Source : KOMITID
L’épidémie de covid-19 a-t-elle causé des dégâts dans la prévention du VIH chez les gays ? Et cela peut-il faire repartir à la hausse les contaminations ? Komitid a enquêté auprès des acteurs de la prévention.
L’épidémie de covid-19 a-t-elle causé des dégâts dans la prévention du VIH chez les gays ? Et cela peut-il faire repartir à la hausse les contaminations ? Komitid a enquêté auprès des acteurs de la prévention.
C’est ce que peut faire craindre une étude présentée lors du Congrès de la Société Française de Lutte contre le sida (SFLS), il y a quelques semaines. L’étude d’Epi-phrare, présentée par Rosemary Dray-Spira s’est en effet penché sur les chiffres de dépistage du VIH et de prescription de la Prep lors du confinement et dans les semaines qui ont suivi.
Pour Rosemary Dray-Spira, citée par VIH.org, « l’épidémie de Covid-19 a profondément et durablement déstabilisé l’utilisation de la PrEP et le recours aux tests VIH en laboratoire ».
Les chiffres sont éloquents. Selon VIH.org, « le nombre de délivrances des médicaments utilisés en prophylaxie pré-exposition a chuté de 36% pendant la période de confinement par rapport aux estimations basées sur les chiffres de la même période en 2018 et 2019. On est ainsi passé de près de 5500 délivrances sur deux semaines avant le confinement, à 3000 durant. »
Tout cela n’est pas surprenant pour le Dr Michel Ohayon, du Centre de santé sexuelle parisien le 190, que Komitid a interviewé à la veille du second confinement. « Hier j’ai eu une discussion avec un collègue hospitalier, qui me dit qu’il a l’impression que ses patients n’ont jamais autant baisé. Ici, on a à peu près tous entendu unanimement : “ on n’a plus rien fait ”», explique le médecin, avec son franc parler habituel.
« J’ai vu des gens qui n’ont eu quasiment aucune relation sexuelle depuis le début de la crise du Covid »
« Il y a des partouzes qui ont été organisées, mais plutôt des gens qui avaient l’habitude de touzer ensemble. Globalement, j’ai vu des gens qui n’ont eu quasiment aucune relation sexuelle depuis le début de la crise du covid, d’autres qui ont quasiment divisé leur nombre de partenaires par dix, qui ont arrêté le sexe en groupe. Il y a quand même eu un effet de la fermeture des lieux de sexe [saunas et sex-clubs], qui n’est pas négligeable. »
Et ce militant de longue date d’affirmer : « À force de penser que les gays sont tous des irresponsables, on oublie un petit peu que beaucoup de gens n’avaient pas envie d’attraper le covid. »
Directives sanitaires
Un autre facteur pourrait aussi expliquer cette baisse de prescription de la PrEP : les difficultés de prise en charge dues d’une part à la surcharge du système hospitalier par les patients covid et d’autre part par les directives sanitaires imposées aux centres de santé, qui pouvaient rendre plus difficiles les démarches habituelles.
« Il est fort possible que la réduction de l’accès aux consultations ait pu poser problème à certaines personnes », concède Michel Ohayon.
Les centres ont en effet dû s’adapter aux mesures de distanciation, dans des lieux qui ne sont pas toujours fait pour.
« Pendant le confinement c’était quasiment 100 % de téléconsultation, explique Michel Ohayon. Comme beaucoup de cabinets médicaux, nous avons la contrainte de salles d’attente qui ne sont pas très vastes. On ne peut pas mettre 15 personnes dans une salle d’attente dans les conditions de distanciation actuelle. On n’a pas envie que nos patients viennent se contaminer chez nous. »
À Marseille, l’organisation aussi a été chamboulée par l’épidémie. « Nous avons mis en place des téléconsultations et permanences sur rendez-vous, explique à Komitid Maxime Supion, du Spot Longchamp, le Centre de santé sexuelle de Aides à Marseille. « C’est contraignant, car pas adapté à tout le monde. Pour l’accompagnement communautaire qui est une de nos spécificités, les entretiens étaient aussi réalisés avant le rendez-vous. Et pour éviter les perdus de vue, on rappelait les personnes pour savoir où elles en étaient de leurs rendez-vous pour leur prise de PrEP. »
Plus de 27 000 PrEP en moins
Motif d’inquiétude, la baisse des prescriptions de PrEP s’est poursuivie au delà du confinement, avec 19 % de délivrances en moins par rapport à l’attendu, soit 27435 délivrances de PrEP.
À Marseille, le Spot Longchamps a observé le phénomène inverse. « C’est la force de notre modèle. Depuis le déconfinement, on a eu entre cinq et huit initiations de PrEP par semaine, alors qu’auparavant on en avait deux ou trois », indique Maxime Supion, infirmier coordinateur.
Pour les mêmes raisons que la PrEP, le dépistage a aussi souffert du Covid, note l’enquête de la SFLS, avec une baisse du recours au dépistage pendant le confinement, qui s’est poursuivie ensuite avec des chiffres 15 % inférieurs à ce qui était attendu.
Comme pour la PrEP, le Spot Longchamps n’a pas tout à fait le même constat. « La limite de la prise de rendez-vous imposée, c’est vrai que ça ne laisse pas de place au dépistage spontané. Cela fait baisser le rendu. Après on a eu une forte demande des HSH à la fin du confinement. Nous sommes débordés. »
Faut-il craindre dès lors une hausse des contaminations au VIH pour 2020 ? Michel Ohayon n’y croit pas trop : « Je pense qu’il y aura des victimes collatérales, mais je pense qu’il y en aura très peu. »
« Les déclarations d’IST, qui sont un bon indicateur, elles ne sont pas faites. Dès qu’il y a une crise sanitaire. Toute la paperasse que tu dois faire pour ça, ça tombe à l’eau », note le médecin parisien.
« On n’a pas remarqué d’explosion d’IST. Quand on a analysé la prévalence après coup, il n’y avait pas de chiffre disproportionné », note Maxime Supion, à Marseille.
Deuxième confinement
Fort de leur expérience du premier confinement les centres de santé sexuelles sont maintenant prêt pour le deuxième :
« On va rester ouvert, on va maintenir les rendez-vous, forts de notre expérience du confinement, on a la chance en plus d’avoir un lieu avec un extérieur et une grande salle d’accueil, » explique Maxime Supion.
« Les entretiens communautaires seront réalisés par téléphone avant, la téléconsultation va se généraliser à nouveau. On envoie les résultats par email, en sécurisé, s’il y a quelque chose de positif, on téléphone avant. Les personnes ont toujours la possibilité de rencontrer un médecin pour leurs résultats. »
On devrait bientôt connaître les chiffres des découvertes de séropositivité pour l’année 2019, traditionnellement annoncés autour du 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le VIH/sida. Ce sera l’occasion de voir si la baisse de 7 % des contaminations observée entre 2017 et 2018 , qui avait été attribuée entre autres au succès de la Prep, va se poursuivre. Il faudra en revanche attendre encore une année supplémentaire pour voir les effets du Covid sur l’épidémie de VIH.