Source : AFP FACTUEL
Les données officielles de l’Institut Robert Koch sur le variant Omicron montreraient que « les personnes entièrement vaccinées développeront le SIDA », avance un article relayé des milliers de fois sur Internet depuis début janvier. C’est faux et infondé. Explications.
« Les données du gouvernement allemand (…) pour Omicron suggèrent que la plupart des ‘complètement vaccinés’ auront un syndrome d’immunodéficience acquise (SIDA) induit par le vaccin Covid-19 d’ici la fin du mois de janvier 2022« , prétend un article publié le 4 janvier sur le site « France médias numérique« , déjà épinglé pour avoir relayé plusieurs informations trompeuses ou fausses liées à la pandémie de Covid-19 par l’AFP Factuel, comme ici ou là.
L’article a été partagé près de 4.000 fois depuis, selon l’outil de mesure de l’audience sur les réseaux sociaux Crowdtangle, et l’information a été reprise par d’autres blogs, vue plus de 70.000 fois sur Telegram ou encore partagée à quelques centaines de reprises sur Facebook et Twitter.
Capture d'écran du site « France médias numérique », prise le 11 janvier 2022
Un texte similaire a aussi été publié en anglais sur le site The Exposé UK, lui aussi déjà épinglé par l’AFP à plusieurs reprises pour avoir diffusé de fausses informations sur la vaccination anti-Covid (1, 2).
D’OÙ VIENNENT CES DONNÉES?
L’article indique se fonder sur des chiffres de l’Institut Robert Koch (IRK), l’organisme de santé à l’échelon fédéral en Allemagne, sous tutelle du ministère fédéral de la santé.
Les données proviennent du rapport hebdomadaire sur le Covid-19 publié par l’IRK, datant du 30 décembre 2021. On y trouve notamment le nombre de cas détectés du variant Omicron parmi la population allemande.
Ce document avait déjà fait l’objet d’interprétations trompeuses d’internautes fin décembre et début janvier, qui étaient en partie fondées sur une erreur du IRK dans la première version du rapport. Celle-ci indiquait que 186 personnes non-vaccinées infectées par le variant Omicron avaient été recensées, or ce chiffre s’élevait en réalité à 1.097, comme l’a corrigé ensuite l’institut allemand. Une mention de cette modification figure dès la première page du rapport, en rouge, depuis le 3 janvier.
Capture d'écran du rapport hebdomadaire du RKI du 30 décembre, modifié le 3 janvier, prise le 11 janvier 2022
Plusieurs médias de vérification ont réalisé des articles à ce sujet, dont CheckNews en français et l’équipe germanophone de l’AFP Factuel.
Cependant, l’article de « France médias numérique », bien que publié le 4 janvier, ne semble pas avoir pris en compte cette correction : il utilise les chiffres erronés parus dans la première version du document (que l’on peut retrouver archivée en ligne ici).
Le rapport du IRK, dans sa version corrigée, indique qu' »entre le 21.11.2021 et le 27.12.2021, 10.443 cas (suspectés) du variant Omicron ont été recensés au total en Allemagne (…) 1.555 d’entre eux ont été confirmés avec certitude par séquençage du génome entier, tandis que 8.888 ont été classés comme cas suspectés d’Omicron après un test PCR spécifique au variant« .
Le rapport ajoute que « des informations complémentaires sont parfois connues pour les cas d’Omicron déclarés« . Parmi ces informations, on trouve des déclarations liées aux détails des symptômes, ou encore sur le statut vaccinal des personnes infectées. L’IRK note que « 1.097 patients n’étaient pas vaccinés, 4.020 étaient complètement vaccinés, parmi lesquels un rappel de vaccination a été indiqué pour 1.137 cas« .
Ainsi, les informations sur le statut vaccinal n’étaient connues que pour près de la moitié (5.117) des plus de 10.443 cas d’Omicron enregistrés.
