Source : Libération
Première femme élue à la présidence de la plus importante association de lutte contre le sida d’Europe, la militante insiste sur la nécessité d’impliquer les malades dans la lutte contre les épidémies.
«Un rendez-vous raté». La formule est malheureusement juste. Camille Spire, tout juste élue à la tête d’Aides, la plus importante association de lutte contre le sida en Europe (près de 500 salariés et un budget qui tourne autour de 50 millions d’euros), le constate avec inquiétude. Alors que l’expérience de la lutte contre le sida aurait pu apporter une contribution essentielle dans la lutte contre le covid – avec la mobilisation des premiers intéressés, fruit de l’histoire du VIH –, ce ne fut pas le cas. «Au contraire, on a assisté à une marginalisation des malades, laissés de côté comme s’ils étaient le problème. On a décidé sans eux, alors que la lutte contre le sida a montré l’inverse», analyse Camille Spire, bien décidée à se lancer dans une remobilisation communautaire. «C’est un regret immense. La parole des personnes concernées n’a pas été la priorité. Ne pas s’en servir est une erreur. Avec le Covid, ce fut une rencontre loupée».
A qui la faute ? «Je ne sais pas, mais ce n’est pas que sur le Covid qu’il y a eu erreur. En matière de santé publique, cela bloque toujours autant ; que ce soit vis-à-vis des usagers de drogue où l’on reste dans une logique répressive, ou avec les travailleurs du sexe où rien n’a changé depuis 2016 avec la pénalisation des clients, mais aussi avec les migrants, ou enfin sur le VIH où l’on reste toujours à un haut niveau de contamination.»
«Une vitalité énorme»
Camille Spire, 35 ans, est la première femme à être élue à la présidence de l’association créée en 1984 par Daniel Defert à la mort de son compagnon, le philosophe Michel Foucault. «Dans le monde, c’est une femme sur deux qui est touchée par le virus. En France, autour de 35 %. Mon élection, c’est la reconnaissance de l’importance de la mobilisation des femmes depuis 35 ans.» Chaleureuse, appréciée en interne, «elle est ouverte, avec une vitalité énorme», note Antoine, qui a dirigé longtemps la communication dans l’association, dont Camille Spire connaît tous les recoins. Son frère, Bruno, l’a présidée de 2007 à 2015. «J’avais envie de m’engager, j’avais fait Sciences Po. D’abord j’ai été au PS, mais bon cela ne servait à rien… En 2007, j’ai été à Aides, pour m’occuper du soutien à domicile, à Bobigny. Et vraiment j’ai trouvé mon endroit. Il y avait des projets, de la vie.» Elle y reste, prend des responsabilités avant d’être élue en 2010 présidente du territoire d’action Nord Est Ile-de-France. Avec un fort tropisme social, elle se spécialise alors sur la réduction des risques des consommateurs de produits psychoactifs. Parallèlement, elle travaille au Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, où elle s’occupe de l’accès aux droits à la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH). On la sent heureuse de son engagement, combative surtout.
«Un vrai retour du pouvoir médical»
On l’a oublié mais le confinement a été difficile à vivre pour le milieu associatif aussi, forcé de se replier sur lui-même. «Entre nous, on a besoin de se voir, de se rencontrer, note la militante. Or, le confinement n’était franchement pas idéal». Il fallait donc revitaliser l’association. C’est d’autant plus nécessaire que le secteur n’est plus très en forme. A l’image de France Assos Santé, censée regrouper toutes les structures d’usagers mais qui est aujourd’hui inaudible et sans projet fort. «Rien n’est acquis», insiste-t-elle.
Quid de la prévention du sida ? En France, la situation reste médiocre : on stagne autour de 6 000 nouvelles contaminations par an, alors qu’il y a toutes les possibilités pour stopper la propagation du virus. «Il y a eu une bonne nouvelle avec l’ouverture de la Prep (prescription d’un traitement pour prévenir une infection) récente par le biais des médecins généralistes, mais que de temps perdu ! Aujourd’hui, elle est trop limitée : elle doit atteindre les femmes, les migrants. Et il y a du boulot : le traitement comme prévention reste encore très largement inconnu.»
Un cahier des charges rempli, dans un contexte Covid pas simple. «On a assisté à un vrai retour du pouvoir médical.» Et les pouvoirs publics ? «L’Etat nous berce de paroles, mais il ne joue pas franc jeu. Il met en concurrence les associations. L’enjeu est clair : nous imposer, redonner la parole. L’expérience communautaire nous l’avons, c’est une expertise unique.»