néanmoins beaucoup de freins dans les équipes soignantes ; illustrant selon l’intervenante le besoin de convaincre du bien-fondé de l’allégement, pour faire adhérer les prescripteurs et surtout créer un discours commun là-dessus, comme il y en a sur le Tasp.
Décision partagée sur l’allègement
Le consentement, cela concerne aussi l’allègement. Que pensent les personnes vivant avec le VIH de l’allègement et veulent-elles toutes le faire ? Dans le rapport d’experts-es sur le VIH, on liste comme objectifs d’améliorer la qualité de vie, de corriger ou réduire les effets indésirables, de limiter les interactions et réduire le coût des ARV. Mais quelles attentes pour les personnes ? Dans un sondage effectué en amont de la SFLS, l’association Actions Traitements a pris le pouls des questionnements des personnes prenant une trithérapie. Pour 90 % des personnes vivant avec le VIH, c’est la diminution du nombre de jours de traitement qui est recherchée. Sur les motivations à l’allègement, il y a l’aspect pratique, moins d’effets indésirables et moins de toxicité à long terme. Parmi celles et ceux qui ne souhaitent pas alléger (environ 30 % des personnes interrogées), les raisons invoquées sont la satisfaction vis-à-vis du traitement actuel, la peur de l’échec thérapeutique, le manque de recul supposé, et la peur de ne pas être observant. Certains-es ne veulent pas et vivent très bien avec leur traitement, d’autres ont été déçus-es en allégeant quant à leurs attentes (« fantasme thérapeutique » très fort) ou se retrouvent en opposition avec leur médecin qui ne souhaitent pas les amener à prendre un traitement allégé. Enfin certains-es allègent sans le dire à leur médecin malgré les risques que cela comporte.
Alléger les projets de vie ?
La session sur « allègement et simplification de la vie quotidienne » a été l’occasion de faire un point sur l’accès à l’assurance des personnes vivant avec le VIH. En se fondant sur les données de la ligne d’écoute « Santé Info Droits » de France Assos Santé, Enzo Poultreniez, responsable Plaidoyer et revendications de AIDES, a démontré la faible amélioration de cet accès, malgré de longues négociations entre l’État, assureurs et associations de patients-es (convention Aeras – s’assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé), depuis 1991. En effet, investir, quand on est séropositif-ve, c’est compliqué. Simplement parce qu’investir veut souvent dire emprunter, qui demande de s’assurer, qui exige (au dessus de 17 000 euros ou de quatre ans d’emprunt) de remplir un questionnaire médical. C’est une déclaration sur l’honneur et un faux peut coûter cher à son auteur-e. On comprend facilement la suite. Les personnes vivant avec le VIH qui le déclarent voient leur demande d’emprunt refusée du fait d’un secret médical qui n’est pas toujours respecté, de représentations sur la séropositivité qui sont complètement rétrogrades et de conditions d’accès aux assurances très discutables. On voit donc que le futur des personnes vivant avec le VIH pose toujours question. Plus tant sur le volet médical (grâce aux avancées thérapeutiques des dernières années), que sur le volet social : aujourd’hui l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH converge vers celle des personnes séronégatives.
En 2017, 48,90 % des sollicitations de personnes vivant avec le VIH auprès de la ligne d’écoute concernaient l’assurance (contre 26,40 % en 2011) ! Après 27 ans de combat associatifs, les freins perdurent : refus pur et simple d’assurer, violation du secret médical, surprimes élevées, exclusions de garanties, etc. L’impossibilité d’accès aux emprunts, la baisse des prestations sociales et les discriminations à l’embauche entraînent un risque de précarisation des personnes vivant avec le VIH, notamment lors de leur retraite, au vu d’un accès au logement complexifié. Les nombreux échanges avec la salle se sont concentrés sur la stratégie à déployer pour débloquer cette situation, d’un point de vue individuel (recours à un courtier, dissimulation du statut) comme collectif (poursuite des négociations avec les assureurs, changement de la loi, mutualisation des risques ?). Au vu des avancées thérapeutiques et de l’espérance de vie des personnes séropositives, on est en droit d’attendre des assurances de revoir leurs critères d’accessibilité qui sont un frein évident à l’égalité et à la santé des personnes vivant avec le VIH.
Journée des acteurs-trices de la lutte contre le sida
Au milieu des présentations de la matinée de la JEALS (journée d’échange entre les acteurs et actrices de la lutte contre le sida) arrive un sociologue. Il cherche à comprendre et mettre des mots sur les mécanismes qui régissent les relations soignants-es et leurs patients-es dans notre système de soin. Et faisant cette démonstration, il nous explique les deux types d’engagement qu’un-e soignant-e peut avoir lorsqu’il ou elle suit une personne. Captant et ponctuel : le-la premier-ère suit le-la patiente, le-la second-e le-la voit sans régularité. Le sociologue de la santé nous expose les problématiques de ces types de suivi lorsqu’ils-elles se rencontrent. Une association entre « captants » ou entre ponctuels (« ou non-captants ») aura du mal à fonctionner, là où un captant et plusieurs ponctuels, en revanche, fonctionneront bien ensemble. Par exemple, un médecin généraliste sera le captant et les spécialistes vers lesquels il les redirige seront les ponctuels, les non-captants. Les exemples donnés laissent beaucoup de place aux batailles d’ego des médecins et finalement trop peu aux souhaits des personnes. Ce modèle pose des questions sur l’articulation des parcours de santé. Peut-on renverser le paradigme du captant-médecin permanent et laisser le choix à la personne de savoir par qui elle souhaite être suivie ? Si la co-construction des parcours de santé globale avec les populations-cibles permet effectivement aux personnes de construire leurs réponses à leurs besoins, AIDES pourrait-il devenir le nouveau captant ?
