source : seronet
Les 15 et 22 mars prochains, on votera dans les 34 968 communes des 101 départements français. Dans leurs programmes, des candidats-es proposent des mesures en matière de santé et d’action sociale. Des associations de santé, de lutte contre le sida et les hépatites virales ont décidé, elles aussi, de faire campagne avec des propositions pour mettre fin au VIH/sida. Quelles sont les revendications ? Comment sont-elles portées ? La lutte contre le VIH intéresse-t-elle les villes ? Seronet vous donne quelques clefs, à quelques semaines du scrutin.
2018. Le 4 avril, Bordeaux accueille la conférence Afravih. À cette occasion, le maire de l’époque, Alain Juppé, signe une déclaration pour « Bordeaux, ville sans sida ». Par ce geste, le maire (LR) de cette grande métropole s’engage à atteindre dans les deux ans (donc en 2020) l’objectif 90-90-90 de l’Onusida (1). L’année précédente, Nice accueillait le congrès de la Société française de lutte contre le sida (SFLS). À cette occasion, la ville, dirigée par Christian Estrosi (LR), y réaffirme son engagement dans : « Objectif sida zéro. Nice et les Alpes-Maritimes s’engagent ». Dans ce projet, la ville de Nice est engagée avec le département des Alpes-Maritimes dans un projet territorial coordonné par le Corevih Paca-Est pour qu’il n’y ait plus de nouveaux cas de VIH. À Strasbourg, la ville s’est engagée comme « ville sans sida » aux côtés des Élus locaux contre le sida (ELCS), c’était en décembre 2015, sous Roland Ries (PS), qui dirige la ville depuis 2008. Sur son site, l’euro-métropole de l’Est rappelle qu’elle a mis en place des programmes d’échanges de seringues dans les années 90 et qu’elle a contribué à la mise en place d’une équipe mobile de prévention. Elle explique aussi qu’elle verse environ « 120 000 euros de subventions chaque année aux associations engagées dans les actions de prévention des risques et de toxicomanie ». En 2016, la ville a pris la décision d’ouvrir la seconde salle de consommation à moindre risque (SCMR) en France, baptisée Argos, aux côtés de l’association Ithaque, qui en assure la gestion. Une seule autre salle existe à Paris, gérée par l’association Gaïa. C’est en 2010, sous la mandature de Bertrand Delanoë (PS), que pour la première fois le Conseil de Paris se prononce « en faveur de l’expérimentation d’une salle de consommation supervisée de drogues dans la capitale ». Il faudra attendre 2016, sous la mandature d’Anne Hidalgo (PS) pour qu’un financement soit voté. C’est l’équipe municipale du 10e arrondissement, alors dirigée par Rémi Féraud (PS) qui s’engagera et permettra la création de cette salle dans cet arrondissement. D’autres projets de SCMR, annoncés à Bordeaux ou à Marseille, n’ont jamais vu le jour, malgré les promesses et annonces des exécutifs dirigés respectivement par Alain Juppé (à l’époque), et Jean-Claude Gaudin (LR).
Ailleurs, un grand nombre de villes ont également pris des initiatives dans le champ de la santé et particulièrement celui de la lutte contre le VIH et les hépatites virales. Ainsi, en 2018, Montpellier, en partenariat avec SOS hépatites et le réseau Hépatites Languedoc-Roussillon, s’engage dans une grande campagne « pour qu’il n’y ait plus d’hépatite C à Montpellier à l’horizon 2022 ». Adjointe à la Prévention et à Santé, Caroline Navarre rappelle que « l’enjeu est de dépister les malades le plus tôt possible, afin d’éviter le risque de complications – pouvant aller jusqu’à un cancer du foie dans 5 % des cas – et de contamination ». « À Montpellier, 1 700 personnes ignorent qu’elles sont malades, explique alors Pascal Melin, président et cofondateur de SOS Hépatites, dans une interview au Midi Libre (2). L’opération connaît ses premiers temps forts, dès septembre 2019.
Ces exemples sont loin d’être exhaustifs. Ils montrent que la santé est bien un domaine de compétence des communes et dans bien des cas un enjeu politique pour les candidats-es. Assez logiquement, les associations de santé, dont celles de lutte contre le sida et les hépatites virales, comme AIDES, s’engagent donc lors de ces échéances.
Les élections municipales : « une bonne occasion de mettre en avant certaines thématiques » pour les associations
Les élections municipales (tous les cinq ans) constituent un des temps forts de la vie électorale et politique française. Le plus souvent, elles se déroulent à mi-mandat présidentiel et leurs résultats font figure de « sondages » pour les élections nationales qui se profilent dans deux ans : présidentielle et législatives. Elles sont cruciales pour la composition du Sénat, puisque les élus-es de la haute assemblée sont choisis-es par les grands-es électeurs-rices dont certains-es sont issus-es des conseils municipaux. Le ou la maire est l’élu-e le-la plus en proximité des citoyens-nes. Pour nombre d’associations et de représentants-es de la société civile, les élections municipales sont une très bonne occasion de mettre en avant certaines thématiques et de défendre des revendications dont beaucoup relèvent d’ailleurs des compétences des communes. C’est ce qu’a entrepris AIDES pour les municipales de cette année, comme elle l’a déjà fait lors des élections précédentes. Cet engagement est d’autant plus important que les villes sont les premières interlocutrices des associations pour l’organisation d’événements, d’actions, de partenariats, la création de structures, la mise en place de politiques de santé publique et parfois un soutien financier.
