Source : LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN
Tirer les enseignements de la crise et pérenniser ses effets positifs. Comme pour exorciser le mal-être ambiant, c’est l’exercice auquel se plient les acteurs de la santé depuis quelques semaines. Le forum du bon usage des médicaments, qui s’est tenu le 26 novembre, n’y a pas échappé, en particulier lors de la table ronde « Garantir l’accès à un traitement en situation de pénurie ».
Premier constat d’Éric Baseilhac, vice-président de l’Association bon usage du médicament (ABUM) et directeur accès, économie et export au LEEM : malgré les fortes craintes, « nous avons évité la pénurie grâce à la mobilisation de tous les acteurs, via des actions préventives et palliatives ».
Mais la crise a aussi révélé la situation de dépendance pharmaceutique de la France à des pays lointains. Sur le terrain, l’anxiété face aux tensions d’approvisionnement a atteint son apogée avec les produits utilisés en réanimation. Une situation finalement sous contrôle grâce « aux échanges productifs entre les professionnels de santé, à travers les sociétés savantes, et les autorités de tutelle », à la mise en place d’un « contingentement intelligent », à la recherche de solutions alternatives, et à l’adaptation à la situation de crise, énumère Pierre Albaladejo, vice-président de la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) Mais, prévient-il, il faut différencier ce qui est acceptable en temps de crise mais ne doit pas se poursuivre au-delà et ce qui peut être pérennisé ou amélioré.
Ce que confirme Pascal Paubel, pharmacien hospitalier et vice-président de l’Agence générale des équipements et produits de santé (AGEPS) de l’AP-HP. « Il reste dans nos pharmacies des médicaments étiquetés en chinois qui sont difficilement utilisables aujourd’hui. » Pour lui, la clé pour garantir l’accès aux traitements pendant la première vague repose sur la capacité d’adaptation des équipes hospitalières, des industriels et des autorités sanitaires. Il s’agit maintenant de répondre aux ruptures et tensions d’approvisionnement, « révélées par la crise mais qui existent depuis des années, en travaillant à la relocalisation de médicaments ».
Agilité sanitaire
Plutôt que de parler de souveraineté sanitaire, Jacques Zagury, directeur exécutif santé publique, des politiques et de la communication de MSD, préfère évoquer « l’agilité sanitaire » et la recherche d’une indépendance non pas nationale mais européenne. « Cette indépendance ne peut concerner tous les médicaments, il faut définir ceux sur lesquels nous devons porter nos efforts. » Une définition réclamée de longue date par les industriels qui refusent de s’appuyer sur la liste des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), trop vaste (40 % de la pharmacopée), et proposent d’établir une liste de médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique (MISS), c’est-à-dire ceux pour lesquels une pénurie entraîne un risque vital et immédiat pour des patients souffrant d’une pathologie grave et sans alternative thérapeutique (5 à 10 % de la pharmacopée). C’est l’un des points sur lesquels achoppent les discussions sur l’obligation de stockage de 4 mois, dans l’espace européen, des MITM. Mais pas seulement. « Nous avons notifié un texte à l’Europe sur la sécurisation de stocks de MITM qui connaît quelques difficultés, car entrent en contradiction la sécurité de l’approvisionnement et la liberté d’entreprise », remarque François Bruneaux, adjoint à la sous-direction de la politique des produits de santé et de la qualité des pratiques et des soins à la Direction générale de la santé (DGS).
Recherche et innovation
Outre la définition des médicaments à prioriser, Jacques Zagury appelle à l’aboutissement d’une cartographie des sources d’approvisionnement, à un conditionnement européen unique, à l’arrêt des notices pour les médicaments hospitaliers et au renforcement du dialogue entre toutes les parties prenantes face aux ruptures de stock. Ces propositions rencontrent l’assentiment de la cancérologue et députée européenne Véronique Trillet Lenoir (LREM), qui réfléchit aux moyens de l’Europe pour « attirer les industriels qui ont quitté le sol européen ». Elle imagine notamment la possibilité d’aides d’État autorisées par l’Union européenne, la promotion des incitations de la Commission européenne à travers les PIIEC ou projets importants d’intérêt européen commun et le déploiement d’un écosystème favorable à la recherche et à l’innovation. Car en matière de relocalisation, tout reste à faire.
Mélanie Mazière