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lesbiennes et sida

Lesbiennes dans les années sida : J’aurais fait quoi ?

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Source: seronet.info

La Déferlante est une revue trimestrielle consacrée aux féminismes et au genre. Créée et dirigée par des femmes, elle donne la parole aux femmes et aux minorités de genre et met en lumière leurs vécus et leurs combats. Dans le numéro 5 (mars 2022), la journaliste et documentariste ouvertement lesbienne Clémence Allezard (France Culture) consacre une enquête à la question des lesbiennes dans la lutte contre le sida et particulièrement pendant la période 1981-1996, « Les années sida » avant l’arrivée des trithérapies. Entretien.

Pourquoi avoir choisi de traiter le sujet des lesbiennes dans la lutte contre le sida et pourquoi aujourd’hui ?

Clémence Allezard : Alors, pour être tout à fait honnête, il ne s’agit pas de mon idée. Je ne peux pas répondre pour la Déferlante. Je pense que cela a trait avec la mise en lumière, sous l’impulsion d’Alice Coffin notamment, dans son livre Le génie lesbien [Grasset, septembre 2020, ndlr], de l’engagement des lesbiennes sur le front de multiples luttes. Et cela sans que l’histoire, l’historiographie dominante mais parfois aussi minoritaire, qu’il s’agisse du mouvement homosexuel ou féministe, ne les nomment. En ce qui me concerne, ce sujet m’intéressait car, pour moi, ces activistes lesbiennes n’étaient pas invisibles, au contraire ! Quand j’ai commencé à m’intéresser aux luttes et à l’histoire lesbiennes, et à m’impliquer dans le mouvement LGBT, j’ai très vite rencontré Gwen Fauchois (ex vice-présidente Act Up-Paris), et Elisabeth Lebovici (historienne et critique d’art), et je savais qu’elles avaient été toutes deux à Act Up-Paris, et de mon point de vue (comme quoi ça compte) elles n’étaient pas invisibles, et pas vraiment « invisibilisées ». En revanche, les années sida, si, complètement. Je ne connaissais rien jusqu’à il y a peu ; là aussi Gwen et Elisabeth ont joué un rôle primordial dans mon apprentissage. Se confronter à cette histoire, pour moi, gouine née en 1990, c’est d’abord être dans un état de sidération complet. C’est imaginer enterrer mes copains pédés, c’est-à-dire mes meilleurs amis, c’est-à-dire ma famille choisie, c’est terrifiant. C’est aussi se demander : « J’aurais fait quoi, moi » ? Même si cette interrogation est probablement vaine ; elle m’habite.

Alors, quand Emmanuel Macron déclare en mars 2020, que nous connaissons « la pire crise sanitaire depuis un siècle », je suis furieuse. Cet « oubli » d’une histoire collective, hétéros compris, est une erreur historique majeure et lourde de sens. C’est une négation énorme de notre histoire, communautaire, évidemment, absolument cruciale puisque de tout évidence c’est un trauma collectif, une histoire qui a profondément marqué les existences des survivants, activistes ou non, qui a bouleversé, transformé le militantisme — ce qui a été expérimenté, pensé dans l’urgence de ces années-là et la recomposition de mots d’ordre tel que le Pacs, le mariage etc. — et « l’identité » gay.  Outre le fait que cette épidémie, bien sûr, n’est pas finie. Évidemment, la spécificité des années sida, c’est que ce sont principalement les pédés, les toxicos et les Noirs qui sont touchés. Bref, nous avons l’habitude, malheureusement, de ces occultations, mais j’étais très en colère. Cette invitation à enquêter faite par La Déferlante est venue à point nommé pour me permettre de faire quelque chose de cette colère et de poursuivre mon travail, dont une large partie est précisément consacrée à déconstruire l’historiographie dominante depuis un point de vue minoritaire, en l’occurrence lesbien. C’était aussi l’occasion de raconter des solidarités intra-communautaires, ce qui m’enthousiasmait aussi particulièrement, car notre histoire est faite de conflictualités, de tensions, de luttes intestines ; mais j’avais aussi envie de comprendre comment ces complicités-là s’étaient nouées. La convergence des luttes ne se décrète pas, elle se pratique. Elle s’est apparemment pratiquée pendant ces années-là : comment, pourquoi ? Raconter ces solidarités, en informer notre présent. Je crois qu’on en a besoin !

Qu’avez-vous découvert de plus marquant lors de cette enquête ?

La suite de l’interview à lire sur seronet.info

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