Source : Medscape.com
Berkeley, Etats-Unis — Est-on mieux soigné quand on est une femme, un homme ? Qu’en est-il des médicaments ? Le genre compte-t-il ? Des recherches s’attellent à mettre en lumière des biais de genre et/ou d’origine dans la prise en charge médicale.
Deux chercheurs américains viennent de montrer que la pharmacocinétique des médicaments, qui diffère selon le sexe, prédit la survenue effets secondaires chez les femmes. Or, les femmes ayant longtemps été exclues des essais cliniques, la pharmacocinétique des médicaments chez elles n’est pas documentée. Pour les auteurs, les dosages seraient trop élevés pour certaines molécules dont ils ont dressé la liste. Leurs résultats ont été publiés dans Biology of Sex Differences [1].
Quand elles prennent un médicament, les femmes souffrent deux fois plus souvent d’effets secondaires que les hommes. Pourquoi ? Irving Zucker (Université de Californie, Berkeley) et Brian Prendergast (Université de Chicago) ont cherché à apporter une réponse à cette question. En établissant une bibliographie de la littérature scientifique, ils ont déterminé le rôle essentiel de la pharmacocinétique des molécules, différente chez les hommes et les femmes, dans la survenue des effets secondaires, eux-mêmes différents selon qu’on est un homme ou une femme.
Des essais cliniques historiquement « masculins »
Dans leur introduction, les auteurs rappellent que pendant longtemps les femmes ont été exclues des études cliniques à cause du risque d’exposition du fœtus pour leurs grossesses futures mais aussi à cause des fluctuations hormonales liées au cycle menstruel.
On imaginait alors que ce qui était valable pour les hommes l’était également pour les femmes. Il en résulte que la plupart des médicaments prescrits aujourd’hui le sont aux mêmes doses quel que soit le sexe du patient.
Malgré la prise de conscience de cette erreur d’appréciation au début des années 1990, les auteurs soulignent que la plupart des études actuelles ne prennent pas en compte le genre dans leur analyse.
« Négliger le sexe féminin est courant, même pour les études cellulaires ou sur des modèles animaux pour lesquelles les individus sont des mâles de façon prédominante » indique Irving Zucker dans un communiqué de l’université de Berkeley.
Une pharmacocinétique genrée
En analysant plus de 5000 articles scientifiques, les auteurs ont trouvé 86 médicaments pour lesquels il y a un biais de genre. Ils indiquent que les données de pharmacocinétique ne sont disponibles que pour une petite fraction des médicaments.
Sur ces 86 médicaments, approuvés par la Food and Drug Administration (FDA), 76 présentent des valeurs pharmacocinétiques plus élevées chez les femmes. Cela signifie que le médicament se retrouve à des concentrations sanguines plus importantes chez les femmes que chez les hommes et que l’élimination du médicament prend plus de temps. Ces différences de pharmacocinétique sont fortement associées aux effets indésirables.
Dans 90 % des cas, les effets secondaires sont plus graves chez les femmes. Parmi eux, on trouve des nausées, des maux de tête, des symptômes de dépression, des déficits cognitifs, des convulsions, des hallucinations ou encore des anomalies cardiaques, listent les auteurs.
Ces réactions indésirables sont aussi deux fois plus fréquentes que pour les hommes.
Et prédictive des effets secondaires
Sur les 59 médicaments avec des effets indésirables observables cliniquement et liés au sexe, les valeurs de pharmacocinétique avec un biais de genre sont prédictives des effets secondaires spécifiques au sexe dans 88 % des cas, soit pour 52 médicaments.
Les auteurs soulignent une observation intéressante : si, pour 96 % des femmes, les valeurs de pharmacocinétique liées au sexe féminin permettent de prédire les effets secondaires spécifiques au sexe, ce n’est pas le cas pour les hommes (seuls 29 %). En d’autres termes, chez les hommes, les valeurs de pharmacocinétique spécifiques au sexe masculin sont moins prédictives des effets secondaires spécifiques aux hommes.
Une liste de médicaments
Les auteurs ont établi une liste de médicaments pour lesquels les valeurs pharmacocinétiques sont liées aux effets secondaires chez les femmes[2]. Dans cette liste, on trouve des analgésiques, des antidépresseurs, des somnifères, des neuroleptiques et des médicaments anti-convulsion.
Ils terminent leur article par une série de sept recommandations qui viseraient à avertir le grand public de l’existence d’effets secondaires liés au genre et à documenter clairement ces effets au moment de la constitution des dossiers réglementaires. Les auteurs préconisent aussi aux investigateurs d’essais thérapeutiques de se soucier de cette problématique dès les premières étapes du développement d’une nouvelle molécule.