Source : lenouvelliste.com
Promoteurs Objectif Zéro SIDA (POZ), institution qui œuvre dans la lutte contre le VIH/SIDA, commémore un quart de siècle en pleine crise de coronavirus. Retour sur le parcours de cette institution qui a su sauver des vies et décontaminer des esprits pour faire comprendre la réalité multiforme de la maladie et l’inutilité de la stigmatisation.
L’épopée de POZ commence avec l’histoire de la lutte contre le SIDA en Haïti, à en croire Sabine Lustin, l’actuelle directrice exécutive. Celle-ci rejoint l’aventure en 2004 après avoir découvert la réalité des gens infectés par le sida à Fort-Liberté où elle évoluait en tant que pédiatre. En effet, le Dr Eddy Génécé, qui nous a quittés à la suite des complications d’une maladie cardiovasculaire, est le père fondateur de l’institution dont l’objectif premier était de réduire l’impact du VIH dans la société haïtienne. L’homme, dont l’immense portrait domine l’un des murs du bureau de la directrice, a été témoin du caractère sombre de la lutte contre le sida au début des années 90. À l’époque, les médicaments qui soulagent et augmentent l’espérance de vie n’étaient pas encore trouvés. Les scientifiques les plus chevronnés étaient attelés à la tâche, les résultats tardaient. « L’accent était mis sur le support psychosocial, les soins palliatifs, les traitements pour les maladies opportunistes. On faisait du mieux que possible, mais on était conscient que cela ne suffisait pas pour détruire le virus », raconte Dr Lustin. Dr Marie Mercy Jean-Louis Zevallos, spécialiste en maladies infectieuses, monte dans la barque de POZ en 2002 d’abord en tant que responsable de projets pour aujourd’hui travailler comme directrice du Centre Espoir de POZ (CEPOZ) de Port-au-Prince.
Prendre les traitements à vie
Pour elle, l’an 2020 lui rappelle par bien des aspects les années 80-90 de la lutte. On disait à l’époque en Haïti : « Se yon mò SIDA yo voye sou li. » Aujourd’hui, certains affirment « Kowonaviris pa tonbe sou moun nwa », déplore-t-elle. Un autre témoin des années où le sida n’était pas bien vécu est Lucson Brivard. Il arrive en tant que volontaire en 2008 pour devenir aujourd’hui le superviseur des pairs éducateurs, c’est-à-dire des sensibilisateurs qui sont engagés à accompagner des gens de leurs communautés respectives pour travailler personnellement dans le combat contre le VIH. « Moi, étant membre d’une des communautés clés frappées par le VIH, j’ai voulu pouvoir moi-même porter ma contribution, car à l’époque, la maladie était abordée avec fatalisme », témoigne l’homme qui est danseur, coach de zumba et maquilleur. Les ARV (anti-rétroviraux), les médicaments vont arriver au milieu des années 90. D’abord ils étaient à la portée que de ceux qui avaient beaucoup de moyens financiers. Quand on a commencé à les proposer autour de 2005 en Haïti, il fallait un suivi méticuleux des patients pour s’assurer qu’ils les prennent régulièrement et suivent la posologie astreignante. Le Dr Lustin regrette aujourd’hui que la prescription de ces médicaments ne s’était pas faite avec plus de rigueur et d’explications. « Les gens, quand ils constatent que ça a l’air d’aller mieux, abandonnent carrément le traitement ou prennent des libertés avec la prise des médicaments. Beaucoup de patients ne comprennent qu’ils doivent prendre les traitements à vie », souligne-t-elle. Depuis sa création en 1995, POZ n’a eu de cesse de dynamiser ses efforts pour améliorer la lutte contre ce qu’on désignait comme le mal du siècle dernier. En 1996, il a institué le Téléphone Bleu, c’était une hotline où les gens pouvaient librement se renseigner sur le sida. À l’époque, les appels se passaient surtout la nuit, selon la directrice. En 1998, les groupes de support prennent naissance. On y retrouvait aussi bien des gens vivant avec le VIH que leurs proches, mais aussi des psychologues pour assurer la relation d’aide. En 99, un réseau de journalistes haïtiens devant produire du contenu sur la maladie a vu le jour et c’est l’ancêtre de ce qui allait devenir par la suite CECOSIDA (Centre de Communication sur le Sida. En 2002, les églises, les directeurs de conscience sont conviés à rejoindre la lutte pour conjurer la croyance qui associait le sida à une punition divine.
