Source : Libération.fr
Publiée dans le revue «Plos One», une nouvelle étude examine les conséquences du dérèglement climatique sur l’épidémie du VIH, en particulier en Afrique australe. Son auteure, l’épidémiologiste américaine Andrea Low, a répondu aux questions de «Libération».
Les conséquences sanitaires du changement climatique sont aujourd’hui de mieux en mieux documentées. Multiplication des crises alimentaires, recrudescence de certaines épidémies et des maladies cardio-vasculaires, stress thermiques engendrés par les vagues de chaleur : le dérèglement du climat est même considéré par les scientifiques comme «la plus grande menace mondiale pour la santé publique au XXIe siècle».
Dans les régions particulièrement touchées par l’instabilité climatique – en Afrique par exemple – et où sévissent les grandes pandémies, comme le paludisme ou le VIH, ces risques sont pris très au sérieux. En effet, étude après étude, des scientifiques ont constaté une augmentation du nombre de contaminations au VIH lors d’événements extrêmes liés à l’instabilité climatique. De nouveaux travaux publiés dans la revue Plos One mi-janvier vont dans ce sens. Leur auteure, l’épidémiologiste américaine Andrea Low, y met en évidence la plus forte prévalence du virus pour les jeunes femmes lors des vagues de sécheresse en Afrique australe et appelle à prendre en compte ces résultats dans les politiques d’adaptation au changement climatique pour contenir l’épidémie, notamment au sein des populations les plus vulnérables des communautés rurales.
Quels sont, selon vos travaux, les effets du changement du climat sur l’épidémie du VIH ?
De nombreux travaux montrent que le dérèglement du climat peut conduire à des changements de comportements augmentant les risques d’infection au VIH. Marshall Burke [professeur adjoint au département de la science du système Terre à Stanford, ndlr] attribue par exemple 11 % des contaminations au VIH en Afrique subsaharienne à des épisodes pluviométriques intenses ou des sécheresses sévères dans les régions rurales où sévit l’épidémie. Ces nouvelles infections peuvent être la conséquence de l’augmentation du recours au sexe tarifé dans les populations déplacées mais aussi au fait de renoncer à une couverture santé pour se nourrir. Je suis tombée sur cette étude au moment même où je voyageais pour un projet d’enquête sur l’épidémie («Population-based HIV impact assessment», en anglais) sur les populations d’Afrique australe. C’était en 2015 et 2016 : la sécheresse qui frappait cette région était terrible. Je me suis donc demandé si on pouvait en évaluer les conséquences sur les comportements, la prévalence du VIH dans la population et la mise sous traitement, alors même que dans ces régions de nombreuses personnes vivant avec le virus prennent des antirétroviraux et que le nombre de nouvelles contaminations est à la baisse.
Quelle a été votre méthode d’enquête ?
Pour cette étude, j’ai croisé les données géospatiales de deux années de sécheresse (2014-2016) au Lesotho avec les résultats de l’enquête nationale sur l’épidémie du VIH réalisée entre 2016 et 2017, qui prend notamment en compte les infections récentes et l’indétectabilité de la charge virale. Je voulais notamment voir si l’appauvrissement engendré par les faibles précipitations pouvait être associé à une prise de risque plus élevée et une plus grande vulnérabilité, en particulier chez les jeunes femmes des communautés rurales.
Avions-nous sous-estimé jusque-là les conséquences de la crise climatique sur les grandes pandémies comme celle du VIH ?
Mes résultats ne permettent pas d’affirmer que la sécheresse est la cause directe des faits observés. Cela dit, beaucoup d’études soutiennent que le changement climatique va entraîner des flux migratoires importants. Ces mouvements de population pourraient avoir des conséquences sérieuses sur la dynamique de l’épidémie, si des pans entiers de populations n’ont soudainement plus accès aux soins et aux traitements de la maladie et si les contaminations augmentent – ce que d’autres études ont montré. Ce sera déterminant pour la maîtrise de l’épidémie en Afrique australe où la prévalence du VIH est assez élevée.
Quelle réponse peut être apportée ?
Dans l’idéal, les gouvernements et organisations internationales pourraient s’assurer que ces populations ont bien accès au système de santé, mais aussi aux outils de prévention comme la Prep [un traitement préventif du VIH]. et aux médicaments comme les antirétroviraux. Dans un monde parfait, cela pourrait se traduire par une sorte de système régional d’accès universel aux soins financé par différents pays concernés. On doit aussi pouvoir innover pour mieux atteindre les migrants en matière de prévention et dépistage.