Ces données ne permettent donc pas d’affirmer, comme le fait l’auteur de l’article de « France médias numérique » que « ces chiffres signifient que si vous avez le Covid et que vous avez reçu trois doses du vaccin, vous êtes 4,45 fois plus susceptible d’avoir Omicron« , puisqu’elles ne proposent pas un aperçu représentatif de la proportion de la population vaccinée ou non-vaccinée infectée par Omicron en Allemagne à cette date.
En outre, les données de l’IRK « concernent des déclarations de tests, avec des symptômes mineurs, et non pas les cas graves entrant à l’hôpital. Un biais sociologique évident, c’est que les gens vaccinés sont plus susceptibles d’aller se faire tester que les non-vaccinés. On ne peut donc pas faire la multiplication avec le taux de vaccination global du pays : ce serait faire la confusion entre ce qu’on peut mesurer quand les gens veulent bien aller se faire tester et le taux d’infection réel« , ajoute Nicolas Manel, chercheur en immunologie et spécialiste du VIH à l’Institut Curie, affilié à l’Inserm, le 11 janvier auprès de l’AFP.
AUCUNE MENTION DU SIDA
« Le système immunitaire des personnes entièrement vaccinées s’est déjà dégradé à une moyenne de moins 87%« , prétend encore l’article, se fondant sur un obscur calcul, à partir duquel il est déduit que « plus vous prenez de doses, plus la dégradation de votre système immunitaire progresse rapidement« , aboutissant au développement du « syndrome d’Immunodéficience acquise (SIDA)« .
Cependant, de telles affirmations n’apparaissent aucunement dans le rapport de l’IRK du 30 décembre. En recherchant les mots-clés « Sida » (« Aids » en allemand) ou « système immunitaire » (« Immunsystem ») dans le rapport, ceux-ci n’apparaissent nulle part.
L’institut a confirmé le 11 janvier 2022 auprès de l’AFP que « le rapport du 30.12.2021 ne mentionne pas le SIDA« .
Le Sida est une maladie causée par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) qui détruit les défenses immunitaires et empêche l’organisme de se défendre. La vaccination anti-Covid, effectuée par voie intramusculaire avec du matériel correctement stérilisé, ne permet pas de transmettre le VIH.
Par ailleurs, sur une page du site de l’IRK dédiée aux « recommandations » liées au Covid-19 et à la vaccination, l’institut note que « la vaccination offre de façon générale une bonne protection contre l’infection et surtout contre les maladies graves et les hospitalisations dues au Covid-19. Cependant, l’effet protecteur – surtout en ce qui concerne les infections légères – diminue après quelques mois, de sorte qu’il doit être rétabli par une vaccination de rappel. Ce n’est qu’en atteignant une proportion très élevée de personnes totalement vaccinées dans la population et le plus petit nombre possible de personnes nouvellement infectées que l’on peut réduire efficacement les transmissions ainsi que les maladies graves, les hospitalisations et les décès« .
Des calculs trompeurs, sans valeur scientifique
Outre la première erreur concernant les données de l’IRK non mises à jour utilisées et leurs limites, le calcul mis en avant pour parvenir au pourcentage d’un système immunitaire dégradé à « 87%« n’a aucune valeur ni intérêt scientifique et ne prouve rien en l’état, selon deux spécialistes.
L’article de « France médias numérique » détaille ainsi le calcul suivant : « efficacité du vaccin = efficacité du système immunitaire = (1-8,12)/8,12 = -7,12/8,12 = -87,7 %« , censé montrer la dégradation du système immunitaire, puisque le résultat obtenu est négatif.
L’article ne précise pas d’où est tiré ce calcul, mais il semble copier une formule utilisée pour calculer l’efficacité des vaccins, dans des cas spécifiques réunissant des conditions permettant l’étude scientifique et rigoureuse des données, que l’on peut notamment retrouver dans cet article paru dans « The Journal of Infectious Diseases« .
Dans cette formule, ce qui est appelé « le taux d’attaque de la maladie » chez les vaccinés (ARV) est soustrait de celui des non-vaccinés (ARU) et divisé par ARU.
