Source: Seronet
Attendu, le discours sur l’état de l’Union de Donald Trump (5 février), devant le Congrès américain réuni au grand complet, a balayé large : Corée du Nord, Afghanistan et tabilans, retrait des troupes américaines de Syrie, mur entre le Mexique et les États-Unis… Il a surpris par un ton jugé « rassembleur » et surtout l’annonce de Donald Trump de « mettre fin à l’épidémie de sida aux États-Unis en dix ans ».
Pour une surprise, c’est une surprise ! Le président des États-Unis a présenté, à l’occasion de son discours sur l’état de l’Union (une sorte de feuille de route pour les années jusqu’à la prochaine présidentielle, présentée annuellement) un plan pour en finir avec le VIH dans le pays avant 2030. Pour cela, un des premiers objectifs est de réduire le nombre de contaminations de 75 % en cinq ans. Cette annonce et promesse présidentielle semble avoir été accueillie positivement par les associations de lutte contre le sida et les experts-es, a indiqué l’AFP. « Contrôler le VIH en une décennie est une tâche titanesque, mais nous applaudissons la volonté affichée », a ainsi expliqué à l’AFP Michael Weinstein, président de la Aids Healthcare Foundation, une des plus grandes organisations américaines de lutte contre le sida. Elle gère 64 centres médicaux aux États-Unis et des centaines dans le monde. « Cette initiative, si elle est mise en place et financée, pourrait s’inscrire dans l’histoire comme l’une des plus grandes réussites de sa présidence », a, pour sa part, réagi le directeur de l’Aids Institute, Michael Ruppal.
« Mon budget demandera aux Démocrates et aux Républicains de dégager les moyens nécessaires pour éliminer l’épidémie de VIH aux États-Unis d’ici dix ans. Ensemble, nous vaincrons le sida en Amérique et au-delà », a déclaré Donald Trump lors de cette allocution annuelle. Le Congrès va être appelé à financer ce plan dans le prochain budget. Chez certains observateurs-trices, on explique que cette annonce rappelle la proposition, lancée au même endroit en 2003 par George W. Bush, du programme Pepfar contre le sida dans le monde. Pepfar (pour President’s emergency plan for aids relief, Plan présidentiel d’urgence contre le sida) a constitué, malgré ses lacunes et certaines options controversées, une grande avancée dans la lutte internationale contre l’épidémie.
De son côté, le secrétaire à la Santé, Alex Azar, a fourni plus de détails sur l’annonce présidentielle : l’objectif est de réduire le nombre de contaminations par le VIH aux États-Unis, aujourd’hui de 38 000 nouveaux cas par an, de 75 % en cinq ans, et 90 % en dix ans. Du côté des associations de lutte contre le sida, on rappelle que la voie à suivre est connue depuis longtemps : elle passe, notamment, par un meilleur dépistage des populations clefs, un meilleur accès aux soins et maintien dans le soin. Les autorités de santé entendent renforcer la prévention dans les communautés les plus exposées au risque d’infection : homosexuels, personnes trans, minorités ethniques et personnes consommatrices de drogues par injection (elles représentent 6 % des contaminations).
Aujourd’hui, les deux tiers des contaminations ont lieu chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, à un rythme qui ne ralentit pas. Les Noirs sont particulièrement frappés. Au rythme actuel, un Noir gay sur deux sera contaminé par le VIH au cours de sa vie, selon une étude des Centres de contrôle et de prévention des maladies, datant de 2016. Il s’agit aussi de concentrer les efforts dans les zones où la prévalence est élevée. Le Sud du pays est très exposé. La moitié des infections se produit dans seulement 48 comtés américains, ainsi qu’à Washington, San Juan ou Porto Rico, selon le ministère de la Santé, qui promet des moyens ciblés géographiquement.
Un des points faibles de la réponse américaine intérieure à la lutte contre le sida réside dans le dépistage. Selon les données officielles, environ 165 000 Américains-nes vivant avec le VIH l’ignorent. Un autre obstacle réside dans l’accès aux traitements antirétroviraux. C’est un défi majeur dans un pays où naviguer entre les différents systèmes d’assurance médicale relève du parcours du combattant. Le système est profondément inégalitaire surtout à l’encontre des personnes les plus pauvres et ce sont elles qui sont le plus touchées par le VIH. Il ne faut pas oublier que les attaques continues de Donald Trump contre l’Obamacare jouent contre sa propre stratégie puisque sa suppression ferait sauter la couverture médicale de millions d’Américains-nes.
Cet accès hiératique aux traitements n’est pas sans conséquence. Aujourd’hui, seule une personne vivant avec le VIH sur deux a une charge virale indétectable. Ce résultat est parmi les plus mauvais pour un pays du Nord. Le gouvernement veut monter à 90 % de personnes traitées ayant une charge virale indétectable. Une des pistes avancées par les autorités américaines est la promotion de la Prep (prophylaxie pré-exposition), une Prep sur ordonnance et remboursée… du moins lorsqu’on a une couverture Santé qui la prend en charge. Là encore des efforts considérables doivent être accomplis. On sait qu’environ 220 000 personnes prennent la Prep, autorisée depuis plus de six ans. C’est d’ailleurs le premier pays a l’avoir fait. Le gouvernement estime que seulement 10 % des personnes qui devraient bénéficier de la Prep (du fait de leurs risques d’exposition au VIH) prennent ce traitement préventif. Comme l’explique l’AFP, les discussions sur les stratégies préventives sont animées. Par exemple, Michael Weinstein réclame des campagnes de promotion du préservatif. Lui conteste un « abandon » par les autorités sanitaires américaines des campagnes de sensibilisation aux rapports protégés par préservatif au profit d’une prévention « biomédicale » comme le Tasp ou la Prep.
