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Chemsex à Bruxelles : Les premières données capitales !

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Le 30 mars dernier, l’Observatoire du sida et des sexualités (OSS) en partenariat avec l’association de prévention gay Ex-æquo, a présenté une enquête exploratoire de la pratique du Chemsex à Bruxelles et sa région. Une première en Belgique. Ce rapport a été l’occasion de retracer l’histoire et les enjeux de ce phénomène, même si certains regrettent déjà que cette enquête n’a fait que quantifier l’ampleur du chemsex et de ses usagers, sans aller plus loin. Retour sur les premiers résultats et les discussions qui en sont nées.

On pouvait s’en douter, mais aucune preuve tangible n’était disponible. C’est désormais chose faite. Pour la première fois en Belgique, un travail exploratoire permet de délimiter des contours à la pratique du chemsex et de faire son état des lieux dans la région de Bruxelles-Capitale. Jonas Van Acker, historien de formation, a été chargé d’une étude de terrain pour l’OSS (Observatoire du sida et des sexualités) de l’Université Saint-Louis, dans le cadre de ses missions de recherches en santé sexuelle auprès des populations vulnérables au VIH/sida. Pendant six mois, il a coordonné cette enquête exploratoire, menée par la diffusion d’un questionnaire anonyme en ligne, via les applis de rencontres et les groupes facebook de chemsexer (ceux qui participent à des soirées ou ont des rapports sexuels sous produits). Cette étude a été relayée sur le terrain par des militants de l’association Ex-æquo durant leurs actions de prévention dans des lieux gays. « Le public était clairement gay, même si des femmes hétérosexuelles ont été identifiées », explique Jonas Van Acker. Cette recherche a été financée par la Commission communautaire française (Cocof) de la région bruxelloise. Un comité associatif a été créé à cette occasion pour « rassembler autour de la table les acteurs LGBT, mais aussi de la réduction des risques et la prévention du VIH, pour une collaboration plus étroite », raconte l’historien. L’attente était forte parmi la communauté gay, particulièrement concernée à ces problématiques de prévention et de réduction des risques parmi ses membres.

Par qui ?

C’est sous les arches de l’université Saint-Louis que Jonas Van Acker et l’équipe de l’OSS ont présenté les résultats de l’enquête. Sur les 362 répondants, 225 ont déjà pratiqué le chemsex ; 65 % d’entre eux vivaient dans la région de Bruxelles au moment de l’enquête. La moyenne d’âge des répondants est de 37 ans, souvent diplômés et dont 59 % sont de nationalité belge, mais près de 15 nationalités sont présentes. Cela est sans doute lié aux lieux où l’enquête a été promue et au caractère très européen de Bruxelles. Parmi ces répondants chemsexeurs vivant à Bruxelles-Capitale, 94 % étaient des hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes. Dans l’échantillon total, hors chemsex, 10 % des répondants se disent hétéros, contre seulement 2,7 % pour ceux qui pratiquent le chemsex. Ce qui confirme que ce phénomène reste très fortement ancré chez les gays vivants dans la capitale belge. Par ailleurs, 56 % des chemsexeurs déclarés sont célibataires, les autres étant en couple. Ces derniers sont plus des trois quarts du temps en couple dit « ouvert », non-exclusif. Concernant le statut sérologique, 33 % des répondants déclarent être séropositifs, dont 92 % en charge virale indétectable.

Avec quoi ?

Concernant les substances listées et les plus consommées pendant les plans chemsex, on note le poppers, la méphédrone, le viagra, le GBL (dérivé du GHB), mais aussi la cocaïne et l’ecstasy. Ces produits sont très fortement reliés à la pratique du chemsex en Belgique, même s’ils sont également consommés en dehors du chemsex. Un classement qui dénote de celui d’autres pays : les cathinones ou nouveaux produits de synthèse semblent être beaucoup moins répandus et consommés en Belgique qu’en France ou ailleurs. Le slam, pratique d’injection durant les plans sexe, est-lui évoqué par environ 15 % des répondants. Une proportion assez élevée comparée aux quelques chiffres connus en France ou en Angleterre, mais qui reste très minoritaire. Les rencontres se décident massivement via les applications mobiles de rencontre, mais 70 % des répondants pratiquent le chemsex chez eux, majoritairement avec un seul partenaire, même si 44 % participent également à des soirées à plusieurs. On note une différence dans le nombre de partenaires selon le statut sérologique, avec davantage de partenaires différents chez les répondants vivant avec le VIH.

Quelles préventions ?

