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Le dépistage VIH prénatal auprès des pères : L’expérience de Montreuil

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Source : vih.org

La médecin Pauline Penot coordonne le CeGIDD du centre hospitalier intercommunal André Grégoire à Montreuil en Seine-Saint Denis. Avec son équipe, elle a mis en place une intervention de dépistage prénatal du VIH , mais auprès des pères d’enfants à naître. Retour sur une expérience de faisabilité.

Alors que plus de 99% des femmes en France sont dépistées du VIH à chaque grossesse, l’arrivée d’un enfant est actuellement une occasion manquée de tester les futurs pères pour le VIH.

L’arrivée d’un enfant a permis à plus d’un quart des femmes mais à seulement à 4 % des hommes nés en Afrique subsahariennes suivis pour un VIH et enquêtés dans l’étude PARCOURS de découvrir leur séropositivité (Limousi et al. 2017). Par ailleurs, 42% des hommes et 34% des femmes nés en Afrique subsaharienne commencent leur suivi VIH en dessous du seuil critique de 200 CD4/mm3 ou avec une complication classant sida , la différence entre les deux pourcentages étant largement imputable au dépistage systématique pendant les grossesses (D’Almeida et al. 2016).

La grossesse de leur partenaire est pourtant une occasion dédramatisée et non stigmatisante de proposer un dépistage du VIH aux hommes. Le suivi prénatal met les hommes en contact avec le système de soins, dont ils sont habituellement éloignés lorsqu’ils sont bien portants. Rendre cette proposition systématique, en l’axant sur la responsabilité parentale partagée, permettrait de toucher ceux qui ne recourent pas au dépistage volontaire, soit parce qu’ils ne se considèrent pas comme à risque vis-à-vis du VIH, soit parce qu’une démarche de questionnement du statut sérologique reviendrait à admettre ou à faire soupçonner un comportement sexuel déviant.

L’expérience de Montreuil

A Montreuil, nous nous efforçons de proposer systématiquement aux pères d’enfants à naître au sein de notre centre hospitalier un dépistage du VIH (et des hépatites virales lorsqu’ils sont nés à l’étranger et recourent à une sérologie plutôt qu’à un TROD). L’offre est formulée en consultation prénatale, en s’adressant au futur père chaque fois qu’il est présent, à sa partenaire lorsqu’il est absent. L’information orale délivrée par le médecin ou la sage-femme est complétée par une plaquette, sur laquelle figurent les modalités de dépistage et qui sert de coupe-file pour le CeGIDD .

L’adossement du projet au centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic du VIH et des infections sexuellement transmissibles (CeGIDD, ou centre de santé sexuelle) assure une gratuité complète des bilans, y compris pour les hommes sans aucune couverture sociale, et permet de proposer à ceux qui le souhaitent une consultation plus large de santé sexuelle. Le CeGIDD ouvre un espace dédié, séparé de la maternité, où les hommes peuvent mettre en jeu leur statut sérologique loin des yeux de leur partenaire.

Parallèlement, une pièce dédiée projet a été installée mi-2018 au sein des consultations prénatales, où le personnel de la maternité, du CeGIDD, du COREVIH et des partenaires d’associations afro-caribéennes de lutte contre le VIH (Ikambéré et Bamesso et ses amis) se relaient pour assurer une permanence sur toutes les plages horaires hebdomadaires de consultations prénatales. Les soignants et les partenaires associatifs mobilisés font des maraudes dans les différentes salles d’attente des consultations prénatales et font le tour des box de consultation pour mobiliser quotidiennement les médecin et sages-femmes consultants.