Le succès de POZ en Haïti dans la réduction des stigmatisations
Pour l’institution, ces 25 premières années ont été assez fructueuses : selon l’équipe, 150 000 personnes ont découvert leur séropositivité ; on meurt de moins en moins des suites d’une contamination ; les gens savent qu’il y a une façon d’augmenter leur espérance de vie. Le plus grand succès de POZ demeure cependant d’avoir réussi à réduire la stigmatisation compacte et d’amener beaucoup de gens vers le traitement. Tout n’est pas rose dans cette aventure d’un quart de siècle. En ce qui concerne la stigmatisation, l’institution souffrait grandement de l’image, d’un mouroir pour personnes infectées dont on l’affublait. Pour y remédier, POZ a ouvert une clinique externe où d’autres spécialités comme la santé des femmes enceintes et les maladies infantiles étaient prises en compte. La baisse des subventions émanant des bailleurs a été l’autre coup dur. « On a été victime de notre succès. On nous disait : vous avez sensibilisé beaucoup de gens ; les morts diminuent du fait des ARV ; la lutte n’est plus prioritaire. Le hic dans tout ça, c’est qu’on nous a imposé la réduction de la sensibilisation (prévention), ce qui est bien dangereux. Un autre problème, beaucoup de nos PVIH sont très pauvres et ne peuvent travailler à cause des discriminations de certaines institutions à leur encontre. Ils vivent pratiquement de notre soutien social qui dépend justement de ces subventions qui diminuent » explique Dr Lustin. POZ compte une centaine d’employés répartis entre l’administration et l’équipe technique de CEPOZ. Les centres se retrouvent à Port-au-Prince, au Cap-Haïtien et à Montrouis. Celui de Port-au-Prince, autrefois, était logé à la rue Tertulien Guilbaud, pour ensuite être rapatrié au local du bureau central à Delmas. Dr Zevallos, la directrice de cette entité de POZ, est une infatigable meneuse de troupe qui ne ménage pas ses efforts. « Je commence mon travail à 7 h 30 du matin et je m’assure que les gens ne souffrent pas en attendant un médecin dans notre espace », témoigne-t-elle. Lors du rendez-vous pour l’entretien avec Le Nouvelliste, elle était carrément au four et au moulin. Quand elle ne saisit pas les données sur son ordinateur, elle fait le va-et-vient pour parler aux patients sur les mesures à prendre contre la Covid-19. Elle parle d’ailleurs des efforts de POZ pour contribuer à la sensibilisation des personnes vivant avec le VIH qui figurent parmi les gens les plus à risque par rapport à cette pandémie. À l’entrée de l’institution, on exige le port du masque pour y avoir accès ; la distanciation physique est visiblement respectée sur les bancs. Le Dr Lustin confie, pour sa part, que POZ est en train de réclamer un droit de regard sur le confinement des PVVIH en référence aux droits humains.
POZ continue de se battre pour une vie meilleure pour tous en Haïti
À 25 ans, l’institution se fixe une ambition un peu plus globale qui se formule en cette phrase qu’on retrouve sur l’une des portes de l’institution qui donne sur une cour remplie de bougainvilliers : « Contribuer à la santé des familles haïtiennes en général, la santé infantile, la santé sexuelle et reproductive, la lutte contre les IST/Sida, en particulier dans le cadre d’un partenariat public/privé ». Lucson, le pair éducateur, tout en se réjouissant du fait que la communauté à laquelle il appartient a pu être prise en compte dans la lutte contre le VIH formule le vœu que ce combat pour la santé pour tous auquel tout le personnel en général de POZ souscrit, soit gagné. Pas de célébration ce 17 mai qui est aussi la journée internationale de la lutte contre l’Homophobie (IDAHOT) et également la journée Mémoriale Sida à la chandelle du VIH dont POZ et le PNLS sont en charge en Haïti. Le souhait est de célébrer les 25 ans avant la fin de l’année quand le déconfinement sera total. Un livre relatant cette histoire fascinante de combats et de réponses à la lutte contre le VIH/SIDA en Haïti est en phase de préparation pour marquer l’année de jubilé. En attendant, POZ continue de se battre pour une vie meilleure pour tous les Haïtiens et Haïtiennes, de se battre contre les stigmatisations et pour les traitements. La Covid-19 est un abcès sur un clou qu’il faut aussi contenir en cette année du vingt-cinquième anniversaire de Promoteurs Objectif Zéro SIDA (POZ).