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PREP : LES MÉDECINS PARLENT PRATIQUES

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Source : seronet.info

Dans le cadre des journées SFLS « Prep et IST », les 29 et 30 mars dernier à Paris, un atelier-débat a permis à des médecins VIH de discuter de leurs pratiques de prescriptions de la Prep, mais aussi de leurs interrogations sur la prise en charge de ces « patients », séronégatifs ! Entre pontes, spécialistes et médecins généralistes, entre les grands pôles parisiens et les plus petits centres de province, la parole est franche et les différences flagrantes.

Un atelier « communautaire » pour les médecins. L’idée peut paraître surprenante, mais elle a permis une conversation fructueuse et intéressante pour les médecins présents… et ceux qui les écoutent. Dans une salle sombre des abords de Montparnasse, 60 soignants-es écoutent les présentations scientifiques, puis prennent le micro pour raconter leurs expériences de praticiens-nes et prescripteurs-trices de la Prep. D’abord, quatre spécialistes animent cet atelier et proposent une revue des connaissances sur la posologie, les schémas de prises, la mise sous TPE (traitement post-exposition) ou l’efficacité de la Prep pour les femmes. Dans la salle, les questions fusent, les remarques volent et le micro a du mal à atteindre toutes les mains tendues.

Le langage d’ordinaire policé des soignants laissent place à une franchise surprenante

D’après les données de l’essai ANRS-Ipergay et d’autres études, on peut voir qu’à partir de quatre comprimés de Truvada (ou son générique) par semaine, on peut être bien protégé par la Prep, malgré d’éventuels oublis. « Mais alors, pour les prises à la demande (comme le permettait l’essai ANRS-Ipergay), à partir de quel manque d’observance doit-on recommander un TPE ? » demande une médecin de Nancy. « Bah, pour les prises continues il y a une marge assez large mais attention en discontinu où il faut être plus vigilant », répond le docteur Jade Ghosn (infectiologue, AP-HP-Hôtel Dieu). Le langage d’ordinaire policé des soignants laissent place, dans l’intimité de la confraternité, à une franchise surprenante. « Malgré des gens qui prennent mal la Prep, on voit très peu de contamination. L’enjeu n’est pas tant sur le dosage ou le nombre de prises, mais pour des gens qui ne la prennent pas du tout », explique le professeur Gilles Pialoux (AP-HP, Hôpital Tenon).

Germe l’idée dans l’esprit de certains-nes, pour améliorer l’information et s’assurer dès le premier rendez-vous de la bonne compréhension des schémas de prise, de faire reformuler au patient en s’inspirant de l’ETP (Education thérapeutique du patient) son schéma de prise, une façon de s’assurer que la personne va bien prendre son traitement. Une médecin d’un Cegidd de banlieue parisienne donne son point de vue et sa façon de faire. Echanges de (bonnes) pratiques en somme. L’enjeu et les difficultés sur l’observance sont évoqués par beaucoup de médecins, entre les personnes qui ne viennent pas ou celles qui ne font pas les examens biologiques dont le médecin a besoin. « Oui, mais doit-on refuser une personne très exposée à un risque une mise sous Prep et retarder d’un mois voire plus un nouveau rendez-vous ? » s’interroge un médecin de Rennes. Un autre évoque la disparition des accompagnements communautaires dans certains Cegidd ou même ceux qui n’en ont jamais eus, qui permettent de garder un lien avec les personnes utilisatrices de la Prep.

« Les prepeurs sont en général observants et responsables »

Pour les personnes perdues de vue, comment retrouver les brebis égarées se demande le docteur Eric Cua (infectiologue au CHU de Nice), qui est revenu sur sa file-active à l’hôpital. Dans les essais Proud et ANRS-Ipergay, il y avait très peu de perdus de vue mais depuis, il n’existe pas de données dans la vraie vie. Une étude aux Etats-Unis a évalué un taux d’abandon et de perdus de vue à 16 %, très lié au système assurantiel et à l’âge des participants. La gratuité, ou le remboursement comme en France, compte beaucoup dans le maintien dans le soin.

Aujourd’hui sur Nice, il y a environ 500 prepeurs suivis. Selon les données entre décembre 2015 et février 2018, Eric Cua estime à 26 % de perdus de vue à six mois. Mais après suivi des dossiers, si on écarte les personnes qui sont allées se faire suivre ailleurs ou n’avait pas d’indication à la Prep au premier rendez-vous, on tombe à 10 %. Et selon les personnes qui prennent au moins une fois la Prep, on tombe à 5 %. « Les personnes perdues de vue disparaissent au démarrage, avec les délais de rendez-vous, ou au dépistage d’initiation ou au deuxième rendez-vous à un mois » explique Eric Cua. Mais sous-estime-t-on ce groupe ? « Les prepeurs sont en général observants et responsables », défend Eric Cua, même si un découragement se crée dans la procédure de l’initiation à l’hôpital. « Il faudrait une personne ressource qui maintienne le lien ou qui fasse le rapport entre Tasp et Prep après diagnostic de VIH », avance une infectiologue de Metz. Il faudrait aussi analyser les autres déterminants des perdus de vue  (chemsex, revenu, origines, etc.), selon le docteur Olivier Epaulard, infectiologue à Grenoble. Mais un médecin de ville évoque le problème de formation des médecins et aussi des généralistes de ville, mal informés sur l’outil et sa prescription.