Mais quelles sont vraiment les compétences des mairies dans les champs qui sont en lien avec l’action des associations de lutte contre le VIH et les hépatites virales ? Le champ principal est, logiquement, celui de l’action sanitaire et sociale. La place de chaque commune dans ce domaine est fonction de sa taille. Une commune, petite ou de taille moyenne, ne pourra faire face qu’à ses missions légales et obligatoires du fait de moyens limités, tandis que des métropoles régionales peuvent développer des politiques locales d’action sociale plus ambitieuses, voire novatrices. Techniquement, la commune gère ses compétences en matière sociale, soit au travers de services publics qu’elle organise comme elle l’entend (elle gère en direct ou délègue), soit au travers d’une structure spécifique obligatoire, dotée, a minima, de la compétence d’établissement des demandes d’aide sociale : le centre communal d’action sociale (CCAS). Chaque commune doit constituer un CCAS ou un centre-intercommunal d’action sociale (CIAS). Cette structure a des missions obligatoires comme l’animation d’une action générale de prévention et de développement social dans la commune ; l’accompagnement dans l’instruction des demandes d’aide sociale légale comme le RSA, la CMU de base, l’AME… en participant à l’instruction des demandes et en assurant la transmission aux autorités décisionnaires (Conseil général, caisse primaire d’Assurance maladie…) ; la domiciliation (adresse postale) des personnes sans domicile fixe pour l’exercice de leurs droits (accès à une prestation sociale, droite de vote…). À ces missions obligatoires peuvent s’ajouter des actions comme la distribution de secours en nature ou en espèces aux personnes ; l’intervention dans l’accès au logement des personnes les plus précaires ; la création d’un établissement ou d’un service à caractère social ou médico-social ; l’exercice par délégation de compétences sociales globales sur la commune par convention avec le conseil général.
Outre le CCAS ou CIAS, certaines communes se dotent de services municipaux dédiés à une politique d’action sociale qui peut comporter la prévention, l’éducation à la santé… Autre dispositif intéressant : l’atelier santé ville (ASV). Ce dispositif vise à réduire les inégalités de santé. Il a tout son intérêt vis-à-vis de populations ou groupes particulièrement vulnérables aux risques d’exposition au VIH et aux hépatites comme aux risques sociaux. C’est le cas des personnes migrantes, de celles qui sont usagères de drogues, des hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes. L’ASV fait une place à la promotion de la santé en lien avec la politique de la ville. Les ASV sont une instance locale de concertation, de déclinaison et d’élaboration des programmes locaux de santé publique. Ils s’appuient sur un partenariat élargi entre les acteurs-trices sanitaires et sociaux.
Un autre dispositif est utilisable : le contrat local de santé (CLS). Ce dispositif est hérité de la loi de juillet 2009, dite loi HPST (loi de réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires). Le CLS a pour ambition de renforcer la qualité du partenariat autour de la politique de santé mise en œuvre au niveau local, dans le respect des objectifs poursuivis par le projet régional de santé défini par l’Agence régionale de santé (ARS). Par exemple, Paris a un contrat local de santé signé entre la ville et l’État… qui comprend Vers Paris sans sida. La Ville de Lyon a le sien, signé entre la ville et l’Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes. Il comprend près d’une trentaine d’actions : cela va des expérimentations sur les échangeurs-récupérateurs de seringues (action 17) à un Observatoire de la santé des Lyonnais-es (action 25).
Par ailleurs, les élus-es (maires ou adjoints-es) jouent un rôle dans l’organisation de l’offre de soins. Par exemple, lorsqu’ils-elles sont membres des conseils de surveillance des hôpitaux. La municipalité peut aussi décider d’investir dans des projets innovants d’offre de soins faisant le lien entre la ville et l’hôpital. Certaines communes ont créé des centres de santé municipaux, parfois gérés en direct, en secteur 1 (conventionné) et avec tiers-payant. D’autres soutiennent des initiatives comme les maisons de santé pluridisciplinaires, etc.
Certains-es maires ou adjoints-es participent aux conférences régionales de la santé et de l’autonomie. Voilà, dans les grandes lignes, pour le champ de la santé.