Concernant la prévention et les prises de risques, plus de la moitié des répondants affirme avoir effectué un dépistage du VIH il y a moins de trois mois. De plus, 4 % disent ne jamais avoir eu recours au test. Le chercheur explique qu’en recoupant le nombre de dépistages avec la proportion de séropositifs du même échantillon qui pratiquent le chemsex, on pourrait déduire qu’un certain nombre d’entre eux ont été diagnostiqués très récemment. Mais cette déduction est impossible à certifier. Concernant l’hépatite C, 70 % des répondants disent s’être fait dépistés durant l’année précédant l’étude. C’est 86 % chez les chemsexeurs séropositifs. En termes de protection contre le VIH et les IST, 47 % des chemsexeurs séronégatifs affirment utiliser un préservatif, 11 % déclarent prendre la PrEP (pourtant non autorisée en Belgique), ou d’autres stratégies comme le retrait avant éjaculation ou le sero-sorting (choix du partenaire et des pratiques). Les chemsexers séropositifs sont 36 % à déclarer n’utiliser « aucun » moyen de prévention, mais le questionnaire n’incluait pas la protection par le traitement (Tasp), qui empêche la contamination lorsqu’il est bien pris et la charge virale indétectable. Il y a eu 4,5 % des répondants à l’enquête qui ont eu recours au traitement d’urgence (TPE). Pour les chemsexeurs, cela était massivement consécutif à un plan chems.

Où et pourquoi ?

Autre chiffre, 70 % des plans se concentrent dans la métropole bruxelloise, le reste dans d’autres villes de la Wallonie (région francophone). Pour 10 % des chemsexeurs, les plans ont lieu plusieurs fois par semaines, mais pour près de 45 % des autres, ce n’est arrivé que quelque fois durant les douze derniers mois. Les motivations évoquées sont diverses : nouvelles sensations, proposition directe par un partenaire sexuel ou un ami. Un certain nombre de personnes rapporte des problèmes, psychologiques, physiques, relationnels ou sexuels. En grande majorité, une fatigue et des troubles du sommeil. Mais certains problèmes sont plus graves, comme des hallucinations (20 %) ou des pertes de conscience (24 %). Ce sont d’ailleurs les chemsexeurs séropositifs qui rapportent le plus de situations complexes à gérer.

Une enquête en débats

Dans ses conclusions, Jonas Van Acker adresse plusieurs constats : une mobilité importante, une exploration de la sexualité dans les plans, une multitude de stratégies de prévention, mais la difficulté d’appréhender un phénomène, évolutif, aux définitions multiples, auquel les structures de soins et de prévention ne sont pas adaptées. Malheureusement, ces constats se heurtent aux limites, assumées d’emblée, de cette enquête exploratoire, pas forcément représentative, et qui compile des données empiriques sans volet qualitatif. « Il y a pas mal de biais, et un fort taux d’abandon du questionnaire, à la suite d’un problème informatique », admet Charlotte Pezeril, chercheure à l’Observatoire du sida et des sexualités. Seules 39 % des personnes rencontrées ont effectivement fini de remplir le questionnaire. Celui-ci n’était disponible qu’en français et se focalisait uniquement sur l’année antérieure. « Mais il permet de mettre en lumière un phénomène et atteste de son existence à Bruxelles, tout comme de son caractère mouvant et européen », nuance-t-elle ensuite. Mais beaucoup regrettent le délai trop court de l’enquête, six mois, un temps plus long aurait permis d’asseoir un questionnaire plus élaboré, et d’éviter l’abandon en cours de route du fameux volet qualitatif de l’enquête. Des militants dans la salle regrettent aussi la vision « pathologisante » du chemsex dans l’étude de sa pratique ou de ses impacts.

Surtout, sans analyse de ces données, difficile de saisir les besoins d’une communauté spécifique et assez stigmatisée en termes de soins ou de prévention. Quelles retombées politiques d’un rapport, rapport qui ne permet pas en l’état d’émettre des recommandations claires pour mieux répondre à l’enjeu, dont personne ne doute. Et surtout, après discussion avec des représentants de l’OSS, aucune garantie de voir, dans un avenir prochain, cette enquête qualitative, nécessaire à une réponse politique belge au phénomène. Les financeurs n’ayant, pour l’instant, pas prévu de payer une suite à ce premier rapport.

Plus d’infos :  http://observatoire-sidasexualites.be/wp-content/uploads/WEB-DEF-chemsex-rapport-mars17.pdf

Sources : seronet.info

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