Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Au Sénégal, dépister le sida en toute discrétion

PARTAGER SUR :

Source : La Croix

Il est possible de se tester soi-même pour connaître son statut sérologique concernant le HIV. Au Sénégal, l’autotest permet de protéger l’anonymat des homosexuels et de certaines travailleuses du sexe.

Il y a vingt ans, on mourait du sida un peu partout en Afrique. Les trithérapies, créées en 1996, n’étaient pas encore arrivées sur le continent. Aujourd’hui, des millions d’Africains séropositifs ont accès gratuitement à ces traitements. Grâce à la solidarité internationale, notamment. Ces patients ont pu reprendre des vies normales et ne sont plus contaminants, dès lors que leur charge virale est tellement faible qu’elle devient indétectable – c’est le marqueur de base pour savoir si le traitement continue à être efficace.

L’ambition formulée par l’organisation internationale Onusida est maintenant « de mettre fin à l’épidémie d’ici à 2030. » Pour l’atteindre, il faut que chaque malade ouvre les yeux sur son statut sérologique : dépisté, il aura de grandes chances d’être soigné ; soigné, il aura de grandes chances de n’être plus contagieux.

L’objectif de l’ONU : 90-90-90

L’objectif de l’ONU tient dans un chiffre, répété trois fois : 90-90-90. Il signifie : 90 % des personnes séropositives connaissent leur statut, 90 % des personnes dépistées positives ont accès à un traitement antirétroviral, 90 % des personnes sous traitement ont une charge virale indétectable.

L’autotest permet de connaître son statut sérologique sans témoin. Il est l’un des instruments pour tenter de réduire la contamination. Il permet par un frottis salivaire de savoir si l’on est ou non porteur du VIH. La contrainte est de ne pas manger ni boire une demi-heure avant le contrôle et de consulter le marqueur entre 20 et 40 minutes après le test pour connaître le résultat. Autre avantage : il ne s’agit pas d’une prise de sang, perçue par certaines populations comme agressive. L’ONG française Solthis, avec son programme Atlas, a déjà distribué 135 000 de ces autotests dans trois pays d’Afrique de l’Ouest : la Côte d’Ivoire, le Mali et le Sénégal.

Deux millions d’autotests distribués en Afrique du Sud

Avant Dakar, Anthony Vautier, directeur technique de Solthis, a combattu l’épidémie en Afrique australe, l’une des régions les plus touchées au monde. « En Afrique du Sud, le taux de prévalence est de 19 % ! Le sida y a frappé toutes les couches de la population, en ville et dans les campagnes. Ici, au Sénégal, le taux de prévalence est bien inférieur. La situation ressemble à celle que nous connaissions en Europe. Le sida touche avant tout les homosexuels, les usagers de drogue et les travailleurs du sexe. »

Pour dépister massivement, l’Afrique du Sud a organisé la distribution de deux millions d’autotests. Il s’agissait de tester rapidement et sans passer par les médecins, pas assez nombreux. Au Sénégal, l’intérêt de l’autotest est différent. Il s’agit de toucher une population cachée, difficile à atteindre par des campagnes publiques de prévention. « Un des défis est de convaincre les hommes mariés qui ont des relations homosexuelles de connaître leur statut. Ils ne veulent pas se faire tester dans un laboratoire médical où ils ont peur d’être identifiés. L’autotest est une solution discrète », explique Anthony Vautier.

L’homosexualité toujours réprimée

Au Sénégal, le Code pénal punit l’homosexualité d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende importante. 36 autres pays du continent africain pénalisent cette pratique. Le président sénégalais, Macky Sall, confirme : « L’homosexualité est contraire à la religion musulmane et tant que je serai le président de la République, l’homosexualité ne sera jamais permise. » L’ONG Human Rights Watch constate que, dans ce pays, « il suffit qu’un individu soit présumé homosexuel pour que son arrestation soit justifiée ».

Beaucoup vivent donc cachés. Ils se marient pour sauver les apparences sociales, tout en continuant à vivre leur homosexualité. Cette réalité inquiète le docteur Safiatou Thiam, à la tête du Conseil national de la lutte contre le sida du Sénégal (CNLS) : « Le taux de prévalence, c’est-à-dire de séropositifs au HIV, dans la communauté homosexuelle et bisexuelle est de 27 %. Alors que le pourcentage moyen dans le pays est de 0,5 %. Aujourd’hui, on estime que 81 % des personnes vivant avec le VIH sont dépistées. Les 19 % restants, surtout des hommes, sont plus difficiles à atteindre. C’est là que l’autotest peut aider. »

Pour l’instant, les autotests sont distribués notamment dans les dispensaires. La prochaine étape sera de vendre ces pochettes plastiques dans les pharmacies, comme en Europe. Les stocks sont financés par l’organisation internationale Unitaid.

