source : france culture
SCIENCES |Chaque jour, Nicolas Martin, producteur de la Méthode Scientifique, fait un point sur l’avancée de la recherche sur le coronavirus. Il revient aujourd’hui sur le lien entre le SARS-CoV2 et le VIH.
Tout part d’un article d’un article du South China Morning Post, en date du 12 avril, avec ce titre : le coronavirus pourrait attaquer le système immunitaire comme le VIH, en ciblant les cellules protectrices, avec ce sous-titre qui indique que les effets du SARS-CoV2 pourraient s’apparenter à ceux du SIDA, ce qui inquiéterait la communauté médicale. Vous imaginez bien que notre sang n’a fait qu’un tour, nous nous sommes donc penchés sur les études qui ont conduit à la rédaction de ce papier.
Il s’agit d’une étude publiée le 7 avril dans la revue Cellular & Molecular Immunology. Que dit-elle ? Tout d’abord, il faut préciser qu’il s’agit d’une étude in vitro – donc en laboratoire. Elle indique que le SARS-CoV2 pourrait infecter les lymphocytes T et induire leur mort cellulaire.
Petit rappel d’immunologie. Les lymphocytes T sont des globules blancs essentiels dans la réponse immunitaire. Une partie d’entre eux, les CD8 sont cytotoxiques, c’est-à-dire qu’ils capturent une cellule infectée par un virus, en perçant leur membrane et en y injectant des produits chimiques qui détruisent cette cellule. Ils sont donc essentiels à la réponse immunitaire. Le VIH, le virus du SIDA s’attaque précisément à une partie de ces lymphocytes, les CD4, qui servent d’hôte au virus qui se reproduit dans ces cellules, et créent donc une immunodépression, ils fragilisent le système immunitaire, laissant la place à ce qu’on appelle les maladies opportunistes, ces maladies normalement bénignes qui d’un seul coup prennent des proportions énormes, compte tenu de la diminution critique du nombre de ces lymphocytes. C’est l’immunodéficience, le I et le D de SIDA, syndrome d’immunodéficience acquise qui fait que les malades du SIDA ne meurent pas directement du VIH, mais de ces maladies opportunistes associées qui submergent l’organisme.
Des virus qui sont biens différents
Que se passe-t-il avec le SARS-CoV2 ? Pas du tout la même chose. Déjà, il ne s’agit pas de la même catégorie de virus. Le SARS-CoV2 comme vous le savez est un coronavirus, le VIH est un rétrovirus, ce ne sont pas du tout les mêmes mécaniques virales.
Néanmoins, les chercheurs ont constaté ce qu’on appelle une « lymphocytopénie » chez les patients gravement atteints par la Covid-19, c’est à dire une chute du nombre de lymphocytes T.
Tout d’abord, il faut préciser que les lymphocytopénies sont constatées dans nombre de pathologies virales à des stades avancées. On l’a constaté notamment pour les autres pathologies à coronavirus que sont le SRAS et le MERS. Il se produit une sorte d’effondrement immunitaire, mais uniquement dans les cas les plus critiques.
Ainsi, un rapport clinique d’une étude chinoise a mis en lumière le fait que chez les patients les plus atteints, des patients âgés ou en soins intensifs, le nombre de cellule T aurait diminué de façon significative, rapport qui aurait été corroboré par des examens d’autopsie sur plus de 20 patients décédés de la Covid-19 dont le système immunitaire a été presque complètement détruit.
Ce qui est complexe à comprendre, c’est que l’on sait que le SARS-CoV2 se lie aux cellules qui présentent des récepteurs spécifiques, les récepteurs ACE2 dont je vous ai déjà fréquemment parlés. Or les lymphocytes T ne présentent a priori pas ce type de récepteurs. Selon une étude en pré-publication sur le site biorXiv, il serait possible qu’un autre type de récepteur ait permis l’entrée du SARS-CoV2 dans les lymphocytes T, le récepteur CD147 notamment.
Mais à l’inverse du VIH, le SARS-CoV2 ne se sert pas des lymphocytes T comme cellule hôte pour se répliquer, leur infection conduirait à la mort de la cellule, et du virus. D’où l’absence de réaction en chaîne d’immunodépression que l’on peut constater avec le VIH.
Des incertitudes encore présentes
Pourquoi alors cette lymphocytopénie chez certains patients gravement atteints et pas chez l’ensemble des patients infectés par le SARS-CoV2 ? C’est encore malheureusement assez obscur.
Selon Jean-Daniel Lelièvre, immunologiste et chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Henri Mondor à Créteil, que nous avons interrogé, il est certain qu’il n’y a pas d’attaque spécifique des lymphocytes T par le SARS-CoV2. Pourquoi cette lymphocytopénie est-elle constatée dans plusieurs virus respiratoires, et rappelons-le, dans les cas les plus graves ? Il faudra plus d’études pour bien comprendre ces mécanismes d’effondrement immunitaire. Peut-être le rôle des anticorps facilitants – qui au lieu de neutraliser les virus aident leur entrée dans un certain nombre de cellules hôtes comme je vous l’expliquais dans une chronique précédente, serait à prendre en compte. Mais ce qui est sûr, c’est qu’en l’état actuel de nos connaissances, il est tout à fait abusif de comparer l’évolution clinique du SARS-CoV2 avec celui du VIH.