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AZT : le prix des avancées médicales en temps de pandémie.

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Source : Infirmiers.com

Le 20 mars 1987, une mise à disposition considérable bouleversait le monde de la médecine : un traitement émergent pour les malades du Syndrome de l’Immunodéficience Acquise (Sida), lui-même découvert en France quatre ans plus tôt. L’AZT (pour azidothymidine, ou zidovudine), une molécule antirétrovirale, devient un réel espoir pour les malades. Comment sont apparus les premiers cas de Sida, et comment s’est propagé le virus ? En retraçant l’histoire de la maladie, impossible de ne pas évoquer cette petite révolution qui a bouleversé il y a trente-quatre ans la vie quotidienne des personnes infectées par le VIH et permis de les soigner malgré des effets indésirables considérables.

Revenons quelques décennies plus tôt pour mieux comprendre cette pandémie, toujours d’actualité. Dans les années 1908-1920, les premiers foyers de la maladie seraient apparus à Léopoldville (actuelle Kinshasa), capitale du Congo – belge à l’époque (l’information est reprise dans la revue américaine « Science » en 2014). Les travaux concèdent une origine épidémique non élucidée mais révèlent qu’un chasseur victime d’une morsure de chimpanzé porteur du virus serait l’origine de l’épidémie humaine ; le virus chez le singe est inoffensif, mais l’infection chez l’homme est tragique. L’article souligne d’autres hypothèses sur le mode de transmission, comme l’écorchure consécutive au dépeçage du chimpanzé ou la consommation de sa chair.

Quand boom économique rimait avec prémices pandémiques

La République Démocratique du Congo (RDC) était une colonie belge entre 1909 et 1960. Son économie dans les années 50 est en plein essor. Des travailleurs immigrés viennent des régions alentours pour trouver un emploi auprès des entreprises qui y fleurissent (le taux de chômage à Léopoldville est inférieur à 1%). Dans cette dynamique, la prostitution se développe car peu de femmes sont insérées dans le monde du travail à cette époque. L’idée est relativement simple : on demandait à ce que les travailleurs viennent seuls, sans famille, pour qu’ils puissent être plus mobiles sur les chantiers. Ces hommes seuls étaient souvent en contact avec des femmes dites « libres », qui avaient chacune trois à quatre « clients » pour lesquels elles offraient tâches ménagères et autres faveurs. Ces femmes étaient recensées par les autorités, et devaient subir, mensuellement, des tests pour maladies sexuellement transmissibles, alors que le Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH) n’était pas encore connu.

Sur le chantier du chemin de fer Congo-Océan entre Brazzaville et Pointe-Noire, le médecin français Léon Pales constate une mortalité importante des ouvriers

Léopoldville devient un véritable carrefour économique, sa population doublant tous les cinq ans, Elle constitue l’une des villes les mieux desservies de l’Afrique centrale grâce, entre autres, au chemin de fer pour acheminer des matières premières (diamant, coton, caoutchouc…) vers le port fluvial de Matadi et l’Océan Atlantique. Sur ce chantier, le tracé d’un autre chemin de fer – le Congo-Océan entre Brazzaville et Pointe-Noire – le médecin français Léon Pales constate une mortalité importante des ouvriers. Pour comprendre, il réalise des autopsies et décrit les caractéristiques suivantes : cachexie (qu’il nomme « cachexie du Mayombé », en référence à un massif montagneux local), infections pulmonaires (pneumonie, tuberculose), atrophie cérébrale et adénopathies multiples. Entre les années 30 et 80, des analyses sont effectuées, sans pour autant comprendre la cause de la maladie. En plus des transmissions sexuelles, les grandes campagnes vaccinales et potentiellement les toxicomanies contribuent à la prolifération du virus sur le continent africain (mêmes seringues et aiguilles, simplement rincées à l’eau).