Faciliter le recours au dépistage en multipliant les portes d’entrée

Un dépistage large implique de multiplier les portes d’entrée. Trois modalités de dépistage, toutes gratuites, sont prévues; le CeGIDD est ouvert 5 demi-journées par semaine, sans rendez-vous. Il est situé dans un bâtiment distinct de la maternité. Les futurs pères y sont vus rapidement, soit par le médecin, soit par l’infirmière. Les recommandations de réalisation de sérologies virales B et C, syphilis, de PCR gonocoque et chlamydia sont les mêmes que pour les autres consultants du CeGIDD. Une mise à jour des vaccinations est systématiquement proposée et un entretien avec l’assistante sociale est organisé chaque fois que les droits sociaux ne sont pas ouverts. Les résultats sont remis en mains propres au cours d’une consultation, à partir du deuxième jour ouvré après le dépistage (premier jour ouvré si simple sérologie VIH).

Le circuit d’enregistrement est distinct de celui des autres consultants : les futurs pères ne font pas la queue. Les tests rapides d’orientation diagnostique (TROD VIH) sont proposés aux pères qui souhaitent un résultat immédiat, dix demi-journées par semaine, dans la pièce dédiée au projet située au sein de consultations prénatales. Enfin, des sérologies et un dépistage du portage génital de chlamydia et gonocoque lorsque le futur père a moins de trente ans peuvent être pratiqués dans cette même pièce par une infirmière ou une sage-femme, sept demi-journées par semaine, avec un rendu des résultats 48h plus tard au CeGIDD.

Ce projet est soutenu par l’ANRS et le CRIPS et adossé, pour son versant recherche, à l’unité l’unité Santé, Vulnérabilités et rapports de genre du Centre Population et Développement (CEPED).

La consultation des futurs pères : Un dispositif méconnu

Le dépistage des pères, bien qu’inscrit dans les textes, n’est pas effectif alors qu’il est nécessaire. La Haute autorité de santé (HAS) recommande un dépistage VIH systématique des hommes pendant la grossesse de leur partenaire (Dépistage de L’infection par Le VIH En France. Stratégies et Dispositifs de Dépistage, 2009).

L’assurance maladie rembourse une consultation et un bilan biologique aux hommes qui s’apprêtent à devenir pères: ces examens sont programmés au quatrième mois de grossesse. Cependant, les professionnels de santé connaissent mal ces dispositifs, et ils sont difficiles à mettre en place, les hommes étant moins captifs des soins prénataux que leurs conjointes enceintes.

Nous avons découvert ces recommandations lors de notre plaidoyer auprès du conseil de l’ordre pour l’implication des sages-femmes dans l’extension du dépistage aux futurs pères. Des contradictions sont alors apparues: les textes officiels recommandent le dépistage prénatal des hommes, mais les sages-femmes, qui suivent la plupart des grossesses physiologiques, n’ont pas l’autorisation du conseil national de l’ordre de prélever les conjoints des femmes enceintes, alors qu’elles sont habilitées à les vacciner contre la coqueluche.

Les freins au dépistage des futurs pères

Les freins à la mise en place et à la généralisation de l’offre de dépistage étendue aux pères sont multiples.

L’espace de la maternité, comme son nom l’indique, est un espace féminin. Les hommes y sont de passage, et quasi invisibles. Ce fut la première réponse des sages-femmes et des gynécologues, lorsque nous les avons réunis pour élaborer le projet: «Nous ne voyons jamais les hommes». Pourtant, une rapide enquête auprès des agents d’accueil a montré que 26% des femmes enregistrées sur trois jours en consultation prénatale étaient accompagnées de leur conjoint. Une obstétricienne récemment croisée dans un couloir m’a dit qu’elle voyait davantage des futurs pères depuis qu’elle assistait aux présentations et réunions autour du projet: les hommes sont là, mais ils ne sont pas l’objet des soins ni des enjeux médicaux, ce n’est pas à eux qu’on s’adresse, on ne les voit pas.

Les maraudes essuient des taux de refus beaucoup plus élevés que ceux habituellement recensés lors des TROD dans l’espace public: 50 à 75% des pères déclinent l’offre. Plus étonnant: leur femme, souvent, décline à leur place.