Migrants et épidémie en Outre-mer, peut-on parler allègement ?
Une session était proposée sur ce sujet le 11 octobre dernier à l’occasion du Congrès de la SFLS. Peut-on parler « allègement » pour certaines populations vivant avec le VIH dont l’accès aux droits et à la santé est limité ? Telle était la question soulevée par cette session consacrée à l’épidémie chez les personnes en situation d’immigration, et dans les territoires d’Outre-mer. Le constat est unanime chez les intervenants-es : difficile de parler d’allègement dans le vivre avec le VIH quand l’entrée et le maintien dans le soin restent entravés par de multiples obstacles, dans un contexte de durcissement des conditions de migrations et de maintien de mesures d’exception dans certains territoires ultra-marins.
Séverine Carillon, chercheure au Centre Population et Développement (Ceped), a présenté les résultats d’une enquête ethnographique sur les parcours de soins en situation d’immigration. Dans le prolongement de l’enquête ANRS-Parcours, qui a clairement mis en évidence l’impact de la précarité administrative sur le risque d’exposition au VIH/sida, elle s’est attachée à étudier les obstacles et les difficultés rencontrés par les populations migrantes dans l’accès à la santé et le maintien dans le soin. Dans sa présentation, elle s’est appuyée sur une étude de cas : le parcours d’entrée dans une prise en charge Prep d’une jeune femme nigériane travailleuse du sexe dont la demande d’asile a été acceptée en France. Sa trajectoire est exemplaire de la multiplicité des besoins en termes d’accès aux droits et de santé sexuelle chez les populations en situation d’immigration, et de leur articulation difficile avec les contraintes médicales et l’organisation actuelle du système de soin.
Le projet Makasi, présenté par Corinne Taeron, de l’association Arcat, tente d’apporter des solutions pour réduire ces vulnérabilités sociales et de santé chez les populations migrantes. A travers une recherche interventionnelle auprès des immigrés-es originaires d’Afrique subsaharienne vivant en Ile-de-France, il s’agit d’expérimenter des moyens d’actions qui visent à favoriser l’empowerment individuel et communautaire en santé sexuelle. A cet égard, le témoignage d’Yves Nyemeck, de l’association Afrique Avenir, est exemplaire de la difficulté des conditions de migrations et de l’impact du durcissement des politiques migratoires sur les conditions d’accueil en France.
La situation des ressortissants-es étrangers-ères qui résident en Guyane et dans les Antilles françaises revêt des enjeux spécifiques, comme l’a montré Marie Suzan-Monti, membre du Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS), immunologiste et militante à AIDES. L’avis du Conseil national du sida de mars 2018 met ainsi en évidence le risque majoré d’infection au VIH et aux infections sexuellement transmissibles (IST) chez cette population qui cumule les vulnérabilités sociales, économiques et de santé. Il montre également les limites qu’elle rencontre dans l’accès à un titre de séjour pour soin, du fait des mesures d’exception (poste-frontières, barrages routiers), mais également de l’absence d’infrastructures de transport, et de la fréquence de l’habitat spontané. Afin de garantir une protection de la santé effective pour les ressortissants étrangers vivant sur ces territoires, le CNS recommande d’engager des adaptations dans la procédure d’admission au séjour pour raison médicale.
Prolongeant l’analyse du CNS, Flavie Le Goff, déléguée du lieu de mobilisation de AIDES à Maripasoula, a mis en évidence « la loi de la pesanteur » que subissent les populations concernées par le VIH dans l’ouest guyanais. L’éloignement administratif, l’insuffisance des réponses sanitaires et les tabous existant entretiennent la dynamique de l’épidémie. En prenant appui sur les principes de l’approche communautaire en santé portés par AIDES, Flavie le Goff a présenté différents projets mis en œuvre au niveau local : des dispositifs d’hébergement temporaires ou pérennes selon les besoins des personnes vivant avec le VIH à Saint Laurent du Maroni, un projet transfrontalier avec la Croix Rouge du Suriname pour améliorer l’accès à la prévention et au dépistage, un projet de renforcement de l’autonomie des personnes vivant avec le VIH dans le Haut Maroni (projet Takari), ainsi que des actions de plaidoyer relatives à la dispensation de traitement pour une durée supérieure à un mois, l’accès au titre de séjour pour soins et la lutte contre la sérophobie.