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Investissements publics dans la recherche : transparence et traçabilité exigées !

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Source : Libération

La recherche-développement dans le biomédical dépend beaucoup d’investissements publics ou caritatifs, attribués notamment à des entreprises privées. La pandémie nous offre l’occasion de revoir ce système opaque.

Tribune. Les annonces de financements publics destinés à la recherche et au développement pour endiguer l’épidémie de Covid-19 se multiplient depuis le début de la crise. Sans conditions claires et sans transparence, ces investissements ne peuvent pourtant pas tenir les promesses d’accessibilité qui les accompagnent.

Lundi 8 mai, la conférence des donateurs organisée par la présidente de la Commission européenne et plusieurs dirigeants·es européens·nes a récolté 7,4 milliards d’euros de fonds pour la recherche et le développement de médicaments, vaccins et outils de diagnostics contre le Covid-19. Nombre de chef·fe·s d’Etat participant à la conférence ont, à cette occasion, rappelé la nécessité d’une réponse mondiale et coordonnée à la crise sanitaire, mais également de garantir l’accès universel à de futurs produits de santé sûrs et efficaces.

Emmanuel Macron, coprésident de la conférence, y a notamment annoncé une contribution française de 500 millions d’euros et s’est engagé à faire du futur vaccin «un bien public mondial». Cette initiative n’est pas une première dans le cadre de la pandémie : la Coalition pour les innovations et la préparation des épidémies (Cepi) a reçu 690 millions d’euros de fonds publics mondiaux destinés à financer des projets de vaccins, dont celui de l’Institut Pasteur en lien avec l’entreprise Themis et l’université de Pittsburgh.

L’ampleur de ces mobilisations illustre un constat déjà éprouvé par nombre de chercheur·euse·s et d’associations de patient·e·s : une part importante de la recherche et du développement dans le domaine biomédical repose sur des investissements publics ou caritatifs. Or pour assurer des outils médicaux accessibles universellement et à un coût abordable comme l’appellent de leurs vœux de nombreux dirigeants mondiaux, les investissements dont ils sont issus doivent plus que jamais être conditionnés et répondre à un impératif de transparence. Ce second constat, a priori trivial, est pourtant loin de correspondre à un usage courant en France ou en Europe.

Des investissements publics opaques

Depuis le début de la crise sanitaire, le gouvernement a annoncé débloquer 58 millions d’euros de fonds destinés à la recherche et au développement pour endiguer l’épidémie de Covid-19. En l’état, les informations rendues publiques ne permettent pas de déterminer si ces investissements profiteront plutôt aux acteurs publics ou privés impliqués dans le domaine de l’innovation biomédicale. Or sans conditions claires, les résultats d’une recherche fondamentale menée par des établissements publics et financée par l’Etat pourraient bénéficier sans contrepartie aux firmes pharmaceutiques qui souvent en rachètent les droits, développent le candidat et le commercialisent le cas échéant.

Par ailleurs, le secteur privé bénéficie déjà d’abondantes aides publiques à la recherche et au développement, à l’emploi et à la politique industrielle dans le domaine de la santé. Qu’il s’agisse de financements directs ou d’exonérations d’impôts et de cotisations, ces aides françaises et européennes parfois cumulatives sont accessibles aux entreprises sans restriction de taille et sans mécanismes de transparence. En 2017, on estime que près de 500 millions d’euros ont bénéficié à l’industrie pharmaceutique au titre du seul crédit d’impôt recherche.

Il n’existe encore aucune quantification du montant total des investissements publics alloués chaque année en France à la recherche et au développement dans le domaine biomédical. Aucune traçabilité des investissements sur les politiques industrielles pharmaceutiques n’est disponible. Ces aides sont pourtant pleinement assimilées par des firmes financiarisées, qui les intègrent dans leurs modèles économiques comme une ressource disponible. Enfin, les produits finis issus de ces investissements publics sont souvent vendus à l’Etat au prix fort, sans garantie que ce dernier soit soutenable pour la solidarité nationale et les patients.

Le contexte appelle donc à repenser la doctrine économique et industrielle de la France concernant l’innovation médicale, l’accès et la disponibilité des produits de santé. Des initiatives ont déjà été engagées, comme celle d’Olivier Véran et Frédérique Vidal demandant l’accès libre et public aux publications et données issues de la recherche en lien avec l’épidémie de Covid-19 en France, mais elles demandent à être renforcées.

La transformation des pratiques

La transparence, la traçabilité des investissements publics dans la recherche et le développement, la mise en place de conditionnalités liées à ces investissements publics, les licences non exclusives pour les découvertes issues de la recherche publique sont à ce titre des garanties nécessaires pour assurer l’accessibilité aux meilleurs soins et la pérennité de notre système de santé. Elles impliquent que soit audité le système de financement de la recherche biomédicale pour prendre la mesure des investissements publics qui y convergent.

En complément, l’Etat dispose d’outils permettant la production massive et à bas coûts des traitements vitaux dans la lutte contre l’épidémie. Les licences obligatoires et autres flexibilités présentes dans le droit de la propriété intellectuelle (importations parallèles, limites à la protection des données) doivent être considérées pour assurer l’approvisionnement en produits indispensables et éviter la constitution de monopoles menaçant l’accessibilité universelle.

Une transformation des pratiques est plus que jamais nécessaire pour que l’allocation d’aides publiques permette une politique ambitieuse et globale de lutte contre l’épidémie, en réponse aux besoins de la population et non à la recherche de profits.

Signataires : Act Up Sud-Ouest, Act Up-Paris, Action Santé Mondiale, Actions Traitements, AFTOC, Aides, Amalyste, APF France Handicap, Dessine-moi un mouton, France Assos Santé, La Ligue contre le cancer, Médecins du Monde, Renaloo, Sol en Si, UAEM France, UFC-Que Choisir, Unapecle, Théau Brigand (Médecins du Monde, Cermes3), Catherine Bourgain (Inserm), Maurice Cassier (IFRIS CNRS), Nathalie Coutinet (CEPN-UMR CNRS 7234), Pierre-André Juven (CNRS – Cermes3), Fabienne Orsi (LPED-IRD).

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