source : vidal

Connaître l’efficacité protectrice et la persistance des anticorps neutralisants produits en réaction à l’infection par le SARS-CoV-2 est un élément-clé pour prédire l’évolution de la pandémie de COVID-19 dans les mois et les années à venir.
Les données dont nous disposons concernant le SARS-CoV-2 sont certes préliminaires, mais elles sont, pour l’instant, parfaitement en ligne avec les informations acquises lors de l’étude des autres coronavirus humains : ceux responsables de 15 à 20 % des rhumes (229E, OC43 ou HKU1, par exemple), SARS-CoV-1 et MERS-CoV.
En bref, des anticorps neutralisants (IgG, IgM et IgA) apparaissent dès la 2e semaine après l’apparition des symptômes, pour une durée allant de 1 à 3 ans selon le coronavirus étudié (et probablement selon la sévérité de l’infection initiale). Tant que leur taux sanguin est significatif, ces anticorps semblent efficaces pour prévenir (ou atténuer) une éventuelle réinfection. Un certain degré d’immunité croisée existe entre ces virus, qui devra être intégrée dans les modélisations.
Il faudra cependant attendre encore des mois pour acquérir des certitudes quant à la persistance des anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2.
Néanmoins, il est d’ores et déjà possible de modéliser l’évolution de la pandémie, en s’appuyant sur les connaissances acquises avec les autres coronavirus et les évidences actuelles sur le SARS-CoV-2.

Des anticorps neutralisants apparaissent dès la 2e semaine après l’apparition des symptômes, pour une durée allant de 1 à 3 ans selon le coronavirus étudié (illustration).

Pour parvenir à modéliser l’évolution de la pandémie de COVID-19 dans les mois et les années à venir, pour adopter les mesures de contrôle les plus efficaces, mais aussi pour anticiper les périodes d’éventuelle résurgence de cette pandémie, il est nécessaire de prendre en compte plusieurs paramètres. Parmi ceux-ci, la durée de l’immunité induite par la maladie et son efficacité à empêcher (ou atténuer) une réinfection sont des éléments essentiels à cerner.
Concernant la durée de l’immunité après un épisode de COVID-19, le Pr Jean-François Delfraissy, président du Conseil scientifique COVID-19, a récemment déclaré à un quotidien italien : « Nous avons remarqué que la durée de vie des anticorps protecteurs contre la COVID-19 est très courte. Et nous constatons de plus en plus de cas de récidives chez des personnes qui ont déjà eu une première infection. »
Pour en savoir plus sur cette question, voici ce que disent les études concernant les coronavirus humains en général et le SARS-CoV-2 en particulier.

La dynamique sérologique des épidémies de rhumes à coronavirus
Les coronavirus humains (HCoV) sont responsables d’environ 15 à 20 % des rhumes en région tempérée. Quatre de ces HCoV sont régulièrement étudiés : 229E, NL63, OC43 et HKU1 (les deux derniers sont des bêtacoronavirus, comme les SARS-CoV et le MERS-CoV). Leur prévalence est importante. Par exemple, une étude sérologique menée à Baltimore en 2008 (196 adultes, 10 enfants) a mis en évidence une séropositivité chez, respectivement, 91,3 %, 91,8 %, 90,8 % et 59,2 % des participants.
Une étude menée sur des souches d’OC43 et publiée en 1984 a montré qu’une inoculation volontaire de sujets séronégatifs entraîne une immunité complète vers la même souche pendant au moins 1 an. L’immunité était partielle (mais significative) contre des souches voisines pendant la même durée. Les auteurs suggèrent, à partir de données épidémiologiques, que la durée de l’immunité humorale contre OC43 est d’environ 2 ans, ce qui expliquerait que des épidémies de rhume à OC43 surviennent tous les 2 à 3 ans aux États-Unis. Comme pour OC43, l’immunité humorale contre HKU1 semble durer environ 2 ans.
La dynamique sérologique des rhumes à 229E est également connue. Dans une étude datant de 1990, 15 volontaires ont été inoculés avec 229E. Elle a montré que l’infection était possible uniquement chez les 10 volontaires ayant des taux très bas d’anticorps neutralisants avant l’inoculation (8 d’entre eux ont présenté des symptômes). Les taux d’anticorps neutralisants ont augmenté dès la première semaine post-inoculation, ont atteint un pic à 2 semaines puis ont diminué pendant 12 semaines. Un an plus tard, des anticorps spécifiques étaient encore faiblement présents, en quantité insuffisante pour prévenir une réinfection avec production de virus (mais sans symptômes).

