Source : Radio Télévision Suisse
Le monde n’a pas retenu les leçons du sida et répète les mêmes erreurs face aux pays pauvres avec le Covid, déplore la directrice du programme ONUSIDA dans une interview accordée vendredi à la RTS. Winnie Byanyima dénonce « la cupidité » des pharmas et lance un appel à plus de solidarité.
Dès le début de la pandémie de coronavirus, la lutte contre le Covid s’est faite au détriment des efforts contre le VIH et au détriment des pays en développement, dont les pays africains. La directrice du programme des Nations Unies pour la lutte contre le sida avait tiré la sonnette d’alarme dès le début de la crise sanitaire l’an dernier et l’actualité lui donne raison aujourd’hui.
Selon les dernières données de l’OMS publiées cette semaine, seules 1,5% des doses de vaccins contre le Covid produites mondialement parviennent sur le continent africain, où moins de 2,5% de la population est vaccinée. Et cette mise à l’écart a aussi des conséquences sur d’autres maladies.
Nous avions prévenu que le Covid submergerait les systèmes de santé.
« Dans les pays où les gens sont dans la pauvreté, où l’on ne respecte pas les droits humains, où les hôpitaux sont défaillants, nous avions prévenu que le Covid submergerait les systèmes de santé et qu’il y aurait des reprises pas seulement du VIH mais aussi d’autres maladies. Et c’est ce qui s’est passé », déplore Winnie Byanyima dans l’émission Tout un monde.
Il faudrait donc vacciner le plus possible mais la distribution des sérums est plus que jamais inégale entre pays riches et pauvres, comme l’ont aussi rappelé le secrétaire général des Nations unies et le directeur de l’Organisation mondiale de la santé.
Les entreprises pharmaceutiques sont vraiment cupides, immorales.
La directrice d’ONUSIDA en est ulcérée. « Ce qui était de l’argent public est désormais privatisé par les pharmas qui détiennent la technologie. Et ces compagnies ne produisent le nombre de doses nécessaire que pour les pays riches », dit-elle avant de rappeler: « De toutes les doses de vaccin produites, 80% sont allées à des pays riches du G20. La grande majorité des morts du Covid aujourd’hui sont dans les pays pauvres. »
L’Ougandaise ne décolère pas face aux entreprises pharmaceutiques. « Les pharmas font pression sur leurs gouvernements pour qu’ils refusent une levée temporaire des brevets à l’OMC, qui permettrait à d’autres pays, d’autres régions, de produire ces vaccins sans être traînés en justice. Ils sont vraiment cupides! Ils sont immoraux! », s’écrie la directrice d’ONUSIDA.
Je vais les regarder droit dans les yeux au Forum de Davos.
Winnie Byanyima pointe particulièrement du doigt Moderna et Pfizer, dont les vaccins sont désormais les produits le plus rentables du marché. « J’espère que le World Economic Forum aura lieu à Davos en janvier, car j’y serai! », avertit-elle. « Je vais les regarder droit dans les yeux et leur dire: arrêtez d’être cupides, sauvez des vies, ayez un but dans vos entreprises! Quelle est votre éthique? Est-ce de sauver le monde ou juste de faire de l’argent? »
La solution est pourtant simple, aux yeux de la directrice d’ONUSIDA, il s’agit de partager les technologies comme le monde l’a finalement fait avec le sida.
« Nous n’avons rien retenu des leçons de la pandémie de VIH », constate-t-elle. « Il faut se souvenir qu’avant que le monde s’unisse pour la combattre, les victimes, particulièrement dans le pays en développement, étaient très nombreuses. Nous perdions des gens chaque jour. »
Les génériques au secours des malades du sida
Et pendant ce temps-là, les pays riches avaient déjà découvert les antirétroviraux. « Pendant sept ans, ils s’en sont servis alors qu’ils étaient inabordables pour le reste du monde (…) Jusqu’à ce que le monde s’unisse, des gens se sont battus, il y a eu un mouvement global et les prix ont chuté avec la production de génériques. L’Inde, le Brésil et d’autres se sont mis à produire des antirétroviraux moins chers. Et c’est ainsi que les morts ont reculé. Nous devons apprendre de cela. Combien faut-il encore de morts? »
Propos recueillis par Benjamin Luis/oang