Source : UNIVADIS
L’avènement et la démocratisation d’internet ont eu une influence certaine sur les relations médecin/malade. L’accès plus facile à l’information conduit en effet les patients à se montrer plus « actifs » dans la prise en charge de leur pathologie, du diagnostic à son traitement. S’il présente des avantages, notamment en termes d’adhésion aux stratégies mises en place, il est également source de controverses potentielles, en particulier quand les informations ne sont pas vérifiées ou quand elles servent de base à des revendications non justifiées et trop vindicatives. Dans ce contexte, les réseaux sociaux constituent une strate supplémentaire et quelque peu différente : ici les avis des autres internautes se révèlent tout aussi importants qu’une documentation recherchée sur des sites non interactifs. L’influence des témoignages et du ressenti des « pairs », de ceux souffrant des mêmes pathologies, semble dépasser de plus en plus souvent l’expertise du médecin.
Quand les réseaux sociaux affolent la pharmacovigilance
Si les réseaux sociaux ne datent pas exactement d’hier, leur capacité à décupler un signal de pharmacovigilance a pu être observée de manière frappante cette année en France. Deux exemples marquants ont été largement évoqués dans ces colonnes : les affaires Lévothyrox et Mirena. Dans les deux cas, ce sont les discussions de patients sur les réseaux sociaux et plus particulièrement sur Facebook qui paraissent systématiquement avoir précédé l’explosion de signalements d’effets indésirables auprès des institutions responsables. Ainsi, concernant le stérilet Mirena, c’est la médiatisation du groupe de discussion ouvert sur Facebook affirmant réunir les « victimes du stérilet hormonal» qui a précédé l’augmentation spectaculaire du nombre de déclarations : seules 510 avaient été transmises en 20 ans, quand 2 714 ont été enregistrées entre mai 2017 et le 4 août, soit concomitamment au succès du fil de discussion, ce qui suggère très fortement un effet de contagion. Dans l’affaire Lévothyrox, on retrouve une temporalité semblable.
Une influence majoritairement considérée comme néfaste Les hausses de signalements que l’on constate à la faveur des mouvements enregistrés sur les réseaux sociaux sont telles qu’elles ne peuvent pas entièrement être mises sur le compte de la fin du tabou ou de la révélation de mots tus par méconnaissance des mécanismes de déclaration. Il est très probable que l’influence des réseaux sociaux créée une sur-déclaration. Elle tend à transformer des témoignages individuels et subjectifs en données objectives, auxquelles certains estiment devoir adhérer, par crainte d’être exclus (du groupe des « victimes reconnues »). Ce mécanisme vicié inquiète profondément les professionnels de santé. Aussi, bien que les réseaux sociaux puissent également être le terrain de mouvements de solidarité et d’entraides entre malades, bien qu’ils puissent être des vecteurs incontournables pour la transmission de données essentielles pour les patients, les professionnels de santé sont 51 % à juger négatif leur rôle pour l’information médicale, selon un sondage réalisé sur le site JIM.fr du 12 décembre au 22 janvier. Seuls 6 % estiment que ces réseaux ont une place positive et indispensable, tandis que 39 % considèrent qu’ils sont pour l’information en santé nécessaires mais ambigus. Enfin, 3 % des répondeurs n’ont pas souhaiter se prononcer.
Une caisse de résonance de la méfiance La forte participation de nos lecteurs (plus de 500 réponses) et leur avis tranché suggèrent une constatation quasiment quotidienne des méfaits des réseaux sociaux en matière d’information des patients et probablement également pour ce qui est de la qualité de la relation médecin/malade. Beaucoup de professionnels de santé évoquent en effet régulièrement comment désormais une part non négligeable de leur consultation doit être consacrée au décryptage des données lues et échangées sur Facebook.
Dans une interview accordée au Monde en septembre dernier, la sociologue Virginie Tournay, directrice de recherche au CNRS et rattachée au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) avait tenté d’analyser le phénomène, à travers l’exemple du Lévothyrox. « Dans l’affaire du Lévothyrox, les réseaux sociaux modifient quelque chose de fondamental dans la construction de la confiance des publics » remarquait-elle avant d’ajouter : « Les réseaux sociaux constituent une caisse de résonance de la méfiance ».
Attraction et défiance La situation, pourtant, est paradoxale (ce qui ne transparaît pas totalement dans l’inquiétude marquée des professionnels de santé). En effet, les enquêtes montrent (heureusement !) qu’en dépit de la force du web et de Facebook (et autres), les praticiens restent les premières sources d’information des patients en ce qui concerne la prise en charge de leur maladie. C’était notamment la conclusion principale de la vaste étude Accenture menée entre décembre 2014 et janvier 2015 auprès de 10 000 patients dans cinq pays. Par ailleurs, si les réseaux sociaux sont omniprésents, ils ne jouissent pas d’un haut niveau de confiance. Ainsi, l’enquête annuelle réalisée par l’institut Kantar pour le quotidien La Croix concernant la crédibilité accordée aux médias avait révélé en 2016 que si les réseaux sociaux sont une source d’information qui progresse en vue d’approfondir un sujet, 73 % des personnes interrogées déclarent ne pas avoir confiance dans les données qui y circulent.
De plus en plus d’amis qui ne nous veulent pas que du bien
Néanmoins, les réseaux sociaux contribuent à amplifier un phénomène ancestral : la référence au proche, à l’ami. Ainsi, on constate sur le web l’importance du partage. Selon une enquête réalisée par Médiamétrie en 2016, 84 % des internautes indiquent préférer lire des articles partagés par leurs « amis » et 49 % privilégient les contenus vidéos postés par leurs proches ; alors que 47 % plébiscitent d’une manière générale la lecture d’articles et 32 % le visionnage de vidéos. Ces chiffres marquent combien le sentiment d’une proximité d’intérêts est important ; sentiment probablement exacerbé en cas de maladie commune. Si toujours les professionnels de santé ont été confrontés à l’influence exercée sur leurs malades par l’opinion de leurs proches, le phénomène est aujourd’hui bien plus difficile à combattre en raison d’une explosion du nombre d' »amis » et de « référents » grâce aux réseaux sociaux.