Source : Gabriel Girard
Ce billet reprend les grandes lignes de la synthèse que j’ai proposée aux participant.e.s du colloque d’Actions traitements, le 13 octobre dernier. Le titre “indétectables mais pas invisibles” m’a été inspirée par Fred Lebreton et surtout Florence Thune.
Retour (subjectif) sur une journée riche de débats
Avant toute chose, je tiens à remercier l’équipe d’Actions traitements pour l’organisation de ce colloque passionnant ! Difficile de résumer une journée aussi dense et riche en présentations et en prise de paroles diverses… Ce d’autant plus que je n’ai pas pu assister à toutes les présentations de l’après-midi, les ateliers se déroulant en parallèle. Ce retour sur le vif est donc nécessairement partiel et subjectif, mais aussi très “situé” : je suis un homme cis, gay, séronégatif et chercheur en sciences sociales.
Cette journée témoigne du rôle incontournable de l’action de première ligne, qu’elle soit associative, clinique ou directement issue des pratiques des premiers concernés. Cette mobilisation de terrain a été (et demeure) durement mise à l’épreuve dans la période récente par la crise Covid-19, et il me semble important de souligner que ses différents acteurs-rices ont sur faire preuve de créativité dans ce contexte, en gardant le cap de l’empowerment individuel et collectif. En témoignent la multiplication des interventions en ligne, mais aussi le maintien d’ateliers de partage d’expérience, la création de stages d’autodéfense… La journée a aussi mis en exergue qu’il reste des espaces à créer, par exemple autour des violences sexuelles et du MeToo gay — sujet d’une intervention passionnante — ou du “vieillir avec” le VIH.
Il apparait clair que passer de l’expérience individuelle à l’expertise collective demeure encore et toujours un enjeu politique. Surtout dans un contexte où le système de santé est fragilisée par la succession des réformes néolibérales, et où des associations comme le Planning Familial font face aux déferlantes de l’ordre moral.
Alors que certains parlent de “fin de l’abondance”, il faut rappeler que ce programme ne saurait s’appliquer aux acteurs de terrain en promotion de la santé. D’abord parce que d’abondance, il n’y en a jamais eu dans ce domaine ; mais aussi et surtout parce que la société payerait très cher tout désengagement en matière de prévention et de santé communautaire.
Trois balises pour la réflexion
En reprenant mes notes, trois balises/points de repères semblent faire consensus dans les discussions.
1. Indétectabilité, PrEP, fin du sida…
On a beaucoup discuté des deux premiers, moins de la “fin du sida”. Il en ressort que ces avancées biomédicales et sociales majeures ne doivent pas s’accompagner d’une mise sous silence des vécus et des paroles des personnes vivant avec le VIH. “Indétectables mais pas invisibles”, pour paraphraser Florence Thune : ce slogan résume bien l’état d’esprit collectif. Cette vigilance est indissociable d’un travail sur la mémoire collective de cette épidémie, ce qui façonne nos “vies hantées”, pour reprendre les mots de Didier Eribon : vies hantées par le souvenir des mort-e-s du sida, amant-e-s, ami-e-s, proches disparu-e-s. On a, sans doute plus que jamais, besoin d’histoire (la discipline) et d’historien-ne-s à nos côtés. Mais vies “hantées” aussi par la place que le VIH occupe comme problématique de santé et moteur d’engagement dans les communautés minorisées.
2. Les changements et invariants dans l’expérience des PVVIH
Les présentations de la matinée ont permis de dresser un portrait passionnant des évolutions profondes dans le champ de la vie avec le VIH en France. Je n’y reviendrai pas dans le détail, elles seront sans doute à réécouter ou à lire prochainement. La journée a aussi mis l’accent, comme un revers de la médaille des avancées, sur deux invariants très préoccupants. Le premier concerne le poids de la culpabilité et la peur de transmettre le virus, qui continue à structurer très fortement l’imaginaire et les pratiques de beaucoup de personnes vivant avec le VIH, malgré l’indétectabilité. Le second relève de la sérophobie sous toutes ses formes : vécues, anticipée, intériorisée, sous forme d’insulte, de renoncement aux soins… Une discrimination qui se surajoute malheureusement à d’autres, dans bien des cas (racisme, sexisme, LGBTphobies).
S’attaquer à ces invariants, qui touchent à des dimensions subjectives et interindividuelles de la vie avec le VIH, devraient être au cœur d’un programme d’action et de recherche (et pourquoi pas de recherche-action ?) ambitieux dans les années à venir.
3. Les limites d’un gouvernement par les crises ?
Il s’agit là d’une réflexion transversale au colloque : la santé des minorités semblent être scandée par une succession de crises, comme si les premières années du sida avaient formaté nos manières de penser les besoins de santé et les réponses à y apporter. C’est particulièrement le cas pour les gays : on a rappelé durant la journée de la crise du bareback (années 1990/2000), de la crise du chemsex (années 2010/2020), de la crise Covid ou, plus récemment, de la crise de la variole du singe…
Ce “gouvernement” par les crises à des aspects positifs, qu’illustrent la réactivité communautaire ou les réseaux de solidarité et d’entraide, comme on l’a vu autour du Monkeypox. Mais cette approche porte ses propres limites et en particulier l’incapacité à organiser un accompagnement global et durable de la santé des minorités, mais aussi le fléchage des ressources vers les moments aigus des crises, aux détriment des enjeux plus structurels autour par exemple de la prise en charge de la santé mentale.
Cinq chantiers collectifs
Des discussions du colloque découlent cinq enjeux, qui peuvent constituer des chantiers collectifs — sans prétention à l’exhaustivité.
Pour découvrir ces cinq chantiers et la suite de l'article, rendez-vous sur le blog de Gabriel Girard