source : Libération
Des données publiées ce mardi confirment un recul de l’épidémie et l’efficacité de la Prep chez les gays. Mais le dépistage dans la population globale reste encore très insuffisant.
Et voilà que cela marche. Et même très bien. A l’approche du 1er décembre, journée mondial de lutte contre le sida, l’agence Santé publique France publie une série de données sur les chiffres du sida en France, nationaux comme régionaux, et sur le dépistage, un volet devenu décisif si l’on veut éradiquer le virus.
Commençons donc par les bonnes nouvelles. Comme la situation à Nice et dans sa région, où les nouvelles contaminations chutent fortement avec le développement des nouveaux outils de prévention à l’image de la Prep (1) ou de la mise sous traitement le plus tôt possible du patient séropositif. «Entre 2015 et 2018, le nombre de nouvelles découvertes de séropositivité au VIH a chuté de 40 % dans les Alpes-Maritimes, explique le Dr Pascal Pugliese, qui préside le Corevih (coordination régionale de lutte contre le VIH) de Paca-Est. Cette tendance, de par son ampleur, est spectaculaire mais on pourrait dire attendue. Depuis 2016, nous savons comment prévenir efficacement les infections par le VIH.» Il a raison. «On est comme un petit San Francisco», poursuit avec le sourire le Dr Eric Cua, infectiologue au CHU de Nice, faisant référence à la chute impressionnante des contaminations dans la ville californienne en raison d’une politique extrêmement active de dépistage, de mise sous traitement et de diffusion de la Prep.
Il est vrai que la comparaison est tentante. A Nice et dans sa région, une petite équipe de professionnels de santé s’est montrée particulièrement active. «En même temps, restons modestes, car il y a un contexte, tempère Eric Cua. Ici, nous avons une épidémie hyperconcentrée. Les HSH [hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, ndlr] représentent 69 % des nouvelles contaminations. De plus, 90 % de la population vit en bordure de mer. Enfin, et c’est vrai, il y a un engagement de tous les acteurs, et nous avons été assez précurseurs sur la diffusion de la Prep.»
Diminution
Les résultats sont là, impressionnants, et ils suscitent un véritable espoir. Au niveau de la France entière, c’est la même tendance, même si la baisse du nombre de nouvelles contaminations est plus faible. En 2018, si près de 6 millions de tests de sérologie VIH ont été réalisés, – nombre en augmentation régulière depuis 2013 –, le taux de positivité a diminué de 13 % en cinq ans ; près de 6 200 personnes ont ainsi découvert leur séropositivité, soit encore une diminution de 7 % par rapport à 2017.
Ce n’est pas rien. Pour autant, les données sont variables. «On assiste à une baisse de 15 % en Ile-de-France, mais parallèlement à une stabilité en Seine-Saint-Denis. Avec, à l’inverse, une hausse de près de 70 % de contaminations chez les gays nés à l’étranger», détaille le professeur Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l’hôpital Tenon, à Paris (XXe arrondissement). «Il y a une augmentation aussi en Seine-et-Marne de 36 % de nouveaux cas. Pourquoi ? Sans parler de la région du Centre – Val-de-Loire qui, entre 2010 et 2018, fait face à un doublement de cas. A quoi cela tient ? Est-ce parce que l’on dépiste mieux Ou bien est-ce dû à d’autres facteurs ?» interroge le professeur Pialoux.
De fait, c’est le paradoxe de la situation française. D’un côté des progrès indéniables mais de l’autre un manque de visibilité sur ce qui se passe réellement. Comme s’il manquait un pilote dans l’avion pour porter une cohérence d’ensemble de toute la politique de prévention. Cela se ressent encore plus quand on s’attarde sur les chiffres du dépistage. Il y a donc près de 6 millions de tests, ce qui est beaucoup, mais avec des manques évidents. Santé publique France nous apprend que 42 % des personnes âgées de 18 à 75 ans en France n’ont jamais réalisé de test anti-VIH. Un taux énorme qui pointe l’échec d’un dépistage généralisé, comme cela avait été pourtant recommandé en… 2010. L’idée étant alors que tout le monde, au moins une fois dans sa vie, soit testé, pour mettre au jour l’étendue de l’épidémie cachée. Cela n’a pas été fait. «Il faut banaliser le test, et cela n’est toujours pas le cas», se plaint fortement Gilles Pialoux.
«Gâchis»
D’autres éléments restent inquiétants. Un nombre élevé de contaminations sont découvertes tardivement. Une étude pointe ainsi «que près du tiers des HSH et la moitié des hétérosexuels diagnostiqués pour une infection au VIH en 2018 n’avaient jamais été testés auparavant». Ils sont passés totalement à travers le dépistage. Quant aux HSH à risque, les recommandations sont claires : faire un test tous les trois mois. Dans une étude dite Eras, sur 33 660 HSH séronégatifs, seulement 20 % d’entre eux font ce test trimestriel. Faut-il rappeler qu’un séropositif traité n’est plus contaminant ? D’où l’importance de connaître au plus tôt son statut et d’être traité aussitôt.
Notre dispositif de dépistage est imposant, mais il connaît des trous béants. «C’est du gâchis», insiste Gille Pialoux. «Des villes comme Paris, Londres, San Francisco et Sydney apportent la preuve que la prévention combinée fonctionne et pourrait éliminer le VIH», conclut, dans un éditorial, Valérie Delpech, de la Public Health England. Certes… Mais pour cela, il faudrait au minimum changer de braquet, comme le montre l’exemple de Nice.