Source : Lepoint.fr
REPORTAGE. Marginalisées, les travailleuses du sexe sont davantage touchées par l’épidémie de VIH/sida, d’où l’urgence de trouver le moyen de mieux les atteindre.
Par Aurélie Franc de retour de Ouagadougou | Le Point.fr
Après sa journée d’école, certaines nuits de la semaine, Angèle*, 16 ans, se prostitue pour quelques milliers de francs CFA (entre 4,5 euros et 23 euros la passe). Elle rejoint alors ses amies sur son lieu de travail habituel, le long d’un trottoir, face à un hôtel de la ville de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso.
Des populations vulnérables
Mais ce soir, Angèle n’attend pas de clients. Sur ce trottoir, qu’elle fréquente selon ses dires depuis deux mois, une association communautaire de la ville a installé, pour la soirée, deux petites tables afin que les professionnelles du sexe puissent se faire dépister contre le VIH. Il est à peine 22 heures et l’association a déjà mené plus de 20 entretiens préalables et effectué 10 tests dans ce lieu fréquenté de Bobo-Dioulasso. Pour le moment, aucune jeune femme n’a été dépistée positive.
L’adolescente, elle, hésite à faire le test. « J’ai peur du résultat », confie Angèle, cheveux courts et boucles d’oreilles coquettes. Son amie Nadège*, qui vient de se faire dépister négative, tente de la convaincre. L’adolescente a l’esprit ailleurs : celle qui vient de passer la nuit au poste à cause de son jeune âge guette le moindre bruit suspect, qui pourrait révéler la présence de policiers.
… face à un vide juridique
Au Burkina Faso, le racolage, pénalement réprimé, expose les travailleuses du sexe à des arrestations et parfois à du racket de la part des forces de l’ordre. Dans les chambres de passe, si la prostitution n’est pas interdite, les autorités utilisaient jusqu’alors un flou juridique pour faire des descentes sur les sites et imposer une « taxe » illégale à leur propriétaire.
Cette situation, sur les trottoirs ou dans les maisons closes, empêche les travailleuses du sexe, marginalisées, d’avoir accès au système de santé. Pourtant, 16,2 % d’entre elles (contre 0,8 % parmi la population générale âgée de 15 à 49 ans) vivraient avec le VIH.
Afin de pouvoir réaliser les actions de dépistage sur les sites de prostitution, « il a fallu faire des plaidoyers auprès des autorités administratives et policières », raconte Charles Somé, responsable du plaidoyer à l’association Rev+. Cette dernière forme, depuis 2016, les policiers sur leurs obligations éthiques et déontologiques vis-à-vis de ces populations. Charles Somé assure que « désormais, avec la police et la gendarmerie, nous avons des portes d’entrée en cas de difficultés ou de problèmes ».
Du côté des propriétaires de sites, « on n’a pas hésité à travailler avec l’association, parce qu’on voyait que ça pourrait plus nous arranger », témoigne Issa*, qui détient un maquis, noms donnés aux bars burkinabè. Selon lui, depuis le travail mené avec les associations, les descentes de policiers dans son établissement, « c’est terminé ». Une trentaine de sites de prostitution travaillent désormais avec l’association.
Dans l’établissement d’Issa, chaque professionnelle du sexe dispose d’une carte de santé (plus de 300 ont été distribuées par l’association). Tous les deux mois, chacune « doit passer dans un centre de santé, qui va attester sa santé physique », explique Charles Somé. « Certains propriétaires ont accès au contenu de cette carte pour s’assurer que les filles sont à jour de leur suivi médical, mais aussi en cas de contrôle de la police », mais « ils n’ont pas accès au contenu des détails sur leurs sérologies positives du VIH ou pas ». Le responsable de l’association assure ne pas avoir « été confronté » à une situation où une travailleuse du sexe se faisait virer d’un site à cause d’une séropositivité acquise.
Loin des maisons closes, Angèle a finalement décidé de se faire dépister. Si l’écolière a fini par se laisser convaincre, c’est que, pour elle, « connaître sa sérologie, c’est important ».
* Les prénoms ont été changés.** Ce reportage a été réalisé au cours d’un voyage de presse, financé par le réseau international d’ONG communautaires de lutte contre le sida et les hépatites virales, Coalition Plus.