Source : Diacritik
Malheureusement, en tant que vétérane de la lutte contre le sida, je fais partie des témoins du fait que l’AAH est un objet de combat très vieux et inscrit dans la durée pour Act Up qui n’a eu de cesse de faire valoir le droit à l’AAH des séropos, des malades du sida, des malades atteints de pathologies graves et des personnes qui souffrent de handicap. Un combat ancien et si rude qu’un de ses anciens présidents, je le rappelle, n’a touché son AAH qu’une fois mort.
C’est pourquoi, tout d’abord, je voudrais souligner qu’en dépit du refus des pouvoirs En Marche de déconjugaliser l’AAH, il y aurait lieu de savourer cette mobilisation comme une étape malgré tout victorieuse. Tant sont profonds les communs validistes qui président à l’organisation de notre société.
Il n’y a qu’à regarder combien, entre l’inaccessibilité matérielle des logements, des transports, la navigation entre voitures, vélos et terrasses, le simple fait de réussir à parvenir jusqu’ici, sur la place de l’Hôtel de ville, est déjà un parcours de combattante. Alors, avoir réussi à imposer cette déconjugalisation en problème politique et avoir fédéré autour l’ensemble des partis politiques à l’exception, donc, d’En Marche, n’est pas rien, même si la vigilance et la détermination restent de mise à s’assurer que ces soutiens d’opposition demeurent soutien quand ils passent à leur tour aux responsabilités et redeviennent gestionnaires.
Mais c’est ainsi que fonctionne notre vie politique que de devoir travailler au corps les oppositions pour que se transforment les hégémonies culturelles. Il n’est pas surprenant que cette mobilisation et cette avancée soient portées en premier lieu par les personnes les premières concernées, ainsi que des féministes et des queers, tant cette déconjugalisation remet en question la centralité des articulations idéologiques validistes, productivistes et patriarcales qui nous gouvernent.
L’AAH, encore aujourd’hui, n’a rien à voir avec la volonté de donner les moyens financiers de leur autonomie aux personnes en situation de handicap mais demeure, au mieux, un avatar de politiques de charité qui continuent de gérer les ressources publiques non comme appartenant au droit commun mais comme une aumône consentie par les classes possédantes, une attribution condescendante indexée sur la capacité à contribuer et à se plier à une répartition inéquitable du travail et des richesses.
Exiger la déconjugalisation, c’est d’abord une exigence concrète de refus de la misère financière à laquelle elle condamne, c’est refuser qu’il soit admis comme normal et même solidaire que d’aucun•e•s y soient condamnés, c’est refuser qu’il soit considéré comme normal que la valeur des vies soit hiérarchisée et soumise à un statut d’actif et de productif patriarcal et capitaliste. C’est refuser que l’Etat ne soit outil privatif destiné à servir et reproduire cet ordre public inique. C’est refuser que nos familles et nos conjugalités en servent de mode de gestion palliatifs.
Les ressources publiques nous appartiennent, l’autonomie est un combat. Nous le mènerons.
Texte de Gwen Fauchois, lu par elle lors du rassemblement pour la déconjugalisation de l’AAH organisé par Act Up – Paris, le 13 juin 2021, Paris, place de l’Hôtel de ville.