Lorsque les soignants de la maternité exposent eux-mêmes l’importance de la démarche, ce taux diminue de façon significative. Une injonction au dépistage du conjoint formulée par la sage-femme ou le médecin en charge du suivi prénatal fait autorité: la preuve en est donnée par la parfaite acceptabilité du dépistage VIH par les femmes enceintes, mais il est vrai que les femmes enceintes ne sont pas en position de refuser grand-chose, et que les prélèvements réalisés leur sont rarement expliqués dans le détail.

La nécessité du procédé

A ce stade, les maraudes, même frustrantes, restent cependant nécessaires: sur les 225 premiers futurs pères dépistés dans le cadre du projet, moins de 6% avait eu l’information par le médecin ou la sage-femme en charge du suivi prénatal. Les équipes sont, comme partout à l’hôpital public, débordées, déplacées d’un secteur à l’autre au gré des pénuries et des absences, de moins en moins nombreuses pour réaliser des activités de plus en plus étendues. Le tout dans le contexte réglementaire pesant du suivi prénatal: depuis l’arrêt Perruche, les soignants vérifient deux fois la sérologie rubéole à chaque grossesse, parce qu’ils ont peur des conséquences judiciaire d’une erreur de laboratoire sur un seul prélèvement.

La santé des hommes n’appartient pas au périmètre classique des gynécologues ni des sages-femmes: il faut argumenter, il faut expliquer, il faut convaincre alors que le temps de consultation est minuté et les interruptions (par un téléphone, un bip qui sonne, une urgence ailleurs) multiples.

La seule façon de changer les habitudes des uns et des autres est d’intégrer la sérologie VIH du conjoint, chaque fois qu’il existe, dans la «check-list» du suivi prénatal, comme on intègre la vérification de la porte opposée après l’armement des toboggans à la check-list d’un avion avant son décollage.

Premiers résultats et perspectives

Sur les 225 premiers hommes touchés par le projet (âge médian 35 ans, IQR 30-40 ans), près de la moitié n’avait jamais fait de test VIH. Près d’un tiers était originaire d’Afrique subsaharienne. Ils vivaient presque tous en Seine-Saint Denis, département dans lequel la prévalence de l’épidémie cachée chez les hommes nés en Afrique subsaharienne a été modélisée par Virginie Supervie à 1%. Aucun diagnostic VIH n’a pour l’instant été confirmé parmi les premiers participants.

Dans notre contexte territorial, l’analyse des données préliminaires de dépistage prénatal des hommes a fait apparaître la nécessité d’une consultation élargie, comprenant systématiquement l’accès aux droits, l’intégration dans un circuit de soins, l’amélioration de la couverture vaccinale et la réponse aux questions diverses autour de la parentalité.

Par ailleurs, la première phase du projet a permis la découverte d’au moins cinq hépatites B chroniques, dont l’une à un stade de fibrose avancée: le dépistage de l’hépatite B doit donc être systématiquement associé à celui du VIH pour les futurs pères originaires de zones d’endémie, et le référencement en maladies infectieuses ou hépatologie soigneusement organisé.

L’enjeu principal

A terme, l’objectif général est la réduction du délai entre infection et diagnostic du VIH chez les hommes hétéro ou bisexuels, qui implique la généralisation de l’offre de dépistage orientée vers le couple. Nous espérons que les résultats obtenus à Montreuil permettront de convaincre les autres maternités françaises, et plus largement les soignants de premier recours qui rencontrent les couples avant et pendant les grossesses.

L’appropriation du dépistage prénatal par les hommes ne peut se faire que dans une approche globale, fortement soutenue par les gynécologues, sages-femmes et médecins généralistes. Nous en faisons le constat avec la vaccination: les réticences résistent peu à un discours rationnel et convaincu du médecin habituel du patient. Le même phénomène devrait s’observer en termes de systématisation du dépistage du VIH: si les soignants sont convaincus et systématiques dans leur approche, les futurs pères seront dépistés. Cette stratégie participera à lutter contre les inégalités de genre. Enfin,  l’accès au dépistage sera amélioré par effet de ruissellement: les pères informés et dépistés seront des relais, vecteurs de messages de prévention au sein des communautés dont ils sont issus.

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