Source : SERONET
Accessible en France depuis janvier 2016, la Prep est une véritable révolution dans la prévention du VIH mais par manque de volonté politique son déploiement n’est pas à la hauteur des enjeux. Pire, c’est une prévention à deux vitesses qui est en train de se mettre en place.
Débuts laborieux
23 novembre 2015, c’est une victoire pour les activistes de la lutte contre le VIH en France, Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, donne son feu vert à la Prep associé à son remboursement intégral par la Sécurité sociale, dès janvier 2016. L’espoir est immense tant ce nouvel outil de protection a montré son efficacité dans les villes où il a été déployé à grande échelle comme San Francisco.
Malheureusement force est de constater que les débuts de la Prep en France sont compliqués. D’abord, aucune campagne de communication officielle nationale n’en fait la promotion et seules des associations communautaires vont faire connaître la Prep. Cette absence de promotion a une conséquence directe : le grand public passe à côté ! Ensuite, le déploiement de la Prep est laborieux. Uniquement disponible en Smit (Service des maladies infectieuses et tropicales) ou en Cegidd (centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH et les hépatites virales et les infections sexuellement transmissibles), les équipes ne sont pas toutes formées. Certains centres se retrouvent vite saturés (comme le 190, un centre de santé sexuelle LGBT à Paris) tandis que d’autres peinent à commencer les inclusions. La première année, les délais d’attente pour avoir un premier rendez-vous sont longs, parfois plusieurs mois. Certaines personnes se découragent.
La Prep souffre d’une mauvaise presse dans une partie de la communauté scientifique et de la communauté gay. Certains-es remettent en cause son efficacité et brandissent cet outil comme une menace de santé publique qui va faire exploser les IST. Le professeur Éric Caumes à la tête du Smit de la Pitié-Salpêtrière à Paris, parle d’un « scandale » et déplore le court-circuitage du Haut Conseil de la santé publique, dont il est membre, sur cette question. En évoquant la Prep, il estime ainsi qu’on privilégie le combat contre le VIH au détriment d’autres infections sexuellement transmissibles, anciennes et nouvelles toutes aussi « dangereuses et exponentielles ». Dans la communauté gay, un fossé se creuse entre les pro et les anti Prep. Certains militants très visibles découragent ceux qui veulent essayer la Prep et accusent les pro Prep de vouloir la fin du préservatif. Sur les applis de drague gay comme Grindr, les messages anti Prep se multiplient avec des messages parfois très virulents du genre « Pas de mecs sous Prep, ce sont des salopes ou des nids à IST ». On peut lire aussi certaines théories complotistes sur des conflits d’intérêts qui existeraient entre les structures qui font la promotion de la Prep et l’industrie pharmaceutique. Dans un article publié par Têtu, Cédric Daniel, alors président de AIDES Paris, déconstruit les idées reçues sur la Prep mais les tensions entre pro et anti Prep empêchent parfois un dialogue apaisé et constructif.
(Trop) lente progression
Tous ces effets délétères jouent sur le déploiement de la Prep en France. Le 27 novembre 2017, Santé publique France présente les données actualisées de l’année 2016 concernant le VIH en France et c’est la douche froide. L’effet Prep ne se fait pas ressentir et l’épidémie ne baisse pas. Quelques jours plus tard, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) publie les premiers chiffres disponibles d’utilisateurs de la Prep en France. On apprend ainsi qu’entre le 1er janvier 2016 et le 31 juillet 2017, 5 352 personnes ont initié la Prep. C’est peu, bien trop peu pour avoir un réel impact sur l’épidémie. Un an plus tard, en décembre 2018, la lente progression de la Prep se poursuit. L’ANSM indique que 10 405 personnes ont initié une Prep entre janvier 2016 et juin 2018, dont plus de la moitié (5 500 personnes) depuis juillet 2017. En très grande majorité des HSH (hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes), 98 %, dont la moitié réside en Île-de-France. Pour les experts-es de l’ANSM, le peu de femmes sous Prep illustrerait « le fait que le traitement est probablement rarement proposé dans les situations exposant les femmes au risque d’acquisition du VIH ».