Il y a les hommes gays, aujourd’hui ultra-majoritaires dans les prescriptions et prises en charge de ces médecins, mais qu’en est-il des autres groupes à qui la Prep est aussi recommandée ? Jade Ghosn part de l’exemple d’une femme travailleuse du sexe, née à l’étranger, qui rapporte un besoin de Prep et des rapports sans préservatif, mais pour qui les recommandations officielles demandent une prise de 21 jours avant de pouvoir avoir un rapport protégé par la Prep en l’absence de préservatif. Pourtant, les dernières données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) montrent que la Prep est recommandée et efficace à partir de sept jours chez la femme. Gros débat dans la salle. Suivre les recommandations à la lettre et prendre le risque de laisser sans protection une personne très vulnérable, ou adapter la prescription à des données non encore validées au niveau français ? Dans la salle se trouvent des anciens réfractaires à l’idée même de prescrire la Prep, alors la prescrire en dehors des clous n’est pas envisageable. « Oui mais comment dire cela au patient, c’est incompréhensible pour lui », argue une médecin.

Prep et personnes migrantes : terre inconnue ?

Elles représentent une population hétérogène et fortement touchée par le VIH (notamment venant d’Afrique subsaharienne). Et des études montrent qu’elles se contaminent sur le territoire français (ANRS-Parcours). Aujourd’hui, la Prep est recommandée pour les personnes migrantes dont celles qui sont en vulnérabilité forte (femmes et travailleuses du sexe) ou qui rapportent être exposées au VIH.

Une étude a montré une méconnaissance de la Prep chez les personnes migrantes, mais quand elles sont informées, la stratégie est perçue comme acceptable. Elle serait utile pour les hommes ayant des partenaires multiples ou des femmes qui soupçonnent leur mari d’infidélité. Mais les freins ne viennent pas seulement des personnes, mais aussi des médecins. Selon une enquête sur la connaissance de la Prep réalisée et présentée par Nicolas Viguier, les connaissances des médecins sont très lacunaires : les médecins, de façon générale, disent oui à la Prep à 40 % et 35 % d’autres ne la connaissent pas. Mais ces chiffres s’améliorent avec des médecins en contact avec les populations concernées par la Prep.

Les arguments contre la prescription sont les difficultés de mise en œuvre et l’ignorance, voire l’idée que la Prep n’est pas indiquée pour les personnes, notamment migrantes. « J’ai une patiente qui m’a demandé la Prep parce qu’elle avait peur avec son partenaire séropositif, alors je lui ai dit que le Tasp suffisait, je ne voyais pas pourquoi la mettre sous Prep », raconte une médecin d’un Cegidd strasbourgeois. « Oui, mais si elle veut prendre l’outil pour se protéger, pourquoi le refuser alors qu’elle n’a pas de prise sur l’observance du traitement par son partenaire », lui rétorque Jade Ghosn. « On ne peut pas prescrire la Prep à n’importe qui  parce qu’il la demande, c’est dangereux », scande un médecin réunionnais. Le débat est passionné, et tout le monde ne s’écoute pas vraiment, ni ne semble entendre les indications de la même manière. Parmi les participants de la SFLS : 27 % ont déjà évalué une Prep pour une personne migrante et 24 % ont déjà prescrit une Prep à une personne migrante, mais en très grande majorité, la Prep reste délivrée à des… hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Un bon début, mais qui laisse au bord de la route bon nombre de personnes éligibles.

Le professeur François Dabis, directeur de l’ANRS, pose une sorte de conclusion à ces échanges entre soignants-es : « La pratique dépasse les recommandations, les choses évoluent et attention à ne pas s’arrêter aux recommandations », prévient-il. « Il faut faire évoluer les pratiques et besoin de plus documentation sur la Prep et il faudra un accompagnement de la recherche sur les usages de la Prep à long terme et à grande échelle », lance-t-il encore. Cela permettra d’évaluer, au long cours, l’évaluation des pratiques, multiples, des médecins et les harmoniser afin de rendre accessible la Prep à toutes celles et ceux qui en ont besoin. C’est ce que s’attache à évaluer, aussi, le projet ANRS-Prévenir, lancé à l’automne dernier en région parisienne.

 

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