« J’avais peur d’aller me faire dépister »

C’est en utilisant ce moyen que Florence a appris, dans sa chambre, qu’elle était séropositive. Âgée de 39 ans, cette femme discrète, presque transparente, explique une partie de sa vie. « Je suis une travailleuse du sexe occasionnelle. J’avais peur d’aller me faire dépister et en même temps, je sentais que je n’allais pas bien. Avec ce test, j’ai pu gérer ça moi-même », livre-t-elle, en marge d’une démonstration d’utilisation de l’autotest organisée par Solthis pour une association de travailleuses du sexe.

Immigration : au Sénégal, l’espoir d’Europe passe par les Canaries

« Je vis avec mes parents. Mon père, originaire du Bénin, était comptable dans l’entreprise d’un Français. Ma mère sait que je vais chez des clients. Elle a pleuré quand elle a su que j’étais séropositive, confie Florence, d’une voix neutre. Certains de mes clients sont des Blancs. Je fais ce que j’ai à faire et je reviens chez moi. Si je me sens fatiguée, je ne prends personne. Je peux avoir 10 clients par mois. » L’émotion, retenue, elle la garde pour dire « l’espoir (qu’elle) conserve, à 39 ans, d’avoir un jour un enfant. »

À l’intérieur de la maison de l’association qui regroupe 80 travailleuses du sexe, Maguette Diallo, leur présidente, forte femme, explique que « le danger vient des occasionnelles, celles qui vivent de la prostitution cachée. Les autres sont fichées, se voient délivrer des cartes, sont suivies médicalement. »

À Dakar, veiller sur la santé des prostituées fait partie du quotidien de Dieumbe Gueye. Cette sage-femme dirige le poste de santé Las Palmas. « Les travailleuses du sexe me viennent de partout. Elles ont leur carnet et leur dossier ici. La majorité sont des divorcées qui doivent faire face aux aléas de la vie et à l’éducation de leurs enfants. Beaucoup cessent le jour où elles ont retrouvé un mari », explique cette veuve et mère de cinq enfants, trois médecins et deux ingénieurs.

Elle le répétera plusieurs fois : « Toutes les femmes sont égales quand je suis en blouse ». Elle a distribué 500 autotests durant cette année. « C’est un système pratique, fiable et rapide. » Le taux de prévalence chez les travailleurs du sexe est de 6 %. C’est équivalent à celui des usagers de drogue, une autre population à risques. Là aussi, dans le bureau où les usagers viennent chercher leur dose hebdomadaire gratuite de méthadone, substitut à leur drogue, ils peuvent avoir accès à des autotests.

Gueye Mamadou est infirmier major à l’hôpital Fann de Dakar. Il est chargé du centre de traitement ambulatoire et suit médicalement 1 500 patients séropositifs. Ceux-ci reçoivent chaque trimestre leurs traitements à prendre quotidiennement et font vérifier chaque année leur charge virale. Le tout gratuitement. « Nous avons aussi une ligne verte d’écoute dans le cadre du programme Atlas soutenu par Solthis. » Cette ligne directe reçoit une moyenne de 300 appels par mois. « Ce sont en majorité des hommes qui appellent. Soit des clients de travailleuses du sexe. Soit des hommes qui ont eu des relations sexuelles avec un autre homme et qui veulent garder l’anonymat. Toujours cette honte autour de cette maladie ! »

Une région où le sida évolue à bas bruit

Solthis (Solidarité thérapeutique et initiatives pour la santé) est une ONG crée en 2003 par deux praticiens hospitaliers parisiens. Son action est centrée sur l’Afrique de l’Ouest francophone.

Le projet Atlas de distribution d’autotests HIV au Mali, au Sénégal et en Côte d’Ivoire est soutenu par l’organisation internationale Unitaid, avec un financement complémentaire de l’Agence française de développement (AFD). Le programme court de juillet 2018 à novembre 2021 et cible la distribution de 500 000 autotests.

Les autorités sénégalaises estiment que 41 000 personnes sont séropositives dans le pays, dont 33 000 sont diagnostiquées et 60 % sont sous traitement. 4 000 enfants sont concernés.

La Côte d’Ivoire a un taux de prévalence de 2,8 %, ce qui est élevé pour la région, mais seuls 61 % des séropositifs connaissent leur statut. L’homosexualité et la prostitution ne sont pas criminalisées.

Le Mali a un taux de prévalence de 1,2 %, un peu plus élevé dans sa capitale. L’écrasante majorité (90 %) des homosexuels maliens ne connaissaient pas leur statut sérologique lors d’une enquête réalisée en 2015.

PARTAGER SUR :