Une prévention à deux vitesses
Il faut attendre octobre 2019 pour voir enfin les premiers effets de la Prep sur l’épidémie de VIH en France. Santé publique France (SFP) et la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, annoncent un recul de 7 % des nouveaux cas répertoriés, une première depuis des années. À Paris, cette baisse est de 16 % et va jusqu’à 28 % chez les HSH nés en France, du jamais vu ! Quelques semaines plus tard, en décembre, l’ANSM annonce qu’entre mi-2018 et mi-2019, 9 591 initiations de Prep ont eu lieu, ce qui représente 47 % de l’ensemble total des personnes ayant eu au moins une prescription de Prep, soit 20 478 personnes. Cette première baisse de l’épidémie de VIH depuis dix ans est un message d’espoir. Mais les chiffres révèlent également un fossé qui se creuse entre des communautés très exposées au VIH. Cette baisse des nouveaux diagnostics ne se retrouve pas dans deux groupes : les femmes nées à l’étranger et les HSH nés à l’étranger. Quant à la Prep, elle reste toujours en écrasante majorité utilisé par des HSH (96 %).
Le risque de créer une prévention à deux vitesses est réel. Ainsi quatre ans après son autorisation, fin 2015, la Prep est toujours associée aux hommes gays et bisexuels. Par manque de volonté politique, aucune campagne officielle de communication d’envergure nationale n’a été mise en place par le ministère de la Santé pour faire connaître la Prep au plus grand monde et particulièrement aux femmes.
Le milieu associatif tente de pallier ce manque avec des initiatives louables. Ainsi Afrique Avenir et Paris sans sida lancent en mars 2020 Les Bonnes Nouvelles, une web série destinée aux diasporas afro-caribéennes qui vivent en France. La série traite, entre autres, de la Prep, du Tasp ou du TPE avec un humour et un parler vrai : les scénarios ont été co-écrits avec des associations communautaires. Malheureusement, peu de temps après le lancement de la série, l’épidémie de Covid-19 explose en France et le premier confinement est annoncé.
Et la Covid-19 arriva…
Le 6 octobre dernier lors du congrès de la Société française de lutte contre le sida (SFLS), on apprend qu’une forte baisse des délivrances de Prep a été constatée pendant et après le premier confinement. Les délivrances de Prep ont chuté de 36 % par rapport à ce qui était attendu (estimation sur la base des chiffres de la même période en 2018 et 2019), passant de quelque 5 500 délivrances (par période de deux semaines) avant le confinement à environ 3 000, fin mars. Cette baisse était toujours visible entre la fin du confinement le 11 mai et le 13 septembre, avec -19 % de délivrances de Prep par rapport à l’attendu. Sur l’ensemble de la période, il y a donc eu un déficit de 27 435 délivrances de Prep.
Il est trop tôt pour savoir quel sera le réel impact de la Covid-19 sur l’épidémie de VIH. Le 30 novembre prochain, Santé Publique France annoncera les chiffres du VIH en France pour l’année 2019, donc avant l’arrivée de la Covid-19. Mais une chose est certaine, tout reste à faire pour déployer la Prep à grande échelle. Une des pistes est la primo prescription par les médecins généralistes en ville, dont le décret d’application aurait dû être signé en mars, mais qui a été retardé à cause de la Covid-19. Il devrait être signé fin novembre/début décembre d’après le docteur Pascal Pugliese, président de la SFLS. Mais une signature de décret, ce ne fait pas tout. Il va falloir (in)former les médecins, y compris celles et ceux qui restent parfois réticents-es à la Prep ou peu à l’aise avec la santé sexuelle, en général.
Il va aussi falloir communiquer massivement, pour que les personnes les plus exposées aient accès à cet outil. Si le gouvernement ne le fait pas, ce sera encore aux associations de porter ce plaidoyer et faire en sorte que la Prep soit aussi accessible que le préservatif ou la pilule contraceptive. Tout l’enjeu est de faire en sorte que cet outil révolutionnaire sorte des grandes villes et des communautés les plus informées pour aller vers les personnes qui sont éloignées du système de santé et qui ont un réel besoin de cet outil préventif : toucher les femmes d’origine subsaharienne lors de leur visite au planning familial, ouvrir les téléconsultations dans les déserts médicaux, faire de la communication ciblée sur les applis de rencontres pour informer ces « hétéros curieux » qui ont des rapports non protégés par des préservatifs avec des hommes, mais ne s’identifient pas forcément comme des hommes gays ou bisexuels.
En parallèle, il faut que la Prep soit autant connue que le préservatif, qu’on les mette au même niveau, sans hiérarchie, dans la palette de la prévention diversifiée. Il faut déconstruire l’idée que le préservatif est la seule protection efficace contre le VIH et expliquer avec des mots simples qu’un rapport sexuel sous Prep EST un rapport protégé.
Il faut qu’au prochain Sidaction, Christophe Dechavanne dise en direct à la télévision « Sortez couvert, mettez une capote ou prenez la Prep ». Il est temps. C’est urgent.