Comme on le voit le chantier que se lance l’administration Trump est colossal. Et cela ne se fera pas sans un budget conséquent. Sur ce point, il est assez difficile d’expliquer le revirement présidentiel sur ce sujet. L’année dernière, c’est le même président qui avait proposé de réduire le budget de la prévention contre le sida aux États-Unis… et dans le reste du monde de plusieurs centaines de millions de dollars. La manœuvre avait échoué car le Congrès (souverain sur les questions budgétaires) ne l’avait pas suivi. À l’époque, le chanteur de U2, Bono, s’était dit « heureux » que le Congrès américain ait choisi de ne pas suivre la volonté de Donald Trump. Depuis le début de son mandat, Donald Trump est critiqué sur sa politique de lutte contre le sida ou plutôt son absence de vision. En juillet 2018, des scientifiques et activistes du monde entier avaient averti à l’occasion de la conférence internationale sur le sida d’Amsterdam, que la politique désormais conduite par les autorités américaines, qui a décidé de couper les vivres d’organisations non gouvernementales soutenant l’avortement, menaçait les programmes de lutte contre le VIH. En mai 2017, l’administration Trump a, en effet, adopté un décret qui stipule que les organisations de santé qui fournissent des services ou conseils liés à l’avortement ne reçoivent plus les subventions des fonds publics américains, même si elles financent ces services dédiés à l’avortement avec leurs propres fonds. Cela concernait notamment les fonds accordés par le programme Pepfar. Début 2018, Donald Trump avait décidé de dissoudre ce conseil présidentiel sur le sida (Pacha : Presidential advisory council on HIV/aids). Il s’agissait d’un comité fondé en 1995 qui fournissait des avis à l’administration américaine au sujet des politiques, recherches de traitements et prévention en matière de VIH/sida. L’administration Trump avait licencié (en janvier 2018) ce qu’il restait du comité officiellement chargé de conseiller le président américain en matière de VIH/sida. Il faut dire que six membres du Conseil avaient déjà démissionné en juin 2017 pour protester contre les choix concernant les politiques sanitaires de l’administration Trump et le peu d’intérêt présidentiel sur le VIH. « L’administration Trump n’a pas de stratégie pour faire face à l’épidémie actuelle, ne cherche aucun avis d’expert-e pour formuler des politiques relatives au VIH », avait alors déploré l’avocat Scott Schoettes défendant la cause des LGBT dans l’organisation Lambda Legal, une des personnalités démissionnaires.
Un autre obstacle à la promesse présidentielle d’une fin de l’épidémie réside dans les options politiques de l’administration Trump : remise en cause des droits des minorités, par exemple, à l’encontre systématique des personnes trans. Or, on sait aujourd’hui que les discriminations, la remise en cause des droits des minorités contribuent à alimenter l’épidémie parmi les populations clefs. Dans ce domaine, la défiance est telle qu’il existe une très forte opposition à la tenue de la prochaine conférence mondiale sur le sida (IAS) aux États-Unis en 2020… comme cela a pourtant été décidé. La tenue de cet événement peut être sans doute un des éléments explicatifs de ce revirement… mais elle ne lève pas complètement le mystère.
Pour plus d’informations sur les premières interrogations concernant la politique de l’administration Trump en matière de lutte contre le sida, on vous recommande la lecture vih.org.
VIH : Quelques infos sur la cascade américaine
Selon les données des CDC (Centres de contrôle et de prévention des maladies), 1,2 million de personnes vivaient avec le VIH aux États-Unis en 2011, on estimait alors que 86 % étaient diagnostiquées. Cela signifiait qu’environ une personne sur sept vivant avec le VIH l’ignorait et n’avait donc pas accès à un traitement lui permettant de se soigner et surtout de ne pas transmettre l’infection. Ces mêmes données indiquaient que 40 % étaient dans le soin ; 37 % se voyaient prescrire des antirétroviraux et 30 % avaient une charge virale indétectable. Autrement dit, selon les données de 2011, seulement trois personnes vivant avec le VIH sur dix avaient une charge virale contrôlée.
En 2014, les CDC ont regardé ce qui se passait pour les 70 % de personnes vivant avec le VIH dont le virus n’était pas contrôlé en 2011, soit environ 840 000 personnes :
– 20 % ignoraient qu’elles étaient infectées ;
– 66 % étaient diagnostiquées, mais n’avaient pas engagé un traitement régulier ;
– 4 % étaient dans le traitement, mais n’avaient pas d’ARV ;
– 10 % recevaient des ARV, mais n’avaient pas encore de charge virale indétectable.
En 2015, nouvelle enquête des CDC dont les résultats sont publiés dans la revue Jama Internal Medicine. L’étude montre que 91,5 % des nouveaux cas de VIH de 2009 seraient attribuables aux personnes vivant avec le VIH qui ne sont pas traitées (incluant les personnes qui ignorent leur séropositivité). En d’autres termes avec un dépistage précoce, une entrée rapide dans le traitement et un maintien dans le soin : neuf cas sur dix d’infections aux États-Unis pourraient être évités.
Source HIV.gov. Données extraites du HIV care continuum.