Source : Libération
Alors qu’un tiers des séropositifs ignorent leur statut, la distribution de tests oraux rapides s’accélère au Mali, au Sénégal et en Côte-d’Ivoire. Avec des premiers résultats encourageants.
Ils sont une dizaine de jeunes hommes, assis dans le salon d’une maison isolée de Kati, en banlieue de Bamako, au Mali. Mohamed (le prénom a été changé) est venu présenter les nouveaux autotests VIH. Il ouvre une trousse, sort une spatule et montre comment la passer sur ses gencives avant de la plonger dans le tube de réactif. «En vingt minutes, vous pouvez savoir si vous êtes séropositif ou non», conclut-il. Approbations silencieuses dans l’assemblée attentive.
Mohamed est un animateur de la clinique Soutoura, un centre de soins bamakois qui assure le dépistage et le suivi des personnes séropositives. Aujourd’hui, comme chaque semaine, il rencontre discrètement des membres de la communauté homosexuelle malienne pour leur présenter cette technologie révolutionnaire : l’autotest de dépistage oral, qui «va permettre de sauver des milliers de vies du sida», appuie-t-il.
Discrétion
C’est la première fois en Afrique de l’Ouest que ces tests sont déployés. Soutenu par l’ONG de lutte contre le VIH Solthis, l’Institut de recherche pour le développement (IRD), l’Agence française de développement (AFD) et l’organisation internationale Unitaid, ce projet dénommé «Atlas» a permis à partir de 2018 la distribution de plus de 250 000 tests dans trois pays d’Afrique de l’Ouest : le Mali, le Sénégal et la Côte-d’Ivoire. Et massivement dans les capitales depuis le début de l’année. Une stratégie encouragée par l’OMS qui en a fait une priorité dans ses recommandations pour la lutte contre le VIH.
«Nous prévoyons d’ici à la fin de l’année atteindre 400 000 autotests distribués, explique Clémence Doumenc-Aïdara, directrice du projet. L’amélioration de l’accès au dépistage est nécessaire pour réduire la morbidité du VIH, en particulier pour les populations clés : les travailleuses du sexe, les usagers de drogues et les homosexuels. Ces personnes à risque que les programmes actuels n’arrivaient pas à toucher, l’autotest permet de les atteindre.»
Le projet Atlas s’inscrit dans la cible des «trois 90» définie par les Nations unies, dont le premier objectif est de permettre à 90 % des personnes vivant avec le VIH de connaître leur statut sérologique. Mais les stratégies existantes n’ont pas réussi à sensibiliser suffisamment de nouvelles personnes afin d’atteindre cet objectif fixé à l’horizon 2020. En Afrique de l’Ouest, seulement 68 % des porteurs du VIH connaissent leur séropositivité.
«L’autotest oral apporte une plus-value, grâce à la dispensation secondaire, affirme Clémence Doumenc-Aïdara. Nous remettons plusieurs kits par cible, qui les transmettent ensuite à leurs pairs, leurs partenaires ou leurs clients», facilitant ainsi l’accès au dépistage. Plus besoin de se rendre en clinique ou d’attendre qu’un animateur ou un infirmier se rende dans le quartier. L’autodépistage salivaire peut être réalisé partout, à n’importe quel moment, sans aucune aide extérieure. Cette confidentialité est un attrait majeur pour des communautés stigmatisées dont la survie repose sur la discrétion. «L’année dernière, seize animateurs mobilisateurs de la communauté gay ont été arrêtés par la police dans un restaurant de Bamako pour déprédation de mœurs et atteinte à la pudeur, confie Mohamed. Certains ont été incarcérés, freinant notre travail de sensibilisation pendant plusieurs mois.»
Premier bilan encourageant
Il est 23 heures, ce mercredi, dans le quartier des boîtes de Bamako, et l’équipe de nuit de la clinique Soutoura – l’un des vingt-sept partenaires institutionnels de mise en œuvre du projet Atlas – entre dans une maison close. Alors qu’une musique afrobeat résonne dans la rue, une infirmière explique en anglais l’utilisation de l’autodépistage à des prostituées nigérianes. «Un test dans la bouche à faire toute seule, c’est beaucoup plus pratique que celui où l’on pique ton doigt pour prendre ton sang, lance Princess, 30 ans, originaire de Lagos. Je vais en prendre plusieurs pour en distribuer à mes amis et clients.» Si elle ne craint pas l’épidémie de VIH, «moins forte ici qu’au Nigeria», ce n’est pas le cas d’Aïcha, sa collègue malienne : «Quand tu es séropositif au Mali, les gens refusent de manger avec toi, de te parler. Tu es mis de côté, on t’efface, tu vis dans un univers vide.»
Aïcha est séronégative, contrairement à sa mère et à sa sœur, âgée de 10 ans. «Ma mère l’a attrapé de mon beau-père, un salopard de rien du tout qui sortait tous les soirs coucher avec des filles dans les bars, s’énerve-t-elle. C’est à cause de lui que ma maman est tombée malade et a transmis la maladie à ma sœur dès sa naissance.» Aïcha, 22 ans, a commencé à se prostituer il y a deux mois. Elle n’arrivait plus à subvenir aux besoins de sa famille suite à la perte de son emploi pendant la pandémie. «Le Covid-19, tout le monde en parle, tout le temps, comme s’il n’y avait rien d’autre, alors que le sida tue toujours, lance-t-elle. Il ne faut pas nous oublier.»
En avril, le projet Atlas a sorti un premier bilan encourageant : 40 % des utilisateurs de l’autotest ne s’étaient jamais fait dépister auparavant. Au Sénégal, où la revue des indicateurs nationaux du VIH vient d’être terminée, le nombre de personnes séropositives ayant pris connaissance de leur statut a augmenté de 3 % grâce à l’autotest. Il permet désormais au pays de dépasser la moyenne régionale et d’atteindre 71 %. Pas suffisant pour cocher la case du «premier 90», mais un progrès notable en vue de l’objectif rehaussé à 95 % pour l’horizon 2025.