 À l’indépendance de la RDC (1960), les Belges quittent le pays, les entreprises ferment ou sont nationalisées et une précarité sociale et sanitaire s’installe. En effet, le taux de chômage augmente jusqu’à atteindre 85 %. Les femmes ont des difficultés à survenir à leurs propres besoins, la prostitution gagne du terrain. Les femmes « libres » deviennent des prostituées avec plusieurs « clients » par jour. La prévalence du VIH au sein de la population congolaise est multipliée par douze entre 1970 (0,25 %) et 1980 (3 %). Quelques années plus tard encore, la Belgique transmet les données récoltées dans ses colonies à la France, pays précurseur dans la recherche sur le Sida à cette époque. Par la suite, l’exode de médecins, d’enseignants et d’autres professionnels belges a contraint les agences des Nations-Unies (à travers un programme de l’UNESCO) à faire appels à des milliers d’Haïtiens. De retour au pays, le tourisme sexuel occasionne la prolifération du virus aux Etats-Unis (1970). Durant la décennie suivante, quatre facteurs de risques de contracter la maladie (abandonnés depuis) sont mis en avant : un rapport homosexuel masculin, la prise de drogue injectable (héroïne), le fait d’être d’origine haïtienne ou d’être hémophile. Les nombreuses liaisons entre continent américain Europe ont permis la multiplication du virus sur le Vieux Continent.

Naissance du militantisme associatif en France

C’est la chercheuse française Françoise Barré-Sinoussi (prix Nobel de médecine en 2008) qui réussit à isoler le VIH en 1983 ; deux ans plus tard, elle rend disponible le premier test de dépistage du virus. La même année, le traitement AZT (azidothymidine ou zidovudine) arrive sur le marché mondial. Il est destiné à ralentir la réplication virale par inhibition de la transcriptase inverse du VIH. Associé à d’autres thérapeutiques, il permet de traiter le VIH, sans pour autant le guérir. La molécule a vu le jour dans les années 60 en tant que traitement anticancéreux, si donné à forte dose. Le prix du traitement (environ 10 000 $ par an), trop élevé pour beaucoup, provoque un scandale et c’est l’un des nombreux éléments qui donne l’élan à la création d’Act-Up à New-York en 1987 (1989 en France avec Act-up Paris). La même année, un test de dépistage voit le jour permettant de détecter rapidement les donneurs de sang séropositifs. En France, la campagne du ministère de la Santé « Le Sida ne passera pas par moi » déferle sur de nombreux supports : télévision, minitel, radio, prospectus, affiches…

Les populations touchées par le virus sont des minorités qui bousculent parfois les codes normatifs des sociétés

Le Militantisme combatif de plusieurs associations dans les années 89-90, notamment l’association Act-Up Paris, a réveillé les consciences collectives sur les personnes porteuses du virus au sein de la société française. Avant 1987, aucun traitement homologué n’est sur le marché mondial alors que la pandémie fait rage. L’inertie des entreprises pharmaceutiques et des instances décisionnelles a été mise au jour à cette même époque : les populations touchées par le virus sont des minorités qui bousculent parfois les codes normatifs des sociétés. De manière surprenante, la publicité en faveur du préservatif était proscrite avant ces années. Enfin en 1993, les pouvoirs publics commencent à s’impliquer et contribuent à la campagne « préservatif tarif jeunes ». A cette période, plusieurs traitements (notamment les inhibiteurs de protéase) permettent de diminuer la charge virale dans l’organisme. Malheureusement, une résistance s’établit lorsque le virus mute ; lorsqu’ils sont combinés (bithérapies, trithérapies), les traitements sont beaucoup plus efficaces pour contrôler le virus et moins susceptibles de favoriser la résistance aux médicaments que lorsqu’ils sont administrés séparément. Le traitement combiné comportant au moins trois médicaments antirétroviraux différents est d’ailleurs aujourd’hui devenu la norme pour toutes les personnes nouvellement diagnostiquées séropositives au VIH. Entre 2000 et 2010, un Fonds mondial (Global Fund) voit le jour pour endiguer les épidémies de Sida, de tuberculose et de paludisme. Cette organisation rassemble les autorités publiques, la société, le secteur privé et les personnes touchées par les maladies. Ce dispositif offre aux pays pauvres du Sud une accessibilité aux traitements.

Les thérapeutiques actuelles permettent une qualité de vie satisfaisante. Le choix thérapeutique se fait en fonction de la charge virale, des interactions pharmacologiques avec d’autres traitements, mais aussi de la tolérance quotidienne et de l’observance du patient. La disponibilité des traitements dans les pays en voie de développement reste à ce jour encore problématique ; les situations d’exclusion ou de rejet lié aux normes culturelles et sociétales demeurent vivaces à l’égard des personnes infectées.

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