La dynamique sérologique du SRAS
Concernant le SARS-CoV-1 (le coronavirus humain le plus proche de celui de la COVID-19), une étude de 2005 portant sur 347 patients et une étude de 2006 portant sur 18 patients ont montré que les IgG étaient détectables en moyenne 2 semaines après le début des symptômes, avec un pic après 2 mois. Ces taux élevés sont restés présents pendant 6 mois, puis ont diminué progressivement (demi-vie médiane : 6,4 semaines) pour devenir indétectables 2 ans après la maladie. Les IgM sont, elles, devenues indétectables 6 mois après la maladie.
Huit ans après l’infection, une étude portant sur une vingtaine de patients a montré une disparition complète des anticorps neutralisants spécifiques, mais aussi des lymphocytes B mémoire responsables de leur synthèse.
Par ailleurs, les patients ayant souffert de formes sévères du SRAS semblent développer des taux sanguins d’anticorps neutralisants plus élevés pendant la maladie, mais moins durables que ceux observés chez des patients atteints de formes bénignes. Ceux chez qui les anticorps apparaissaient rapidement (moins de 2 semaines après le début de la maladie) avaient un moins bon pronostic (taux de mortalité de 29,6 % contre 7,8 % chez les autres) et étaient plus âgés.
Signalons enfin que des cas de soignants porteurs du SARS-CoV-1 dans l’oropharynx, et restant néanmoins séronégatifs, ont été signalés, tous asymptomatiques.

La dynamique sérologique du MERS
Dans le cas du MERS-CoV, des anticorps neutralisants spécifiques apparaissent 2 à 3 semaines après le début des symptômes (IgG, IgM et IgA). Contrairement au SRAS, l’apparition rapide des anticorps semble corrélée à un meilleur pronostic, même si leur apparition tardive aboutit à des taux sanguins plus élevés. Ces taux ne sont pas corrélés avec la rapidité d’élimination du MERS-CoV.
En termes de persistance, des taux significatifs d’anticorps spécifiques ont été mesurés jusqu’à 34 mois après l’infection, ce qui semble en faire le coronavirus humain ayant la plus longue persistance d’anticorps neutralisants. Cette observation est peut-être à mettre en regard avec la plus grande sévérité du MERS (taux de mortalité de 30 % contre 10 % pour le SRAS).

La dynamique sérologique de la COVID-19
Les premières données sérologiques relatives à la COVID-19 (sur 3 patients) ont montré que des anticorps neutralisants (IgG et IgM) apparaissent dès la 2e semaine (médiane 13 jours) après le début des symptômes, dirigés contre la protéine S et le RBD (receptor binding domain) chez les trois patients, et contre l’extrémité N de la protéine S1a chez deux patients.
Une étude taïwanaise menée sur 3 patients (non publiée) a identifié 25 anticorps monoclonaux après COVID-19 : 13 dirigés contre la protéine S et 12 contre la protéine N de la nucléocapside.
Le 6 avril 2020, une étude a été mise en ligne (preprint, sans relecture par un comité) sur la réponse immunitaire humorale pendant la COVID-19, mesurée chez 175 patients (15-85 ans) atteints de formes légères de l’infection.
Dans cette étude, 10 à 15 jours après le début des symptômes, la plupart des malades avaient des anticorps neutralisants (dirigés contre les protéines S1, S2 et le RBD). Environ 30 % des patients n’ont développé que des taux faibles d’anticorps neutralisants, et pour 10 patients, ce taux était en dessous du seuil de détectabilité.
Un point intéressant de ce travail est la différence de réponse immunitaire entre les 15-39 ans, les 40-59 ans et les 60-85 ans. Ces deux derniers groupes avaient des taux sanguins d’anticorps neutralisants significativement plus élevés que les 15-39 ans, mais avaient des taux sanguins de lymphocytes significativement plus faibles. Comme pour le SARS, l’apparition rapide de taux élevés d’anticorps neutralisants semble positivement corrélée à la sévérité de la maladie.
Par manque de recul, on ignore encore la durée de persistance des anticorps neutralisants dans la COVID-19. On ignore également si, comme pour le SRAS, il existe des cas de séronégativité chez des personnes virologiquement identifiées comme porteuses asymptomatiques.

Des données résumées dans le cahier de charges de la HAS
Dans son cahier des charges pour l’évaluation des tests sérologiques, publié le 16 avril 2020, la Haute Autorité de santé résume les connaissances actuelles sur la dynamique sérologique de la COVID-19 : « La production d’IgM débuterait à partir du 5e jour suivant l’apparition des symptômes, deviendrait détectable chez certains patients à partir du 7jour et chez la totalité des patients au cours de la 2e semaine après l’apparition des symptômes. La production des IgG survient légèrement en décalé par rapport celle des IgM, mais peut également être fréquemment quasi concomitante de cette dernière. La production d’IgM et/ou d’IgG est donc détectable chez les patients symptomatiques à partir de la 2e semaine suivant l’apparition des symptômes. Les taux d’anticorps semblent plus élevés pour les cas les plus sévères. […] Il a également été rapporté des cas avec des productions d’anticorps plus tardives, au-delà du 15e jour après l’apparition des symptômes, et jusqu’à 30 jours après l’infection, notamment chez des patients asymptomatiques ou paucisymptomatiques. […] La cinétique de production d’IgM et/ou d’IgG est encore aujourd’hui principalement mal caractérisée chez les patients asymptomatiques ou paucisymptomatiques. […]
Le Centre national de référence de Lyon n’a pas observé de décroissance de production d’anticorps à deux mois après la survenue des symptômes (durée de suivi maximale actuellement disponible pour le CNR).