Capture d'écran de l'article du Journal of Infections Diseases, prise le 11 janvier 2022
Le taux d’attaque obtenu correspond ainsi au pourcentage d’une population à risque qui contracte la maladie pendant un intervalle de temps spécifique, explique cette revue. Il est calculé en prenant le nombre de nouveaux cas dans la population à risque et en le divisant par le nombre de personnes dans cette population.
Appliquer cette formule aux chiffres de l’IRK sur le nombre de personnes infectées par Omicron parmi les vaccinés et les non-vaccinés (utilisant en outre des chiffres non-représentatifs de la population) ne permet donc pas d’obtenir un résultat rigoureux ni de tirer de conclusion sur l’immunité de la population.
« C’est de l’invention pure et simple, ce ne sont pas des faits. En recherche, ça s’appelle une ‘rupture d’intégrité scientifique’ avec ‘falsification de résultats’« , conclut le chercheur en immunologie Nicolas Manel.
DES TABLEAUX UTILISANT DES DONNÉES BRITANNIQUES
En outre, l’auteur de l’article illustre ce calcul avec deux tableaux, qui utilisent, selon lui, des « chiffres du rapport de surveillance des vaccins ukHSA« , (pour « UK Health Security Agency », l’agence de santé publique britannique), qui n’ont donc rien à voir avec les données de l’IRK.
Sont appliqués aux chiffres supposément tirés de l’agence de santé britannique des calculs similaires à ceux détaillés au-dessus, pour parvenir à un pourcentage prétendant prouver une baisse d’immunité liée au vaccin, semaine par semaine, jusqu’au 31 décembre.
Capture d'écran du site « France médias numérique », prise le 11 janvier 2022
En octobre 2021 déjà, un tableau semblable, arrêté aux données connues alors, avait été utilisé pour tenter de démontrer que l’immunité baisse chez les vaccinés, et avait fait l’objet d’un article de vérification de l’AFP.
Le Dr Daniel Drazan, membre de la Société tchèque de vaccinologie, avait alors expliqué à l’équipe de l’AFP à Prague que les calculs de l’article ne pouvaient pas s’appliquer aux vaccins. « Il n’y a pas une seule preuve suggérant que les vaccins contre le Covid-19 ou n’importe quel autre vaccin ont un impact négatif sur le système immunitaire« , avait-il assuré à l’AFP en novembre 2021, ajoutant que les calculs utilisés « n’ont aucun sens » et « ne prouvent rien ».
« L’efficacité d’un vaccin est mesurée lors d’un essai clinique contrôlé et se base sur le nombre de personnes vaccinées qui ont développé ‘le résultat recherché’ (généralement une maladie) par rapport au nombre de personnes ayant reçu le placebo (vaccin factice) qui ont développé le même résultat », explique aussi l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Un deuxième tableau prétend en outre montrer la « probabilité d’être testé positif à Omicron« , si l’on est vacciné ou non, s’appuyant à nouveau sur des données du « Royaume-Uni« .
Cependant, le fichier vers lequel renvoie l’article ne comporte pas de telles données. « C’est faux là aussi. Le tableau ne montre pas la probabilité d’être positif à Omicron, mais la probabilité d’être infecté par Omicron plutôt que le variant Delta : c’est un ratio entre Omicron et Delta. Et donc on retombe sur ce qu’on sait déjà, le vaccin protège mieux de Delta et que d’Omicron, donc le ratio devient positif vers Omicron chez les vaccinés. Là encore, le texte de la page ne correspond pas aux données« , détaille Nicolas Manel de l’institut Curie.
Capture d'écran du site « France médias numérique », prise le 11 janvier 2022
L’article se termine par une série de graphiques censés représenter la part des vaccinés, qui ne sont « pas sourcés« , fait aussi remarquer Nicolas Manel. « Le reste du texte est de la fabulation sans données sourcées« , assure-t-il.
LES VACCINS STIMULENT LE SYSTÈME IMMUNITAIRE
Affirmer que les vaccins anti-Covid pourraient causer une dégradation du système immunitaire ne repose sur aucune preuve scientifique, et « n’a aucun sens », ont en outre expliqué plusieurs experts interrogés par l’AFP. Au contraire, les vaccins contre le Covid autorisés en France stimulent le système immunitaire pour induire une protection contre le virus, même s’ils utilisent plusieurs techniques différentes pour y arriver (vaccins à ARN messager, ou à vecteur viral).
