Source : Transversal Mag
Eclipsé par la PrEP, le traitement post-exposition (TPE) est un outil prophylactique efficace. S’il a toute sa place dans les stratégies de prévention, aucune étude globale ne vient en mesurer l’utilisation en France. Focus sur un moyen de prévention qui mériterait d’être mieux connu.
On pourrait comparer le TPE (traitement post exposition) à la pilule du lendemain. On le prend après un rapport sexuel à risque pour bloquer la diffusion du VIH dans le corps. Selon une étude observationnelle canadienne, c’est efficace à au moins 80 % et probablement bien plus si le suivi et l’observance sont scrupuleux durant les 28 jours que nécessite le traitement.
Selon les recommandations du rapport Morlat, le TPE doit être dispensé suite à un rapport sexuel sans préservatif ou suite à un accident de préservatif dans trois cas de figure. Le premier quand le partenaire est connu pour être séropositif avec une charge virale détectable. Le deuxième cas, bien plus courant, quand le partenaire est une personne faisant partie d’un groupe à prévalence élevée. Entendez par là : un HSH (homme ayant des rapports sexuels avec des hommes) multipartenaire, un(e) travailleur(euse) du sexe, une personne originaire d’une région à forte prévalence du VIH (Afrique, Caraïbes dont Antilles françaises, Amérique du Sud dont Guyane et Asie) ou un UDI (usager de drogue injectable). Le troisième cas de figure concerne les victimes de viol. Même si toutes les pratiques sexuelles ne font pas courir le même niveau de risque de contamination, le TPE est aujourd’hui recommandé pour toutes à l’exception des fellations sans éjaculation.
S’il est impossible, en l’absence d’étude nationale, d’évaluer l’ampleur de son usage en France, nous pouvons en avoir un assez bon aperçu en comparant les résultats d’études locales récentes. Aux urgences de Bichat à Paris, environ 800 TPE sont réalisés par an dont 60 % pour des risques sexuels, 200 au Trait d’Union de Strasbourg et 145 dans les urgences de Savoie, d’Isère et de Haute-Savoie (chiffres du COREVIH Arc Alpin en 2019).
Dans les faits « je dirais qu’actuellement les hétérosexuels représentent la moitié des TPE et les HSH l’autre moitié », évalue Enrique Casalino, chef des urgences de Bichat et Beaujon. Assez logiquement, ces derniers bénéficient donc bien plus largement aux hommes qu’aux femmes. L’âge moyen tourne autour de 29 ans.
Autre donnée intéressante : le fort pourcentage de TPE demandés dans le cadre d’un viol , autour de 10-11 % dans les trois départements dépendant de la COREVIH Arc alpin et au Trait d’Union de Strasbourg en 2019. Le taux monte à 13,3 % dans une étude de la COREVIH Pays de Loire (et même à 26,8 % si on se resserre sur la seule population hétérosexuelle). Le recours à une TPE suite à une relation sexuelle à risque avec un(e) prostitué(e) concernait lui 22 % de la population hétérosexuelle dans la COREVIH Pays de Loire.
La réactivité est le maître mot
Aujourd’hui seules les urgences ou les CeGGID sont habilités à prescrire le TPE, idéalement dans les 4 heures et au plus tard dans les 48 heures suivant le rapport non protégé. « Si vous êtes dans ces délais, vous serez reçu avec un niveau de priorité équivalent à une pneumonie ou un infarctus », nous assure Enrique Casalino, ce que confirme Pablo qui n’a attendu que quinze minutes quand il est allé demander il y a six mois un TPE à l’Hôtel Dieu de Paris.
Si la prise de risque correspond aux recommandations du rapport Morlat, la personne prend son premier comprimé à l’hôpital et reçoit un starter kit pour 3-4 jours, le temps de consulter un infectiologue pour effectuer un première sérologie et recevoir la suite du traitement. À Bichat, le patient n’a même pas besoin de faire la démarche de prise de rendez-vous. Celui-ci lui est donné en même temps que le starter kit, afin d’éviter les risques de perdus de vue. Une deuxième sérologie doit ensuite être réalisée à 6 et 12 semaines.
Mal connu, ce dispositif est aujourd’hui clairement également sous-employé. Selon le suivi barométrique IFOP pour Sidaction de février 2021, seuls 37 % des jeunes de 15-24 ans interrogés connaissent l’existence du TPE et savent qu’il doit être pris au plus tard dans les 48 h suivant une prise de risque.
Par ailleurs, beaucoup sont ceux qui minimisent le risque qu’ils ont pris et demandent trop tard leur prise en charge. 15 à 20 % viennent hors délai aux urgences de Bichat. C’est notamment le cas des personnes qui ont consommé de l’alcool et/ou des drogues (dont le chemsex). « Cela accroit sensiblement la prise de risque et ralentit la décision d’avoir recours à un TPE », note Enrique Casalino.
Autre problème à ne pas négliger : les patients qui arrêtent le traitement avant la fin du protocole, l’angoisse passée, à cause d’effets secondaires (de plus en plus rares avec les nouvelles molécules). Le deuxième rendez-vous avec l’infectiologue permet de poser les choses. C’est une mise au point salutaire et cela peut être l’occasion de revenir avec le partenaire pour un dépistage. « Avec mon travail, ce n’était pas évident de devoir revenir à l’hôpital 3 jours plus tard, nous confie pourtant Pablo qui aurait au départ préféré recevoir les 28 comprimés d’un coup « mais, cela s’est bien passé », confie le jeune homme de 30 ans.
Des pistes pour assouplir le dispositif
La souplesse et la qualité de la prise en charge par les soignants sont à ce moment là cruciales comme l’a constaté Nicolas Charpentier, coordinateur de Aide en Haute–Savoie et membre du COREVIH Arc Alpin, à l’occasion de l’étude Qualipep : « Lors des entretiens que nous avons menés, plusieurs personnes se sont plaintes d’avoir été jugées lors de leur demande de TPE sur leurs pratiques et leur orientation sexuelle, ce qui a pu ensuite les dissuader de la redemander », confie-t-il.
Parmi les suggestions qui revenaient souvent lors des entretiens figurait celle de diversifier les lieux où on pouvait se le procurer, comme le promeut d’ailleurs le rapport Morlat. Parmi les pistes les plus souvent évoquées, citons la primo-prescription du TPE par un médecin de ville comme cela devrait bientôt être le cas pour la PrEP. Une mise à disposition du starter kit sans ordonnance dans une pharmacie de ville sur le modèle de la pilule du lendemain ou des actions hors les murs par des associatifs préalablement formés, comme souhaite le faire le COREVIH Arc-Alpin.
Dernier point très important à préciser : le TPE est une opportunité de parler de la PrEP car les deux concernent assez souvent les mêmes publics. Dans 27 % des cas de TPE qui se sont présenté à eux, la PrEP a été proposée dans les centres du COREVIH Arc Alpin en 2019. On ignore combien l’ont initié à cette occasion mais Pablo, comme beaucoup, en on fait partie à Paris.