Existe-t-il des cas de réinfection par SARS-CoV-1 ou MERS-CoV ?
Concernant les HCoV respiratoires humains responsables de rhumes, nous avons vu qu’une réinfection est possible lorsque les taux d’anticorps neutralisants sont faibles, après 1 ou 2 ans selon les virus.
La littérature scientifique ne signale pas de cas documentés de réinfection humaine par SARS-CoV-1, ni par MERS-CoV (mais dans le premier cas, la maladie a rapidement disparu et, dans le second, les clusters sont sporadiques et concernent peu de patients).
Chez l’animal, l’inoculation de souris par SARS-CoV-1 provoque la production d’anticorps neutralisants qui empêchent une réinfection pendant au moins 4 semaines (l’étude n’est pas allée au-delà).
Concernant MERS-CoV, l’inoculation de lapins déclenche la production d’anticorps non neutralisants. Ces lapins peuvent être réinfectés mais, à la suite de cette réinfection, ils développent des anticorps neutralisants et ne peuvent plus être réinfectés une seconde fois, au moins pendant 5 semaines (de nouveau, pas de challenge plus tardif).

Quid d’une possible réinfection par SARS-CoV-2 ?
Une étude menée chez 4 macaques rhésus a montré que la réinfection par SARS-CoV-2 quatre semaines après l’inoculation initiale ne semble pas possible.
Les cas dits « de réinfection » récemment rapportés en Chine, en Corée du Sud et au Japon pourraient se révéler être en fait des cas de persistance du virus dans les voies respiratoires après une disparition transitoire dans l’oropharynx. En effet, plusieurs études ont observé la persistance de SARS-CoV-2 dans les expectorations et les lavages broncho-alvéolaires après sa disparition dans l’oropharynx. C’est le cas, par exemple, d’une étude allemande qui a suivi la présence d’ARN viral et de particules infectantes dans les frottis oropharyngés, les expectorations et les selles de 9 patients.
Il n’existe donc, à l’heure actuelle, aucun cas documenté de réinfection par le SARS-CoV-2, mais plutôt des cas de réapparition du virus dans l’oropharynx (jamais suivis de rechute symptomatique).

Les immunités croisées entre coronavirus humains
Dans la modélisation de l’évolution d’une épidémie à coronavirus, la durée de l’immunité spécifique n’est pas le seul facteur à considérer. Parmi les autres facteurs à prendre en compte figure l’impact de l’immunité croisée entre les divers coronavirus humains.
En effet, des études ont montré diverses immunités croisées. Par exemple :
  • les anticorps dirigés contre OC43 ont une immunité croisée de 70 % avec HKU1 (mais l’inverse est moins vrai) et une modeste immunité croisée avec SARS-CoV-1 ;
  • certains anticorps dirigés contre 229E réagissent avec des protéines de SARS-CoV-1 ;
  • les anticorps dirigés contre SARS-CoV-2 réagissent avec les protéines S et S1 du SARS-CoV-1 et la protéine S du MERS-CoV.
La possibilité d’un certain degré d’immunité croisée entre SARS-CoV-2 et les coronavirus OC43, 229E ou HKU1 ne relève pas de la science-fiction et elle devra être intégrée dans les travaux de modélisation de l’évolution de la pandémie de COVID-19.

En conclusion, les infections à coronavirus humains sont à l’origine d’une immunité humorale protectrice, mais d’une durée variable. Cette revue comparée des dynamiques sérologiques semble pointer vers deux caractéristiques communes à l’ensemble des coronavirus humains sur lesquels nous avons des données :

  • des anticorps neutralisants quasi systématiquement présents et probablement capables d’interférer avec, voire de neutraliser, une réinfection tant que leurs taux sanguins sont significatifs (en synergie avec l’immunité cellulaire) ;
  • une durée de persistance de ces anticorps variable selon le type de coronavirus : 1 ou 2 ans pour les coronavirus des rhumes, 2 ans pour le SARS-CoV-1, au moins 3 ans pour le MERS CoV.
Le temps nous dira où SARS-CoV-2 se place dans ce paysage, tant au niveau de la durée moyenne de persistance des anticorps neutralisants ce virus qu’au niveau de la protection contre une éventuelle réinfection symptomatique.