« Les vaccins n’ont aucun impact sur l’immunité naturelle », avait déjà réagi en mars 2021 le professeur en immunopathologie Michel Moutschen, puisqu’ils s’appuient sur le système immunitaire pour compléter l’immunité innée avec l’immunité acquise, comme expliqué par exemple ici par les autorités sanitaires.
Pour cette raison, « il n’y a aucun moyen que les vaccinations affaiblissent le système immunitaire », avait aussi abondé l’immunologiste Srđa Janković auprès de l’AFP, et encore moins qu’elles le « détruisent » à terme, ajoutait Maja Stanojevic, virologue à l’Institut de microbiologie et d’immunologie de Belgrade et consultante auprès de l’Organisation mondiale de la santé.
La sécurité des vaccins est surveillée de près par l’OMS et par l’Agence européenne des médicaments qui recensent et étudient tout effet indésirable survenu après l’administration d’un vaccin. En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) assure également une surveillance des vaccins contre le Covid-19 et publie des points de sécurité réguliers sur les vaccins.
Si de très rares affections plus graves ont été associées au vaccin AstraZeneca (thromboses), aux vaccins à ARN messager (péricardite, myocardite) ou à celui de Johnson & Johnson/Janssen (syndrome de Guillain-Barré), la plupart des effets secondaires sont bénins (douleurs au point d’injection, fièvre…), et ne consistent pas en une « destruction du système immunitaire« .
OMICRON ET LES VACCINÉS
Il est difficile d’établir précisément quelle est l’efficacité des vaccins contre Omicron avec les données connues à ce jour. « L’efficacité des vaccins contre le variant Omicron ne peut pas encore être évaluée définitivement« , écrit d’ailleurs l’IRK dans son dernier rapport hebdomadaire, daté du 6 janvier 2022.
L’IRK répertorie des premières données à ce sujet, venant du Royaume-Uni, sur son site. Jusqu’ici, celles-ci ont montré que face à Omicron, l’efficacité de l’immunisation gagnée avec la vaccination semble diminuer au fil du temps et être plus faible que face au variant Delta. Une dose de rappel semble cependant apporter une « bonne protection » contre Omicron, selon l’analyse de l’institut de santé allemand.
Les experts restent prudents lorsqu’ils évaluent l’efficacité du vaccin chez Omicron. Jörg Timm, qui dirige l’Institut de virologie de l’hôpital universitaire de Düsseldorf, a été interrogé à ce sujet lors d’une conférence de presse le 5 janvier. A la question de la durée de protection qu’une troisième dose de vaccin pourrait assurer face au variant Omicron, il a répondu que « ce n’est pas facile à dire pour le moment, car nous n’avons pas encore les données complètes. » Comme le RKI, le professeur allemand a estimé qu’il est très probable que la réponse immunitaire diminue avec le temps. La protection contre une infection sévère, cependant, serait durable, selon les données actuelles.
L’Institut Robert Koch publie le nombre quotidien de cas d’Omicron en Allemagne sur une page dédiée . Au 12 janvier 2022, 118.298 cas ont été recensés. Le rapport hebdomadaire le plus récent de l’IRK montre que la majorité des personnes ont signalé des symptômes légers ou inexistants.
Le 6 janvier 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a également de nouveau mis en garde contre le danger d’Omicron. L’IRK continue également d’évaluer le risque lié au Covid-19 pour la population comme « très élevé » en Allemagne, en raison de la propagation rapide d’Omicron.
Au 12 janvier 2022, 72,2% de la population allemande est entièrement vaccinée, selon les chiffres du gouvernement fédéral. Dans le pays, plus de 7.580.000 cas et plus de 114.000 décès liés au Covid-19 ont été recensés au 11 janvier, selon les autorités.
( Claire Line NASS)
( Claire Line NASS)