Source : jim.fr
Pour s’intéresser à l’état de santé des personnes dites « LGBTQI » (pour Lesbiennes, Gay, Bi, Trans, Queer, Intersexe), il faut d’abord s’accorder sur quelques données. Les personnes qui ont eu des « pratiques homosexuelles » dans l’année sont relativement peu nombreuses : 1 % pour les hommes et seulement 0,3 % pour les femmes (sur la vie entière, 3 % pour les hommes et 2 % pour les femmes).
Il s’agit donc d’un sujet complexe qui touche une petite minorité. Et oui, on retrouve dans cette population LGBTQI des spécificités sur le plan épidémiologique. Il faut surtout retenir qu’il s’agit d’une population souffrant de plusieurs fragilités : sur le plan des violences (3 à 4 fois plus d’agressions verbales chez les hommes homosexuels que chez les hétérosexuels), sur le plan de la santé mentale (plus de 70 % de consommation de drogue, 20 % d’antécédent de tentative de suicide), et enfin sur le plan du risque infectiologique avec encore actuellement 12 % d’infection par le VIH en France parmi les homosexuels masculins.
L’enjeu du dépistage
L’infection par le VIH est très concentrée actuellement en France, avec 2 600 cas (sur les 6 000 nouveaux cas annuels) survenant chez les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes (HSH). Il y a également une concentration géographique : la moitié des nouveaux cas surviennent en Ile-de-France, et on compte 8 fois plus d’infections à Paris intramuros que pour le reste du territoire. Les homosexuels parisiens représentent à eux seuls 10 % des nouvelles contaminations. On estime qu’environ 25 000 personnes (dont 4000 à Paris) sont infectées par le VIH sans le savoir.
On a donc un recours encore insuffisant au dépistage, y compris dans la population des homosexuels masculins, avec un retard au diagnostic de 2,9 années en médiane. Un quart des nouveaux cas de 2016 n’avaient jamais été dépistés auparavant. Pour rappel, on recommande désormais dans cette population un dépistage tous les trois mois (voir le site vihclic.fr). La question du dépistage est d’autant plus importante qu’elle conduit rapidement à un traitement induisant un contrôle virologique, et qu’un ARN VIH indétectable confère un risque « nul » de transmission du VIH. Les médecins généralistes ont un rôle à jouer dans la facilitation du dépistage, en proposant par exemple des tests rapides en cabinet, ou en délivrant gratuitement des autotests.
Depuis deux ans, en plus du dépistage régulier, la PreP (bithérapie antirétrovirale préventive pour les sujets les plus à risque) est une arme à utiliser contre le VIH et est remboursée par l’assurance maladie. Elle peut être utilisée en prise continue (un comprimé par jour, avec première prescription hospitalière) ou occasionnellement. On estime qu’environ 8 à 9000 personnes y ont recours actuellement en France.
Quel accès aux soins pour les personnes homosexuelles ?
Mais au-delà de ces problématiques de santé publique, il demeure la question de l’accès aux soins des personnes LGBTQI. En interrogeant 2235 personnes se disant homosexuelles (1610 femmes et 1625 hommes), on découvre que près d’un sur deux n’ont aucun médecin au courant de leur orientation sexuelle (enquête Egale-MG). On s’étonnera également du fait que 44,9 % des femmes et 33,6 % des hommes pensent qu’il n’existe pas de spécificité de santé liée à leur orientation, et en particulier que 46,6 % des hommes pensent qu’il n’y a pas de vaccin indiqué pour les HSH (pour rappel, il s’agit des vaccins contre le HPV, et l’hépatite A).
Ces problèmes de santé semblent donc insuffisamment connus, les infections sexuellement transmissibles insuffisamment dépistées, et les médecins généralistes peu au courant de l’orientation sexuelle de leurs patients. Le ‘coming-out’ du patient auprès de son médecin apparait déterminé entre autre par le type de médecin consulté, les questions posées par le médecin, l’appréhension d’une discrimination, ou encore le fait de penser que ce n’est pas important et utile.
Faut-il devenir médecin « gay friendly »
Pour Thibaut Jedrzejewsi (Paris), auteur de l’enquête Egale-MG, répondre à cette problématique passe par l’institutionnalisation de la question de la santé des gays et lesbiennes, avec la création envisagée d’une société savante, ainsi que de formations, voire de centres dédiées à la santé gay et/ou lesbienne. Pour autant, la question demeure de la pertinence et des risques qu’il y aurait à ouvrir des soins ouvertement dédié aux « gays ». Quelques centres existent déjà. Ils sont notamment familiers avec les questions très spécifiques du « slam » et du « chemsex » (consommation de drogues, notamment des drogues de synthèse, dans un contexte sexuel), ou encore habitués à la prescription de la PreP.
Mais si ces initiatives semblent déjà rendre des services (telle que le « 190 » , centre situé dans le quartier du Marais à Paris), il n’en reste pas moins qu’ils courent le risque d’oublier qu’avant tout « notre cœur de métier est de soigner tout le monde », comme le rappelle Marie Hélène Certain, modératrice de la session (voir à ce propos le point de vue du Pr Pierre-Louis Druais, président du collège de médecine générale, interviewé par le JIM il y a quelques jours et qui qualifie la mise en place de médecins spécifiques pour les homosexuels de « connerie » http://www.jim.fr/e-docs/00/02/9B/C5/index.phtml#vimeo-video-iframe).
S’il est sans doute sans inconvénient d’être désigné comme médecin « gay friendly » par telle ou telle association, on en reste pas moins « femme enceinte friendly, enfant friendly… Tout friendly ! » comme le rappelle une jeune médecin généraliste intervenant en fin de session. Il faut surtout être compétent, plus que « friendly », souligne Thibaut Jedrzejewsi, et si l’on veut offrir un meilleur accès aux soins à ces personnes, on peut commencer par simplement apprendre à demander à nos patients s’ils ont « un, une, ou des partenaires sexuels ».