Les élus peuvent choisir ou non de retirer des affiches de campagnes associatives
D’autres compétences ont leur importance dans les champs d’engagement des associations de santé et tout spécialement de lutte contre le VIH et les hépatites virales. Il y a l’action de protection de l’ordre public local (qui ne concerne pas la mairie de Paris, mais la préfecture de police de Paris). Légalement, le-la maire est investi-e d’une compétence générale de police administrative au niveau communal. Il ou elle lui revient d’assurer l’ordre public local. C’est à ce titre que des mairies prennent des arrêtés municipaux à l’encontre des personnes travailleuses du sexe (limitations de stationnement de véhicules, de circulation…). D’autres encore peuvent interdire des campagnes d’affichage, y compris officielles. Ainsi en 2016, certains maires ont fait retirer de leurs villes une campagne de prévention du VIH mettant en scène des couples homosexuels… Ce fut le cas à Angers, à Compiègne et dans plusieurs villes d’Île-de-France comme Aulnay-sous-Bois, Louveciennes, Chaville… toutes gérées par des maires de partis de droite. Ces pouvoirs de police restent néanmoins limités, car les préfets-es disposent d’un pouvoir de substitution si nécessité.
Les communes ont des compétences en matière d’état-civil. Par exemple, elles peuvent travailler à la formation des personnels municipaux pour l’accueil des personnes trans et la prise en compte des changements de prénom dans les registres. En matière associative, le rôle de l’exécutif municipal peut être déterminant pour la création d’un centre LGBT (participation à son financement), la mise en place d’opérations régulières de dépistage (autorisations d’actions publiques, de stationnement…). Compétences également en matière de logement et d’hébergement, de communication ou encore de coopération décentralisée à l’international (programmes avec des villes ou pays très touchés par le VIH).
Mi-janvier, tous les programmes électoraux sont loin d’être bouclés et, parfois, les équipes de candidats-es sont même en constitution. Cela étant, sur certains sites de candidats-es (principalement dans les métropoles), on trouve des propositions relatives à la santé ou l’action sociale. C’est le cas de Martine Vassal (LR), candidate à la succession de Jean-Claude Gaudin à Marseille qui fait plusieurs propositions pour « lutter contre toutes précarités et accompagner les plus démunis ». Par exemple, il est question de « réaliser un état des lieux des travailleurs pauvres et créer un dispositif de caution logement à destination des plus précaires ». La santé n’est pas oubliée. Dans un communiqué (9 janvier), la candidate met l’accent sur l’organisation des hôpitaux, et fait des propositions comme la création de « centres d’accès aux soins pour les plus démunis ». « Je propose de créer, en complément des permanences d’accès aux soins de santé (Pass) qui accueillent les plus démunis, des centres portés par des structures associatives. Trois centres pourraient être implantés à Marseille et trois supplémentaires sur la métropole avec une priorité donnée aux quartiers les plus défavorisés », explique-t-elle dans son communiqué. Autre exemple, à Nantes, Margot Medkour, candidate de la liste Nantes en commun-e-s (un mouvement citoyen, écologiste et participatif), fait également des propositions en matière de santé. Il s’agit, entre autres, de la création d’un réseau de centres de santé, ou la création d’une « mutuelle de santé municipale pour « permettre aux personnes les plus précaires vivant ou travaillant dans la commune d’avoir un 100 % santé, sur le dentaire et les lunettes, sans que cela vienne en concurrence des structures déjà existantes ». À Rennes, les candidats-es Europe Écologie Les Verts, Matthieu Theurier et Priscilla Zamord, proposent dans leur programme des mesures sur la santé environnementale, mais aussi des mesures pour renforcer la politique de l’égalité et la lutte contre les discriminations (formation des élus-es, déploiement d’une politique transversale de lutte contre les discriminations, etc.). La quasi-totalité des programmes électoraux des communes importantes prennent en compte la santé, pas toujours explicitement le VIH et les hépatites virales.
De son côté, AIDES a réfléchi à un ensemble de revendications à porter à cette occasion. Des revendications réparties en six domaines ou thématiques, qui vont de la santé proprement dite à la démocratie sanitaire, des personnes LGBTQI+ aux personnes migrantes, des travailleurs-ses du sexe aux personnes usagères de drogues et à la réduction des risques. À Paris, ces revendications ont été travaillées et sont portées collectivement. Il faut dire que les enjeux parisiens, mais plus largement franciliens, sont particuliers du fait de l’importance de l’épidémie de VIH dans la capitale et en Île-de-France.
Bien entendu, la lutte contre le VIH et les hépatites virales ne sera pas le sujet-phare de ces élections. Reste que les initiatives prises ces dernières années, par un nombre de plus en plus important d’exécutifs locaux, montre bien une évolution. Elle est le signe d’une prise de conscience que ce combat doit aussi être porté au niveau des villes et que la fin du VIH/sida est, bel et bien, « une lutte commune ».
(1) : À l’horizon 2020, 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique ; 90 % de toutes les personnes vivant avec le VIH dépistées reçoivent un traitement anti rétroviral durable ; 90 % des personnes recevant un traitement antirétroviral ont une charge virale durablement supprimée, selon la définition de l’Onusida.
(2) : Midi Libre, 6 juillet 2018.